Mercredi 8 juin, deux propositions de loi présentées par Philippe Gosselin et Valérie Boyer, visant à renforcer la lutte contre la GPA en France et à l’étranger, ont été examinées en Commission des Lois. (cf. [Décryptage] Des députés français vent debout contre la GPA).
L’indisponibilité du corps humain, un principe implicite
Philippe Gosselin a tout d’abord rappelé le statut du principe d’indisponibilité du corps humain : un principe d’ordre public affirmé par le juge depuis 25 ans (arrêt de la Cour de Cassation du 31 mai 1991), mais un principe qui n’a jamais été explicitement posé par le législateur. Ce n’est que par la loi de bioéthique de 1994, que « le législateur a introduit des règles dont le respect concours à l’effectivité du principe d’indisponibilité », avec notamment, le principe de non patrimonialité du corps humain et de l’affirmation de la nullité des conventions sur la GPA. « Ce corpus adopté par le législateur paraît consacrer, implicitement seulement, l’indisponibilité du corps humain tout en organisant à titre exceptionnel la circulation des éléments du corps humain sous le principe de la gratuité et d’anonymat ».
Un principe implicite à rendre explicite dans la Constitution
Philippe Gosselin estime qu’il est urgent de rendre ce principe d’ordre public explicite dans la Constitution pour plusieurs raisons :
- D’abord parce que la France a toujours eu un rôle moteur sur le terrain bioéthique. Elle a été la première au monde à créer un comité consultatif national d’éthique (CCNE), à s’équiper de lois de bioéthique, et a inspiré la convention d’Oviedo. Ce rôle moteur, la France doit pouvoir le reprendre aujourd’hui.
- Ensuite parce que le corpus juridique français composé des principes d’inviolabilité/d’intégrité/de non patrimonialité du corps humain, et du droit de la bioéthique encadrant les activités médicales et scientifiques, est fragilisé, particulièrement le principe d’interdiction de la GPA (circulaire Taubira, jurisprudence Mennesson et Labassé, jurisprudence française…).
Ces « coups de boutoirs aux valeurs françaises et républicaines fondées sur l’indisponibilité du corps humain se multiplient et rendent d’autant plus nécessaire son inscription dans la Constitution ».
25 ans de réflexion pour intégrer le principe d’indisponibilité du corps humain dans la Constitution
Le débat n’est pas nouveau rappelle Philippe Gosselin : dès 1975, la commission spéciales des libertés de l’époque, avait élaboré une proposition de loi constitutionnelle sur les libertés et droits de l’homme, qui prévoyait que « tout homme a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale ». Le doyen Vedel proposait en 1993 de compléter l’article 66 de la Constitution pour reconnaître le droit au respect de la dignité de la personne, et les comité Balladur et Veil s’étaient interrogés sur l’intégration d’un tel principe dans la Constitution.
« Au regard des défis croissant auxquels la société est confrontées, il convient de ne plus attendre. Cela fait 25 ans que la réflexion est enclenchée », il faut désormais « passer à l’acte », et intégrer dans la constitution ce « principe de dignité humaine [qui] n’est pas à géométrie variable ».
Renforcer les sanctions contre la GPA
Valérie Boyer, députée Les Républicains des Bouches du Rhône, quant à elle, a souligné la nécessité de renforcer le droit encore trop peu efficace dans la pénalisation des pratiques illégales de GPA. En effet, bien que la GPA soit interdite en France, les sanctions encourues sont rarement mises en œuvre, et la justice se voit donc dans l’incapacité de garantir l’absence de dérives. La circulaire Taubira du 25 janvier 2013 autorise l’inscription à l’état civil d’un enfant né par GPA à l’étranger, ce qui encourage les parents à contourner la loi française en profitant des législations des autres pays.
Face à l’essor de la demande d’enfant, au manque de véritable étude sur les conséquences psychologiques pour la mère porteuse et à l’omniprésence de la notion « d’altruisme », Valérie Boyer a comparé la GPA à un « esclavage ».
Entre adhésions et oppositions
Plus d’une dizaine de députés se sont montrés favorables aux propositions. La plupart d’entre eux a remis en cause une « éthique du don », que le député Les républicains, Eric Ciotti, a même considéré comme une « utopie ». Ainsi, d’après le député UDI Jean-Christophe Lagarde, « Il ne s’agit pas de ne pas pouvoir faire don de soi, il s’agit de ne pas pouvoir faire don d’un autre ». Plusieurs députés ont mentionné d’ailleurs l’absence de limites fixées à la science, qui ne peut éviter les dérives que par le recours aux considérations éthiques.
Malgré la volonté de Valérie Boyer de « transcender le clivage droite gauche sur un sujet ayant trait à la dignité humaine », les députés de gauche se sont montrés défavorables dans leur grande majorité. Ainsi les députés socialistes Dominique Potier et René Dosière se sont dit en accord avec la finalité des propositions, mais jugeaient peu efficace par nature la forme de la proposition de loi. René Dosière, député SRC de l’Aisne évoquait, quant à lui, la nécessité d’une législation européenne.
Plusieurs députés ont considéré inutile des propositions de loi ne visant qu’à renforcer des principes déjà établis qui obligent à rouvrir un débat clos. Ainsi, le député Erwann Binet, député SRC de l’Isère, a mentionné l’effet peu dissuasif qu’aurait eu l’existence de plus grandes peines pénales. Anne-Yvonne Le Dain, porte-parole du groupe socialiste sur le texte, considérait ces propositions peu concrètes, tout en reconnaissant la pertinence des questions soulevées.
Certains se sont radicalement opposés aux affirmations de Valérie Boyer. Le député des Verts Sergio Coronado a ainsi nié tout traumatisme de l’enfant né d’une GPA, tandis que Erwann Binet s’est porté défenseur du droit de cet enfant à la nationalité française. Quant à Olivier Dussopt, il a clairement affirmé qu’il croyait en une GPA gratuite et totalement altruiste.
L’exposé convaincant n’est pas du goût des membres de la commission des lois
La proposition de loi de Philippe Gosselin a été balayée par un amendement de suppression de l’article unique du texte. Déposé par Anne-Marie Le Dain, et quelques autres collègues, l’amendement de suppression a été adopté par la commission des lois.
De même Anne-Yvonne Le Dain et quelques autres de ses collègues ont fait adopté des amendements de suppression des 4 articles composant la proposition de loi relative à la lutte contre les mères porteuses. Ils considèrent que :
- « L‘interdiction et les peines en cas de recours à une mère porteuse existent aujourd’hui dans notre droit positif » (amendement n°CL1), (amendement CLn°2), et refusent donc de créer un délit spécifique,
- « La circulaire de la Garde des Sceaux du 25 janvier 2013 qui ouvre aux enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui l’ensemble des droits attachés à la filiation par le code civil n’a pas d’autre objet que d’assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et ce, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme » (amendement n°CL3).
Malgré ces amendements de suppression adoptés en commission des lois, les propositions de loi de Philippe Gosselin et Valérie Boyer, seront tout de même bien débattues, sous leur forme initiale (les consulter ici et ici), en séance jeudi prochain 16 juin.
Pour Philippe Gosselin, qui s’adressait à Gènéthique, « un rapprochement avec la gauche la semaine prochaine en séance sur les 2 textes n’est pas totalement exclu. La majorité semble en effet évoluer ». Il a évoqué l’initiative de Laurence Dumont, député socialiste de Caen, qui avait lancé une pétition « contre le marché des ventres », en février 2011. De là à un vote commun, il y a encore sans doute une marge. « Mais les positions semblent de plus en plus conciliables. Le refus réel et sincère de la GPA progresse à n’en pas douter. Hélas, c’est le jeu politique, plus que le fond, qui risque de bloquer. La gauche a peur de fâcher et n’en a pas les moyens vu les autres fronts ouverts.»