Jean-Marie Le Méné : “L’homme doit aujourd’hui se justifier du simple fait d’exister”

Publié le 13 Mar, 2018

Les Etats généraux de la bioéthique sont un jeu de société. Chaque jour il faut avancer son pion d’une case, tirer une carte et répondre à une question. Si la réponse est bonne, on comprend mieux la logique de la prochaine loi, sinon on risque de sortir du jeu. Mais, attention, il y a des pièges. Cette semaine on a tiré la carte « Que veut dire Jean-François Delfraissy avouant ne pas savoir ce que sont le bien et le mal ? ».

Nombreux ont été les joueurs à répondre que le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souffrirait d’une sorte de relativisme affligeant de nature à affaiblir l’institution dont il a la charge. Ce n’est pas faux mais la réponse est très insuffisante. Insinuer que le président d’un comité d’éthique ignore l’éthique (on pourrait aussi reprocher au professeur de médecine d’ignorer la médecine !) est un affront, c’est lui intenter un procès d’incompétence ou l’accuser d’occuper un emploi fictif. Alors que son activité plaide en sa faveur et que les faits parlent d’eux-mêmes.

Dans l’avis n° 126 du CCNE rendu le 27 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à la PMA, M. Delfraissy a démontré toute sa science du bien et du mal. Preuve en est que, sous sa présidence, le CCNE est devenu favorable à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, contrairement aux avis précédents. Si le CCNE, sous l’impulsion de son président, a renoncé à une position pour en préférer une autre, c’est parce qu’il a considéré qu’une telle demande « s’inscrit dans une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques de PMA pour répondre à un désir d’enfant ». Le désir d’enfant, appelé à être satisfait pour toutes les femmes dans la liberté et l’égalité est un bien, jugé meilleur que celui antérieurement choisi. De même, quand le CCNE a rappelé qu’il a voulu « pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles », il a affiché la volonté de poursuivre un bien pour éviter une souffrance qui n’était pas considérée comme telle auparavant.

Depuis plus de trente ans le CCNE a ainsi validé des évolutions relatives à l’avortement, au dépistage anténatal, au génie génétique, à la procréation médicalement assistée, à la congélation de l’embryon, à la recherche sur l’embryon, etc. A travers ses avis, jamais il n’a hésité entre le bien et le mal. Jamais il n’est resté dans le flou. Toujours il a fait un choix présenté comme un bien, ce qui est la finalité de la morale. Depuis plus de trente ans, sur les ruines d’une morale déconstruite, le CCNE en a reconstruit une nouvelle. Avec un autre bien et un autre mal, car on ne peut se passer de cadre normatif, sur lesquels il n’est plus question de revenir. Ce nouvel ordre moral s’est structuré insensiblement et personne ne s’est avisé d’en contester ni les fondements, ni les méthodes, ni les acquis quand il était encore temps. On ne peut donc pas suggérer que l’actuel président du CCNE se distinguerait de ses prédécesseurs par une morale de rupture. Comme eux, et depuis longtemps, il apporte sa pierre à l’édification du « Bien », un bien qui n’a plus rien à voir avec la morale du monde d’avant. La seule chose qui a changé, c’est que le président du CCNE, non sans un certain cynisme, le dit clairement et que l’opinion en prend conscience.

Autant dire que le remède n’est pas à portée de main. Car il n’est plus du ressort de la morale mais de la métaphysique. La question n’est plus de savoir « comment » se comporter « bien » avec l’être humain mais « pourquoi » le faudrait-il absolument ? Qui serait donc l’homme pour mériter autant d’égards ? Pourquoi serait-il sacré ? Etre homme ne s’impose plus. L’homme doit aujourd’hui se justifier du simple fait d’exister. Pourquoi la vie de l’homme mériterait-elle d’être plus respectée que celle d’autres espèces vivantes ? Le rétrécissement occidental de la raison ne sait plus répondre clairement à la question de savoir qui est l’homme. Le débat n’est pas entre plus ou moins de morale mais entre l’être et le néant. On peut même dire que moins la vie humaine a de sens aujourd’hui, plus il lui faut des béquilles morales pour sauvegarder les apparences. D’où l’inflation de ces lois de bioéthique qui sont un triomphe du droit mais une défaite de la justice. Ce sont elles qui permettent au transhumanisme de faire main basse sur l’humain sous pavillon de complaisance de la morale.

Et c’est ainsi que le transhumanisme est grand.

 

Article publié initialement dans le magasine Valeurs actuelles sous le titre : Un jeu de société

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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