Jacques Testart vs Laurent Alexandre : le transhumanisme sur la sellette

Publié le 14 Juin, 2018

Pour Jacques Testart, le transhumanisme est « une idéologie infantile qui profite des progrès extraordinaires des technosciences, au cours de la dernière décennie, pour remettre à jour les vieux mythes archaïques de l’homme super-intelligent, immortel, invincible ». Face à Laurent Alexandre, il  avance des positions divergentes, sachant que « même si la plupart des promesses transhumanistes sont vaines, elles laisseront des traces sociétales ».

 

Entre homme réparé et homme augmenté, la frontière s’établit sur l’eugénisme, « l’autre nom du transhumanisme » comme l’explique Jacques Testart. Une réalité que Laurent Alexandre ne nie pas : « La Fiv peut être un instrument médical ou un instrument d’augmentation. Il faut là distinguer l’eugénisme dit ‘négatif’ : on regarde l’ADN de l’embryon avant de décider de l’implanter. Et l’eugénisme ‘positif’ : on choisit parmi plusieurs embryons lequel on préfère, voire, dans un futur plus ou moins proche, on modifie à dessein l’ADN de l’embryon ». Mais le tri des embryons, ajoute le biologiste, « permet de pratiquer l’eugénisme ‘négatif’ (éliminer, stériliser) et l’eugénisme ‘positif’ (élire le meilleur, etc.) simultanément. Et le nombre et la localisation hors du corps des embryons en font une technique incomparablement plus eugénique que l’interruption médicale de grossesse (IMG) par exemple ».

 

Quand Laurent Alexandre estime qu’il faut éviter de se laisser distancer par les puissances qui investissent massivement dans les biotechnologies et s’engager massivement dans les nouvelles technologies, Jacques Testart affirme que « si nous sommes en retard dans la course vers le précipice, cela peut nous mettre en avance dans la survie… ». Et il en appelle à « un bouleversement sociétal » : « Il faut donner aux gens à rêver d’autre chose que des apports de la technologie et des fausses promesses transhumanistes ».

 

Dans ces domaines de pointe, « la régulation des questions éthiques doit se faire au niveau mondial. Il reviendrait donc à l’Onu d’organiser ces conventions de citoyens sur toutes les grandes controverses pour définir des arbitrages ayant force de loi », estime encore le chercheur. Un défi majeur pour le docteur Laurent Alexandre, qui constate  le « décalage énorme entre les révolutions technologiques qui engagent l’humanité pour très longtemps et notre fonctionnement politique très court-termiste. Nos gouvernements raisonnent à 15 jours, le gouvernement chinois à 50 ans. Les GAFA et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, ndlr) raisonnent, eux, à 1 000 ans ».

 

Sur l’avenir, Jacques Testart est pessimiste : « Pour la première fois, l’humanité est confrontée à sa finitude. On ne peut traiter cette urgence fondamentale par-dessus la jambe. Le problème, c’est que l’idéologie des transhumanistes est intrinsèquement liée à la croyance scientiste, aussi naïve que têtue, dans un progrès continu ». Il s’inquiète : « Les transhumanistes ignorent complètement l’environnement. Ils mettent Homo sapiens sur la paillasse et le bricolent. Ils lui collent des électrodes, modifient ses gènes, etc. Or l’homme n’est rien en dehors de la nature, de l’environnement, ni en dehors du groupe humain ! ».

 

« La science crée autant de problèmes qu’elle en résout. Mais je ne crois pas qu’on puisse l’arrêter », constate Laurent Alexandre. Mais pour Jacques Testart, face à des perspectives inconnues, une prise de conscience s’impose : « Ce qu’on vit actuellement n’a aucune mesure avec les bouleversements antérieurs. Les gamins accros aux tablettes et Smartphones, c’est un changement total de comportement. Cette jeunesse est complètement coupée de la nature. Elle est in silico. Elle n’aura pas de souvenir, pas de mémoire. La situation est inédite et gravissime, des éléments concrets le montrent. On vit bel et bien un effondrement de notre civilisation ».

La Vie, Olivia Elkaim et Jean-Claude Nodé (14/06/2018)

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