IVG : une révision constitutionnelle dépourvue de sens

Publié le 23 Jan, 2023

La création d’un “droit à l’IVG” dans la Constitution sera débattue pour la deuxième fois au Sénat ces prochains jours. À cette occasion, Nicolas Bauer, chercheur associé à l’ECLJ et doctorant en droit, s’étonne qu’une telle insertion soit envisagée au sein du titre VIII, consacré à l’autorité judiciaire. Selon lui, ce choix politique n’a juridiquement aucun sens.

En octobre 2022, le Sénat s’était opposé à l’ajout d’un “droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG)” dans la Constitution (cf. Les Sénateurs rejettent la constitutionnalisation de l’avortement). Il est de nouveau amené à se prononcer sur le sujet le 1er février 2023. Cette fois, la proposition de loi constitutionnelle qui sera débattue a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale (cf. Le « droit à l’avortement » en chemin vers la Constitution). Elle avait été déposée par la députée Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise-Nupes à l’Assemblée.

Ce texte, largement modifié par l’Assemblée, est formulé ainsi : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. » Si la procédure de révision constitutionnelle aboutit, cette phrase a vocation à devenir l’article 66-2 de la Constitution. Une telle insertion d’un “droit à l’IVG” dans une Constitution n’a qu’un seul précédent : la Yougoslavie communiste de Tito (cf. « Aucun État n’a inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution, sauf l’ex-Yougoslavie »).

Le choix déconcertant du titre VIII, « De l’autorité judiciaire »

Mathilde Panot a indiqué vouloir créer un article 66-2 « pour inscrire ce principe [du droit à l’IVG] au rang des libertés fondamentales individuelles, au même titre que l’interdiction de la peine de mort ». Une révision constitutionnelle avait déjà, en 2007, créé un article 66-1 consacrant l’abolition de la peine capitale. Le “droit à l’IVG” serait ainsi ajouté à la suite du principe selon lequel « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée, a approuvé ce choix.

Pourtant, les articles 64 à 66-1 appartiennent au titre VIII de la Constitution, qui est intitulé « De l’autorité judiciaire ». Autrement dit, c’est le chapitre de la Constitution qui concerne l’organisation de la justice. Il traite de l’indépendance de l’autorité judiciaire (article 64), du Conseil supérieur de la magistrature (article 65), puis interdit toute détention arbitraire (article 66). L’ajout en 2007 de l’interdiction de la peine capitale (article 66-1) relève du même thème. En revanche, le rapport entre l’avortement et le pouvoir judiciaire ne saute pas aux yeux.

Une instrumentalisation idéologique de la Constitution

Pour justifier d’un tel rapport, Mmes Panot et Bergé ont invoqué une précision présente à l’article 66 de la Constitution. L’autorité judiciaire y est qualifiée de « gardienne de la liberté individuelle », liberté dont l’IVG ferait partie. Ce raisonnement est bancal, car l’article 66 a pour objet le cadre judiciaire. C’est ce qu’ont rappelé trois professeurs de droit public, pourtant militants pro-IVG. Ils estiment que la création d’un article 66-2 n’est pas pertinente, « puisque par définition il s’agit de consacrer un droit […] en dehors de toute procédure judiciaire ».

Mmes Panot et Bergé avaient envisagé divers emplacements dans la Constitution pour insérer un “droit à l’IVG”, mais ont affirmé n’en avoir trouvé aucun de plus opportun. En réalité, la Constitution de 1958 n’a pas été conçue pour consacrer des droits individuels mais pour organiser les institutions étatiques (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : « On ne joue pas avec la norme constitutionnelle » [Interview]). L’idée d’y ajouter un catalogue de droits se calque sur des modèles étrangers. Cet argument n’a que peu de valeur pour La France insoumise, qui vise à terme de remplacer la Constitution par une autre, “fourre-tout” de valeurs de gauche.

Condamnation de l’innocent et réhabilitation du coupable

Faute d’avoir une motivation juridique réelle, la proposition d’insérer l’IVG à la suite de l’interdiction de la peine de mort a une explication politique. Il s’agit de s’appuyer sur une précédente révision constitutionnelle, qui avait été plébiscitée par le Parlement. En 2007, seuls 26 parlementaires sur 876 s’étaient opposés à la constitutionnalisation de l’abolition de la peine capitale. Or, pour Aurore Bergé, « l’IVG est un principe intangible et doit le rester, au même titre que l’interdiction de la peine de mort ».

Cette référence à l’abolition de la peine de mort est évidemment paradoxale. L’interdiction de la peine de mort visait à préserver la vie des pires criminels. Le “droit à l’IVG”, au contraire, promeut la mise à mort légale d’enfants innocents. Un pouvoir judiciaire avec de telles assises constitutionnelles ne pourrait plus prétendre rendre la justice. Il condamnerait l’innocent, tout en conférant au coupable une dignité absolue, inversant ainsi les principes fondateurs de la civilisation.

 

Cette tribune de Nicolas Bauer a été initialement publiée par Valeurs actuelles.

Nicolas Bauer

Nicolas Bauer

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Nicolas Bauer est chercheur associé à l’ECLJ et doctorant en droit.

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