Jacques Testart : « Quelle logique est en jeu dans cet acharnement à exiger que l’embryon humain soit livré à la recherche ? »

Publié le 7 Mar, 2018

Controverses, alternatives, perspectives, dans une conférence donnée à la Cour de cassation le 15 février dernier[1], Jacques Testart, biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM, fait le point concernant la recherche sur l’embryon (3/3).

 

Depuis 1994, la loi française autorise des « études » sur l’embryon lesquelles « doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l’embryon » (art L 152-8). C’est dire qu’avec les études, il est seulement possible d’observer l’embryon, sans aucune manipulation, ce que tous les biologistes de FIV font quotidiennement même si une véritable étude scientifique impliquerait un protocole devant conduire à des conclusions. Rien n’explique pourquoi les « techniques complémentaires » à la FIV, pour la plupart tolérées depuis plus de 20 ans sans aucune validation scientifique, ne font pas l’objet soit d’un interdit, soit de protocoles d’étude,  sous l’égide de l’ABM.

 

Quels progrès théapeuthiques issus des recherches sur l’embryon ?

 

La recherche impliquant l’embryon humain a fait l’objet de nombreux débats et décisions depuis 30 ans. Alors que la loi de 1994 interdisait toute recherche, celle de 2005 prévoyait des dérogations et finalement, la loi de 2013 a autorisé la recherche sur l’embryon humain dans des conditions spécifiquement encadrées. Alors, de quoi est donc faite la « recherche sur l’embryon » qui a provoqué tant de controverses ? Plusieurs dizaines de projets de recherche ont été autorisés depuis 2005 mais ces travaux, portant essentiellement sur des cellules souches embryonnaires (ES) souvent importées, ne concernent qu’exceptionnellement les praticiens de l’AMP, acteurs de la procréation plutôt que de la science. Si 42 équipes scientifiques ont obtenu une ou plusieurs autorisations de recherche, la plupart d’entre elles (36 équipes et 83 projets) travaillent sur les cellules souches. Seulement 5 projets (de 4 équipes) ont concerné l’embryon lui-même. La plupart de ces projets sont achevés depuis plusieurs années mais on ignore s’ils ont permis les « progrès thérapeutiques majeurs » qui les avaient justifiés. Finalement, il n’existe actuellement aucune recherche sur l’embryon lui-même. Pourtant les embryons donnés « à la recherche » sont  nombreux : 21403 embryons étaient disponibles pour cela en 2015. Or, si 19 projets de recherche ont été acceptés en 2016, aucun ne concerne l’embryon humain in vitro: la moitié de ces travaux portent sur le DPN, d’autres sur le spermatozoïde et quelques-uns sont menés chez l’animal (souris ou lapin). Ces projets ne concernent pas davantage la recherche « avec l’embryon » qui porte sur des cellules embryonnaires (ES), ces travaux étant désormais menés avec des clones cellulaires créés antérieurement ou importés.

 

Comment expliquer que la licence accordée aux chercheurs depuis 2013 soit finalement sans objet alors que le cadre institutionnel et l’approvisionnement en embryons ont été résolus ? Peut-on penser que des demandes de recherche ont été formulées à l’ABM qui les auraient toutes refusées ? Ou que les complications administratives aient freiné les demandes des chercheurs ? Ou encore que les chercheurs se soient repliés sur des modèles animaux lesquelles présentent l’avantage de pouvoir corréler les observations ou manipulations réalisées in vitro avec la viabilité de l’embryon puisque celui-ci peut être transféré in utero aux fins de gestation. Certes, il existe quelques différences entre humain et souris ou porcin dès le stade embryonnaire, mais il existe surtout beaucoup de similarités, et nous avons encore beaucoup à apprendre de l’embryon animal. Dire que la recherche sur l’embryon humain n’aurait pas été possible chez l’animal est une litote qui ne devrait pas exempter de mener d’abord la recherche sur un modèle non humain, pour des raisons scientifiques autant qu’éthiques. Selon le code de santé publique (art 2151-5) les recherches sur l’embryon humain doivent être « susceptibles de produire des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques ». Outre que la recherche chez l’animal peut constituer une alternative, ou mieux un préalable, les « progrès thérapeutiques majeurs » promis par ces recherches semblent complètement absents, malgré les travaux menés ici et surtout dans d’autres pays depuis bientôt 30 ans. Comme dans le cas du « bébé-médicament » (voir plus loin), il semble que le discours triomphaliste de quelques praticiens porteurs d’intérêts particuliers se soit montré capable d’abuser le législateur.

 

Vers le transfert in utéro ?

 

Il est devenu évident qu’au nom des « recherches sur l’embryon » dans un but annoncé de connaissance et d’amélioration des pratiques d’AMP, c’est plutôt la recherche sur les cellules souches et son fort potentiel économique qui était en jeu. Désormais, c’est par un bouleversement législatif que la recherche « sur l’embryon » pourrait s’avérer capable de motiver les chercheurs. Car il est exact que l’interdit persistant de modifier et surtout de transplanter in utero l’embryon humain à l’issue de la recherche nuit grandement aux conclusions à tirer d’éventuelles expérimentations autorisées. Aussi, une réflexion menée en juin 2014 par le comité d’éthique de l’INSERM propose des perspectives radicalement nouvelles[1]. Ces propositions retireraient à l’embryon humain une protection que le comité estime inadaptée, faisant écho à l’Académie de médecine qui considère depuis 2002 de telles ouvertures comme indispensables, une position réaffirmée en janvier 2016. Pour l’Académie, l’embryon doit être considéré comme un patient (« le plus petit patient » disait, il y a 40 ans, un de ses membres, le fondateur des Cecos, Georges David), et donc susceptible de recevoir des soins, ce qui légitimerait son transfert in utero à l’issue de tels « soins », c’est à dire après la recherche. Pour assurer des conditions conformes aux principes généraux de la recherche biomédicale, le comité d’éthique de l’INSERM demande donc la création d’une « embryothèque » centralisée qui soustrairait les embryons donnés pour la recherche aux acteurs incompétents que sont les praticiens de l’AMP (la recherche n’est effectivement pas leur métier) et aussi à la bureaucratie de l’ABM. Il faudrait ensuite que l’Agence nationale de la recherche (ANR) flèche des financements spécifiques pour que des chercheurs compétents puissent s’emparer des embryons. Ainsi serait réalisées des expériences, dont on vérifierait les effets par l’induction de grossesses, dont on ne sait pas s’il est prévu de les interrompre avant terme. Autrement dit, le comité d’éthique de l’INSERM prône un nouveau contexte qui réifierait intégralement l’embryon humain objet de la recherche, ce projet étant bien sûr assorti des phrases nécessaires pour témoigner de la « valeur » accordée à notre embryon et à la vigilance pour son « bien-être » puisqu’il s’agit de « mettre l’embryon humain à sa juste place avec tout le respect qui lui est dû ». Un tel projet avait déjà été avancé par un rapport parlementaire dès 2011, sans être jamais repris s’indigne le comité INSERM, dont la note se termine par la promesse d’un futur pas en avant grâce à un nouveau rapport qui sera consacré à la modification génétique et à la création d’embryons destinés à la recherche, nous y reviendrons. Un colloque d’une autre institution, l’Académie des sciences, tenu en février 2017, a repris ces réflexions et propositions[2]. Tout en insistant sur la nécessité de tenir régulièrement de telles assemblées de mise au point afin d’évaluer les évolutions techniques et leur acceptabilité sociale, façon d’affirmer qu’il n’existe pas de principes éthiques mais seulement une politique des petits pas. Pour cela, le comité d’éthique de l’INERM se réclame de la condition législative qui veut que la recherche bénéficie à l’embryon mais en plaidant qu’ « elle bénéficie indirectement aux embryons futurs et elle bénéficie directement à l’embryon lui-même quand, dans un deuxième temps, il peut être transféré dans l’utérus  à fin de gestation »…[3]Cette proposition n’est défendable qu’en admettant qu’il existerait des recherches forcément bénéfiques à l’embryon, un postulat qui reste à démontrer. On s’étonne que la législation se soit déjà emparée subrepticement de cette révolution éthique : contrairement à la règle qui veut que tout changement législatif important soit le fruit des Etats-Généraux périodiques, une modification considérable a été introduite par le biais de la loi santé en 2016[4]. Celle-ci prévoit que des recherches sur l”embryon in vitro soient menées « avant ou après » son transfert in utero afin de prévenir ou soigner des pathologies.

 

Correction de l’embryon

 

A l’instar de diverses assemblées internationales de chercheurs, et de la loi de 2016 citée ci-dessus, le groupe « embryon et développement » du comité d’éthique de l’INSERM a récemment argumenté pour que l’embryon défectueux puisse être corrigé avant son transfert in utero.[5] Cette proposition omet que des embryons normaux sont presque toujours disponibles à l’issue du DPI, si bien que cette ouverture audacieuse n’empêcherait pas qu’augmente le stock d’embryons congelés. Pour ses avocats, la correction du génome embryonnaire serait justifiée par l’existence, heureusement très rare, de couples se trouvant dans l’impossibilité de générer des embryons indemnes d’une pathologie (quand les deux géniteurs potentiels sont homozygotes pour la même mutation) et pour lesquels le DPI serait impuissant. Outre qu’aucune technique disponible (dont CRISPR-cas9) n’est suffisamment maitrisée pour éviter les effets « hors cible » des modifications génétiques, l’expérimentation de tels essais impliquerait la modification héréditaire et aléatoire du génome humain. Certains praticiens arguent ainsi de situations dramatiques mais rarissimes, comme pour disposer de leviers afin de supprimer tous les interdits applicables à l’ensemble de la communauté humaine, en fondant la règle sur l’exception. Ainsi pour le changement de mitochondries (« bébé à 3 parents ») ou la sélection pour compatibilité immunitaire (« bébé médicament »). La bioéthique pourrait affirmer des limites à l”intervention biomédicale en posant clairement que la procréation est toujours une fonction aléatoire, dont la réalisation est parfois impossible ou non souhaitable.

 

Des exigences contre la bioéthique

 

A noter que le « bébé-médicament » ou DPI/HLA qui a suscité bien des affrontements éthiques avant son autorisation semble n’avoir permis qu’une seule naissance en France et ne fait l’objet d’aucune demande depuis au moins 2013. Comme si le législateur avait été abusé par l’exigence médicale, laquelle cachait l’existence d’une alternative puisque des cellules compatibles avec presque tous les  patients sont disponibles pour la greffe, en particulier dans les banques de cellules de cordon.

 

La demande pressante de libéraliser tous les usages possibles de l’embryon rappelle aussi les exigences de praticiens français pour la recherche avec les cellules souches embryonnaires il y a une dizaine d’années, l’argumentation étant que de telles recherches étaient déjà possibles dans de nombreux pays industrialisés, qu’elles étaient indispensables au progrès thérapeutique et ne pouvaient pas attendre les résultats de recherches comparables chez l’animal. Aujourd’hui, les chercheurs français peuvent utiliser ces cellules mais la Chine, les USA, la Grande Bretagne planifient déjà des travaux pour modifier l’embryon humain. Alors la pression scientifique se nourrit une nouvelle fois des arguments de l’économie compétitive afin que la France ne soit pas distancée. Nous voilà loin de l’éthique revendiquée ! Et puisque les recherches françaises sur l’embryon sont inexistantes, bien qu’enfin autorisées, comment analyser le cri d’alarme de la ministre de la recherche qui déplorait en 2013 que, en conséquence de la sévérité bioéthique, « des équipes françaises passent à côté de contrats européens ou ont du mal à attirer des investissements » ?

 

A l’occasion de la journée annuelle du comité d’éthique de l’INERM en juin 2017[6], des propositions pour faire évoluer la Convention d’Oviedo, ratifiée par la France en 2011, ont été avancées. Arguant que cette convention pour la protection des droits de l’homme en rapport avec les applications de la biomédecine reflète un « contexte de méfiance envers les avancées biomédicales », les représentants du comité souhaitent « promouvoir la confiance plutôt que la méfiance… s’inscrire dans une visée d’accompagnement plutôt que d’interdiction », tout ceci dans une novlangue adaptée aux exigences impérieuses de la recherche. Alors, la modification du génome de la lignée germinale est légitimée, à condition que les « garanties d’efficacité et d’innocuité » soient réunies, des conditions qui sont pourtant impossibles à assurer pour encore bien longtemps puisque les effets de la technique réputée la plus « sure » et « efficace » (CRISPR) font déjà l’objet de nombreuses analyses critiques. Par ailleurs, l’embryon humain ne devrait être investi d’une quelconque « valeur morale » qu’en fonction du projet de ses parents, ce qui permettrait d’autoriser « la création d’embryons pour la recherche hors projet parental ». Cette vision très utilitariste de l’embryon humain déboucherait donc sur la création de nouveaux embryons alors que des dizaines de milliers demeurent disponibles pour la recherche. Faudra-t-il recourir à des mères porteuses financées par l’ANR pour assurer, grâce à la naissance de bébés, la validation des expérimentations ? Quelle logique est en jeu dans cet acharnement à exiger que l’embryon humain soit livré à la recherche ? On pourrait admettre qu’« au delà de la revendication habituelle des chercheurs pour refuser toute limite à leur activité, il est possible que le refus d’une protection apportée par le droit uniquement à ce stade de l’être humain (la recherche étant possible à tous les moments ultérieurs de la vie et jusqu’après la mort) ait suscité une volonté d’appropriation de l’embryon. Tout se passe comme si l’enjeu véritable n’était ni la connaissance ni la médecine mais l’emprise de l’humanité sur tous les stades de son être. » [7].Jacques

Il reste à savoir quels bénéfices l’humanité, l’embryon, la science et la biomédecine respectivement pourraient retirer de la libéralisation complète de la bioéthique telle qu’elle est proposée par les militants de la sécularisation de l’embryon humain.

 

Un mot sur le clonage

 

Le code pénal énonce que le crime de clonage reproductif s’entend du fait « de provoquer autrui à se prêter à un prélèvement de cellules ou de gamètes, dans le but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée » (art 511-1-2). Ainsi le clonage d’un embryon serait exonéré de ce crime puisque l’embryon, objet de cette manipulation, n’a jamais été une personne, seulement une personne humaine potentielle selon le CCNE ou une personne par anticipation selon certains juristes[8]. Multiplier un embryon par clonage ne semble donc pas illégal, cela relèverait du cadre de la recherche sur l’embryon, donc sous l’égide de l’ABM plutôt que de la loi. Pourtant, c’est seulement au stade embryonnaire qu’il est possible d’accomplir un clonage véritable en séparant les premiers blastomères (cellules totipotentes), et donc de dupliquer simultanément le génome et d’autres éléments caractéristiques de l’individu (mitochondries, organites plasmiques,…), comme il arrive pour les vrais jumeaux. Rappelons que le transfert d’un noyau cellulaire dans un ovule énucléé, abusivement nommé « clonage », correspond seulement à la redistribution de l’ADN nucléaire dans un nouvel organisme. Rappelons aussi que cette intervention est déjà pratiquée sous le nom de « bébé à 3 parents » dans certains pays, tous opposés au « clonage », afin déviter des maladies mitochondriales. Enfin, signalons que le séquençage du génome embryonnaire pourrait conduire à identifier des embryons « de qualité » exceptionnelle, avec la tentation de les cloner. La récente naissance en Chine de 2 singes, après transfert dans des ovules de noyaux cellulaires issus de fœtus, montre que les primates aussi peuvent être « clonés ». Aussi semble-t-il souhaitable que l’interdit du clonage porte sur l”être humain plutôt que sur la personne.

 

Pour aller plus loin :

Bioéthique et Embryons in vitro : Où en est l’assistance médicale à la procréation ?

Bioéthique et Embryons in vitro : Diagnostic pré-implantatoire, la face cachée d’un l’eugénisme démocratique ?

 

[4]Loi santé n° 2046-41 du 26 janvier 2016

[7] J Testart : La recherche sur l’embryon. Ecole nationale de la magistrature, décembre 2014, http://jacques.testart.free.fr/pdf/texte945.pdf

[8]Astrid Marais, Droit des personnes, p31, 3° édition 2018.

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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