Jacques Testart : Résister au transhumanisme, vers une humanité responsable ? (3/3)

Publié le 31 Mai, 2017

Lors de la conférence inaugurale du colloque “Critique de la raison transhumaniste” qui s’est tenue au Collège des Bernardins les 19 et 20 mai derniers, Jacques Testart, biologiste de la procréation et “père” du premier bébé éprouvette, a rappelé les enjeux du transhumanisme (cf. Jacques Testart : Résister au transhumanisme “parce que l’humain vaut mieux que ce qu’il en parait trop souvent”). Il a aussi abordé les questions du pourquoi et comment résister au transhumanisme (cf. Jacques Testart : Résister au transhumanisme, pourquoi ? Comment ?), pour ensuite ouvrir sur l’importance de renouer avec le sens l’humanité.

 

Face aux avancées techniques, Jacques Testart interroge : avons-nous vraiment besoin de la plupart de ces progrès ? Mais établir une liste de besoins authentiques suppose une identification des besoins raisonnables par une délibération collective démocratique, une démarche qui n’est pas facile.

 

Concernant le tri génétique des embryons humains qui s’impose sans véritable résistance : d’un côté, les catholiques ont condamné cette élimination arbitraire, dans la logique de leur opposition à l’avortement ; de l’autre, Jacques Testart a alarmé sur le destin des rescapés du tamis génétique, et sur la fabrication discrète d’une espèce nouvelle grâce à la sélection continue et généralisée de la descendance humaine.

 

Mais, constate-t-il avec pessimisme, nous ne faisons pas le poids face à une caste de praticiens, une opinion abusée, des affairistes vigilants et l’appétit général pour des solutions techniques aux angoisses existentielles. Dès 1934, la philosophe Simone Weil s’interrogeait déjà : « Comment cesser de s’aveugler en arrêtant de croire au progrès illimité de la technique et de la science ? »

 

Les promoteurs du transhumanisme profitent de cette passivité. Et les technosciences avancent sans rencontrer de résistances. Tandis que les pouvoirs publics n’imaginent pas que le monde futur puisse échapper à la transhumanisation. « La croyance que ces changements sont inéluctables semble habiter tous les acteurs, depuis les promoteurs du transhumanisme, héritiers des délires futuristes de la Silicon Valley, jusqu’aux consommateurs avides de rêves éveillés, en passant par les industriels et les décideurs, soucieux de débouchés économiques ». Or, afin de maîtriser les mutations promises, il faudrait, selon Jacques Testart, avoir certaines exigences : instaurer des choix démocratiques permanents ; contrôler la vitesse de dissémination des actes ; convoquer la précaution quant à l’innocuité et la réversibilité de leurs effets.

 

Pour lui, la diversité du vivant, – les espèces de plantes et de bêtes, et l’espèce humaine -, a émergé par des actes aléatoires. Il cite Darwin, pour qui l’humain n’est pas l’accomplissement de la création et dont la propre évolution se poursuivra lentement et sans but. Mais qui avait remarqué que chez l’homme, « l’évolution a inventé une propriété exceptionnelle, l’empathie, qui permet des comportements vertueux favorables à la vie en groupe ». Et le développement de l’empathie et l’altruisme conduit au devoir d’assistance aux plus faibles. Mais le transhumanisme, qui a pour condition politique le néo-libéralisme et pour condition technique l’augmentation biologique, ne peut admettre cet « effet réversif de l’évolution ». Ainsi, comme réplique au transhumanisme, le meilleur de l’humanité apparaît, sans aucune assistance technique, par exemple dans « les jurys citoyens », cultivant ce que Testart appelle « l’humanitude », c’est-à-dire : s’affranchir des petitesses de la compétition, oser la recherche solidaire du bien commun et croire que l’homme peut changer le monde dans un sens choisi.

 

Un impératif : tenir compte de la nature

 

« Les transhumanistes nous racontent le futur d’un humain in silico, complètement dissocié de son environnement qu’ils veulent ignorer. » Les bouleversements de notre espèce et du climat qui nous attendent dans les prochaines décennies, pourraient nous conduire à un nouvel « ordre naturel des choses » ? Pour le meilleur, selon les transhumanistes ! Mais possiblement, plutôt pour le pire, selon Jacques Testart, avec le risque de supprimer la plupart des espèces, à commencer par la nôtre. Face aux fortes difficultés sanitaires qui vont accompagner les changements climatiques, face à la carence énergétique et à celle des ressources industrielles, les réalisations transhumanistes « risquent pour le moins d’être freinées, vraisemblablement paralysées, peut-être anéanties ». Comment croire, dans ces conditions, que nous allons vers l’homme augmenté ? « Avec un certain culot, Technoprog reconnaît qu’une telle aggravation de la condition humaine est probable dans les prochaines décennies, mais ils en tirent argument pour accélérer l’augmentation de l’homme, afin qu’il devienne capable de mieux maîtriser les éléments ! »

 

Finalement, la réponse radicale au transhumanisme risque de venir de choix antérieurs « qui conduisent à la ruine accélérée de la planète », et de finir en « désastre antropologique ». Mais, avant que ses échecs soient avérés « l’entreprise prométhéenne (du transhumanisme) aura sans doute bouleversé le monde, son histoire et ses cultures. C’est Sisyphe qui revient quand s’enchaînent, sans fin prévisible, la détérioration de la planète et « l’augmentation » de l’homme, chaque avancée de l’une produisant chez l’autre un nouveau pas » Et « ce que la technologie nous fait perdre, qui nous le rendra ? »

 

Retrouver l’humanité

 

A ce tournant de l’histoire de l’humanité, deux périls nous menacent à court terme : l’écocide qui détruit la planète et ses habitants, et l’anthropocide avec le

transhumanisme qui s’attaque spécifiquement à l’humanité. En 2050, 25 à 50 % des espèces auront disparu et les changements climatiques obligeront 250 millions des personnes à quitter leurs pays. « C’est aussi vers 2050, nous annoncent les transhumanistes, qu’adviendrait la Singularité, cette étape significative dans l’épopée vers la post-humanité». Il faudrait refuser de contribuer à cette croissance absurde en œuvrant à une société frugale et conviviale.

 

Et pour cela, mobiliser les structures mondiales : l’Organisation des Nations Unies, pour convenir des mesures à prendre, et la Cour pénale internationale pour les faire respecter. Ce qui nécessite une réforme profonde des règles de l’ONU. « Et, puisqu’il faudra être capable de définir où est le bien commun et comment aller ensemble dans ce sens, c’est seulement en mettant aux commandes les citoyens dénués d’intérêts particuliers, en cultivant l’intelligence collective et le souci des autres, que nous aurons une chance de repousser les catastrophes. C’est la voie que permettent les conventions de citoyens dont la pratique devrait s’imposer partout à propos de tous les grands enjeux ».

 

Photo : Pixabay/DR

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