Jean-François Mattei : « La médecine conduit-elle au transhumanisme ? »

Publié le 4 Fév, 2016

A l’occasion d’une des dernières conférences du Forum européen de bioéthique, la parole était donnée à Jean-François Mattei qui, dès le début, répondant au thème « la médecine conduit-elle au transhumanisme ? », estimait que la médecine n’allait plus « vers la réparation, mais vers l’augmentation ».

 

Si la mission de « notre médecine humaniste humaine a toujours été de soigner », elle a évolué au cours du temps. Jean-François Mattei évoque une rupture claire. Déterminante. En 1946, l’OMS propose une nouvelle définition de la santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». L’OMS ouvre la médecine « au mieux être le plus longtemps possible ». En même temps, elle confie « la responsabilité de notre bonheur au médecin », légitimant de la sorte de nouveaux objectifs de santé publique qui vont au-delà des simples mesures d’hygiène. Ils ont poussé la médecine vers la recherche de constantes améliorations.

 

Du « meillorisme » à l’eugénisme

Jean-François Mattei prend l’exemple de la médecine de plongée ou la médecine spatiale, qui ont été chargées « d’adapter l’homme à des conditions spéciales ». Et il accuse la médecine d’avoir pris le chemin du « meillorisme », celui de l’augmentation de nos potentialités : meilleur sommeil, meilleure nutrition, meilleure sexualité… Ce « meillorisme » conduit de fait à une sélection des meilleurs qui consiste aussi en la disparition des moins bons. Un eugénisme compris comme « la tentation d’améliorer l’espèce ». Par « la procréation dirigée : les meilleurs se reproduisent entre eux et on élimine les tarés ». Il estime que « l’eugénisme est devenu une règle quand la loi s’en est saisie ». Or, c’est par « la tentation du meilleur, du mieux, qu’on arrive au transhumanisme ».

Jean-François Mattei s’interroge sur ce qu’est le transhumanisme, une idéologie qui estime que « la perfectibilité de l’homme est infinie ». La convergence des NBIC, des biotechnologies, la révolution technique et informatique, l’intelligence artificielle des sciences cognitives ont un impact sur la santé : bon ou mauvais. Avec, entre autres, pour conséquence, la possibilité de sélectionner de plus en plus précisément la qualité des enfants à naître.

 

Se poser les questions éthiques

Le transhumanisme pose d’éminentes questions éthiques. Avec la Procréation médicalement assistée, « par essence, la médecine s’oppose à la loi naturelle et ouvre les portes au transhumanisme ». Il explique : « Ce qui me gène dans le transhumanisme, c’est qu’il fait le lit du post-humanisme. Dans le transhumanisme, on est encore dans l’humain, c’est l’homme réparé, augmenté… Dans le post-humanisme, on commence à parler d’un homme transformé parce qu’il faut toujours aller plus loin. On veut créer un homme d’une autre nature ». Raymond Kurzweil parle de « singularité technologique », le moment bascule où « l’homme se machinise et la machine s’humanise ». Un phénomène qu’il estime probable en 2045.

Jean-François Mattei s’inquiète : « Aujourd’hui, la convergence des techniques, des esprits et des financement peuvent faire du transhumanisme, de l’eugénisme et du post-humanisme des programmes politiques ».

 

Renouer avec « la dignité et le sacré de l’homme »

Il s’interroge : « Comment réagir ? » Il parle de « courants d’idée renouant avec la dignité et le caractère sacré de la personne ». Le post-humanisme est une « religion » nouvelle et il estime que « si nous n’avons pas de démarche spirituelle, nous n’y arriverons pas ». Il précise : « Ce n’est pas la technique qui est dangereuse, mais l’usage que l’on en fait ». Il prend l’exemple du nucléaire pour avancer : tout dépend « du sens que nous donnons à nos actions, à nos vies. Il faut progresser dans la connaissance de soi et du monde qui nous entoure. On parle beaucoup de science et on ne dit rien de la conscience qui peut nous aider à garder notre humanité. Je les trouve trop souvent délaissés ». Il ajoute : « C’est en se préoccupant davantage et urgemment de nos consciences que nous pourrons être au service de l’humanité. ‘La modernité est dangereuse quand elle cesse de s’interroger sur elle-même’[1] ».

 

[1] Nietzsche.

 

 

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