Après l’adoption de l’article 8 de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir » en début de matinée vendredi, les députés poursuivent l’examen du texte. Le ton est parfois vif, le rythme aussi.
« La vérité du langage est un enjeu démocratique »
Les élus abordent l’article 9 qui traite de l’accompagnement de la personne pendant l’administration de la substance létale et des modalités de l’administration.
Patrick Hetzel (Droite Républicaine) défend un amendement de suppression. Il explique être interpellé par des Français sur l’alinéa 8, un « mensonge a minima juridique » qui dispose qu’« est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir ». Christophe Bentz (Rassemblement National) abonde : « Au-delà de supprimer l’article 9, c’est un mensonge que nous voulons supprimer. »
Dominique Potier (Socialistes et apparentés) souligne « la bataille culturelle puissante » qui se joue. « Je souhaite encore une fois, à gauche, dire l’enjeu du langage ; la vérité du langage est un enjeu démocratique, un enjeu républicain. » Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) dénonce également les termes de l’alinéa 8 qui « affaiblit l’Etat de droit ».
Thibault Bazin (Droite Républicaine) qui partage ces préoccupations interroge également l’alinéa 6 qui dispose : « Si la personne qui a confirmé sa volonté demande un report de l’administration de la substance létale, le professionnel de santé suspend la procédure et convient d’une nouvelle date ». « N’y a-t-il pas manière à réévaluer ?, interroge le député. Cette forme d’automaticité pose question. »
En dépit de tous ces arguments, le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) s’entête : cet article, comme le texte dans son ensemble, est « équilibré ».
« Ne sous-estimez pas la pression induite par une simple procédure »
Thibault Bazin obtient l’adoption de l’amendement 1666 qui rappelle que l’euthanasie ne sera pratiquée que si le patient n’est pas « en capacité physique » de s’auto-administrer le produit létal.
Plus tard, c’est l’amendement 2373 de René Pilato (LFI-NFP) qui est adopté. Même si Nicolas Sansu (Gauche Démocrate et Républicaine) doute que ce soit « le rôle du médecin » que de vérifier si le patient est sous pression, l’amendement précise que le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne « veille[ra] à ce qu’elle ne subisse aucune pression de la part des personnes qui l’accompagnent pour procéder ou renoncer à l’administration ». Les députés s’interpellent, chacun dénonçant une attitude anti-républicaine dans l’autre camp.
Plusieurs amendements remettent ensuite en cause la décision d’une nouvelle date pour la procédure si le patient demande un report. « Consciemment ou inconsciemment il y a un doute qui est là », argumente Annie Vidal (Ensemble pour la République). Philippe Juvin (Droite Républicaine) est plus dubitatif : « si le patient ne veut pas d’injection, c’est peut-être qu’il n’en veut plus du tout, donc il n’y a pas à convenir d’une nouvelle date. Ne sous-estimez pas la pression induite par une simple procédure », alerte-t-il. Avec le soutien du gouvernement, l’amendement 556 d’Annie Vidal est adopté : une nouvelle date sera fixée si c’est « la demande du patient ».
Un autre point fait débat : la présence d’un professionnel de la santé après l’administration de la dose létale. Le rapporteur est favorable à l’amendement d’Hadrien Clouet (LFI-NFP) : le médecin n’est « plus » tenu de rester aux côtés du patient après l’administration du produit. Il est adopté. Celui du rapporteur Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés) (1788) également : le professionnel de santé devra être « suffisamment près et en vision directe de la personne » qui met fin à ses jours « pour pouvoir intervenir en cas de difficulté » (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de “secouristes à l’envers” »). Une présence « non obligatoire » mais « en vision directe » ?, relève Christophe Bentz (Rassemblement National), perplexe.
Un décès après une « aide à mourir » n’est pas une mort naturelle
Pas moins de 13 amendements [1] visent ensuite à supprimer la 2e partie de l’alinéa 8 qui dispose : « Est réputée décédée de mort naturelle la personne dont la mort résulte d’une aide à mourir ». « Vous changez les mots pour changer les consciences », dénonce Sandrine Dogor-Such (Rassemblement National). « On est en train de travestir la réalité », souligne de son côté Patrick Hetzel. « Une logique orwelienne » abonde Dominique Potier.
Alexandre Allegret-Pilot (UDR) pointe quant à lui qu’une personne qui se suicide n’est pas considérée morte de mort naturelle mais de « mort violente et non naturelle ». Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) les rejoint : « Je suis pour qu’on nomme les choses correctement : si c’est un suicide assisté, il faut le nommer ainsi ». Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) invoque au contraire le « respect » pour le patient, pour les soignants, et les questions assurantielles comme René Pilato ou Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République). Eux s’opposent à la suppression de cette mention introduite en commission (cf. L’« aide à mourir » qualifiée de « mort naturelle » : le « mensonge sémantique » poussé « encore plus loin »).
Le rapporteur est défavorable à ces amendements de suppression d’une partie de l’alinéa sous prétexte que ce serait la maladie qui conduit au décès. Mais la ministre de la Santé Catherine Vautrin ne partage pas cette analyse. Elle veut modifier la nomenclature pour pouvoir suivre précisément les causes de décès et émet un avis de sagesse. Le président de la Commission Frédéric Valletoux (Horizons et Indépendants) soutient aussi ces amendements. Ils sont adoptés, par 67 voix contre 58.
« Lorsqu’il y a un doute, je pense qu’il doit bénéficier à la vie et pas à la mort »
Vendredi après-midi, le rythme s’accélère encore. Les députés adoptent 5 articles, clôturant le chapitre dévolu à la procédure et entament celui relatif à la clause de conscience.
L’article 10 qui traite des conditions pour mettre fin à la procédure suscite la réflexion de Pierre Meurin (Rassemblement National) sur la non-assistance à la personne en danger. « Une forme de vertige me saisit via ces articles », reconnait-il. Mais pour le rapporteur Stéphane Delautrette la dépénalisation règlera le problème : il ne faut « pas créer de doute là-dessus » demande-t-il.
Parmi les amendements rejetés, le 2526 de Philippe Juvin et le 1369 Charles Sitzenstuhl visaient à mettre fin à la procédure en cas d’hésitation du patient. Face à Yannick Monnet qui considère ces amendements « indécents » car il faudrait faire confiance au personnel soignant, Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates) plaide : « Lorsqu’il y a un doute, je pense qu’il doit bénéficier à la vie et pas à la mort ». L’amendement 1295 de Christophe Bentz qui souhaitait quant à lui que la procédure prenne fin en cas d’échec d’administration de la substance létale est également rejeté.
Avant de passer à l’article 11, Philippe Juvin veut, avec l’amendement 2571, interdire les prélèvements d’organes après une « aide à mourir ». Les organes peuvent être très abimés en fonction de la pathologie, ou, à l’inverse, le don d’organes pourrait devenir un motif de demande d’euthanasie, fait valoir le député. Au Québec, près de de 15% des donneurs d’organes ont préalablement eu recours à l’« aide médicale à mourir » (cf. Québec : 15% des donneurs d’organes ont été euthanasiés). Pour Olivier Falorni l’amendement proposé créerait une « rupture d’égalité » car toute personne est présumée donneuse d’organe. Il est rejeté.
L’article 10 est adopté sans avoir été amendé, l’article 11 sur le recensement des actes au sein d’un système d’information l’est aussi peu de temps après.
Une possibilité de recours purement formelle
Les députés se penchent ensuite sur l’article 12 qui dispose que seul le patient peut contester la décision du médecin s’étant prononcé sur la demande d’« aide à mourir ». « Il s’agit là d’un recours purement formel », considère Patrick Hetzel. Comment une personne décédée pourrait-elle effectuer un recours ? Thibault Bazin regrette en outre que la personne chargée de la mesure de protection, quand elle existe, ne puisse pas faire de recours.
Comme Olivier Falorni, Catherine Vautrin invoque la liberté individuelle. L’absence d’un droit de recours aux tiers se justifie par le fait qu’il ne faudrait pas faire obstacle au processus. Mais Yannick Monnet obtient gain de cause sur le cas des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection. La personne chargée de la mesure pourra effectuer un recours (adoption de l’amendement 1895).
Tous les autres amendements qui proposaient d’élargir les possibilités de recours aux conjoints, enfants, parents ou personnes de confiance sont rejetés. L’article 12 est adopté par 77 voix pour contre 14, et l’article 13 qui dispose qu’un décret en Conseil d’Etat précisera les conditions d’application l’est par 72 voix contre 17.
Il est 19h ce vendredi et les députés commencent l’examen de l’article 14 dédié à l’instauration d’une clause de conscience, bien loin de concerner tous les professionnels. Le gouvernement et les rapporteurs seront-ils enfin disposés à faire des concessions ?
[1] N°260 de Josiane Corneloup (Droite Républicaine), 500 de Marie-France Lorho (Rassemblement National), 727 de Sandrine Dogor-Such (Rassemblement national), 857 de Patrick Hetzel (Droite Républicaine), 1111 de Dominique Potier, 1363 de Charles Sitzenstuhl, 2013 de Vincent Trébuchet (UDR), 521 de Justine Gruet (Droite Républicaine) (Droite Républicaine), 626 d’Anne-Laure Blin (Droite Républicaine), 711 d’Alexandre Portier (Droite Républicaine), 2058 d’Alexandre Allegret-Pilot (UDR), 2016 de Joëlle Mélin (Rassemblement national), et 2626 de Philippe Juvin (Droite Républicaine)