IVG, recherche sur l’embryon en AMP, le Conseil Constitutionnel restreint les “libertés personnelles”

Publié le 26 Jan, 2016

La loi de modernisation de notre système de santé et la décision du Conseil constitutionnel du 21 janvier 2016 (C. const, n° 2015-727 DC) resteront comme une pierre noire dans notre droit, à de nombreux titres. Avec notamment l’acceptation des salles de « shoot », appelées « salles de consommation des drogues à moindre risque », mais surtout, eu égard à deux points qui restreignent les libertés personnelles : celle de la femme qui souhaite avorter et celle de l’enfant à naître en autorisant à moindre frais la recherche sur l’embryon.

 

 

Les fragiles protections de l’enfant à naître et de la femme enceinte disparaissent de notre droit.

 

L’article 82 de la loi Santé supprime le délai d’une semaine entre la demande de la femme d’interrompre sa grossesse et la confirmation écrite de cette demande. Cette mesure de bon sens, inscrite dans la loi Veil de 1975, était destinée à proposer à la femme de réfléchir à un acte grave et d’en saisir les enjeux.

 

La position idéologique du ministre de la Santé, mettant en avant la liberté absolue de la femme souhaitant avorter, a conduit le législateur à supprimer ce dernier rempart de liberté intérieure de la femme, qui, dans ce délai, pouvait être conseillée. Le Conseil constitutionnel n’y a vu aucune atteinte, ni à la dignité de la personne humaine, ni à la liberté de la femme, en des termes choisis.[1]

 

La réponse du Conseil constitutionnel qui avalise ce dispositif est de considérer que la demande d’avortement et la confirmation écrite ne peuvent intervenir au cours de la même consultation. Ce raisonnement souligne l’artifice de cette justification puisque la suppression expresse du délai de réflexion peut conduire à la succession de la demande et de sa confirmation dans le délai le plus bref (24 heures ?). On verra ce que la pratique des services hospitaliers donnera, mais il y a fort à parier que cette succession de demande et de décision sera fort brève.

 

On souligne que la référence à la liberté de la femme, fondée sur l’article 2 de la Déclaration de 1789, est une constante des décisions du Conseil constitutionnel dans ce domaine, sorte de leitmotiv permanent du droit à l’avortement, qu’il s’agisse de la décision de 1975 portant sur la loi Veil, de celle de 2001 allongeant le délai de recours à l’IVG, ou encore celle de 2014 sur la suppression de la condition de détresse, qui était pourtant une sorte de pierre d’angle de la loi de 1975 et qui devait garantir une modération du recours à l’avortement. On connaît la suite…

           

L’une après l’autre, les fragiles protections de l’enfant à naître, comme de la femme enceinte, disparaissent de notre droit, avec l’assentiment du juge constitutionnel. Le droit à la vie de l’enfant à naître devra être un jour inscrit dans notre Constitution puisque ceux qui doivent protéger ce droit ne le veulent pas.

 

 

L’élargissement de la recherche sur l’embryon à l’assistance médicale à la procréation : un détournement de pouvoir ?

 

L’article 155 de la loi institue la possibilité de recherches biomédicales menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation sur des gamètes destinées à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent. Le texte ajoute que ces recherches sont menées dans le cadre général des recherches biomédicales.

 

Ce texte comporte une subtilité qui n’est pas visible à première vue. Ce texte nouveau, introduit d’ailleurs par un amendement du Gouvernement, donc non soumis au contrôle préparatoire du Conseil d’État et des commissions parlementaires, ce qui interroge, s’insère dans un article du Code de la santé publique (art. L. 2151-5) qui prévoit pourtant que « les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation ».

 

Les parlementaires requérants soutenaient, avec raison selon nous, que les conditions d’encadrement des recherches autorisées étaient très faibles : aucune précision sur le but de ces recherches, ni, au fait qu’elles soient menées sans porter atteinte à l’embryon ou bien qu’elles se fassent au bénéfice de l’embryon ; pas de précision sur les conditions dans lesquelles est recueilli le consentement du couple, alors que sur un sujet aussi sensible et considérant les risques potentiels, cet accord devrait au minimum être éclairé et formalisé par écrit. Les parlementaires soutenaient ainsi que ces absences de garanties auraient dû être clairement inscrites dans la loi.

 

Le texte permet en réalité de déroger pour ces recherches biomédicales sur des embryons humains destinés à être implantés, à toute procédure d’autorisation et de contrôle spécifique prévues pourtant dans l’article du Code dans lequel il est inséré. En renvoyant ces recherches aux seules conditions fixées par la première partie du code de la santé publique qui régit les recherches biomédicales, autres que la recherche sur l’embryon, les conditions énumérées dans cet alinéa paraissaient aux saisissants du Conseil constitutionnel imprécises et équivoques, et donc contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

 

Cette référence au seul cadre général des recherches biomédicales conduisait donc à ne pas respecter les « garanties effectives » que le Conseil constitutionnel avait identifié comme l’expression de garanties constitutionnelles dans sa décision du 1er août 2013 (n° 2013-674 DC, § 17), illustrant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, de valeur constitutionnelle. Bien plus, ce détournement de la fonction protectrice de l’article L. 2151-5 du Code de la santé publique pourrait être reconnu comme un détournement du processus législatif et de la signification de la loi, constitutif d’un détournement de pouvoir.

 

Le Conseil constitutionnel répond en déclarant l’amendement introduit conforme à la Constitution. [2]

Il considère que la procédure nouvellement instituée prend suffisamment en considération le consentement du couple et surtout que le « bilan coût de recherche – bénéfice pour l’embryon » (on notera l’emploi du mot « bénéfice »…) justifie ces recherches. Il conviendra justement, dans l’application de cette mesure de le vérifier, au besoin en sollicitant le juge ! Le Conseil considère également que le contrôle de l’agence nationale de sécurité du médicament est suffisant.

 

Il faut prendre la mesure de cette nouvelle disposition. Ce que le législateur précédent avait fortement encadré, après de longs débats, se trouve anéanti en ouvrant la porte à une large recherche sur l’embryon qui, selon le Conseil constitutionnel, « ne méconnaît pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». No limit.

 

 

Pour lire la décision du Conseil Constitutionnel, cliquez ici. 

 

[1] « 43. Considérant, d’une part, qu’en supprimant le délai d’une semaine entre la demande de la femme d’interrompre sa grossesse et la confirmation écrite de cette demande, le législateur n’a pas rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, dès lors que l’article L. 2212-5 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de l’article 82 fait obstacle à ce que la demande d’interruption de grossesse et sa confirmation écrite interviennent au cours d’une seule et même consultation ;

44. Considérant, d’autre part, qu’aucune exigence de valeur constitutionnelle n’impose de façon générale le respect d’un délai de réflexion préalablement à la réalisation d’un acte médical ou chirurgical ; que, par suite, l’article 82, qui ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ».

 

[2]             « 85. Considérant que les dispositions contestées prévoient de soumettre à essais cliniques des techniques en cours de développement et destinées à améliorer l’efficacité des méthodes de procréation médicalement assistée ou à prévenir ou soigner des pathologies chez l’embryon ; que ces essais cliniques, qui sont menés au bénéfice de l’embryon lui-même ou de la recherche en matière de procréation médicalement assistée, ne conduisent pas à exposer l’embryon à un risque sans proportion avec le bénéfice attendu ; que la réalisation de ces essais cliniques est subordonnée, d’une part, au consentement de chaque membre du couple et, d’autre part, au respect des garanties qui s’attachent aux recherches biomédicales prévues au titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique ; qu’ainsi ces essais sont, en particulier, soumis à la délivrance préalable d’une autorisation par l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et menés dans le respect du principe de la primauté de l’intérêt de la personne qui se prête à une recherche, et du principe de l’évaluation de la balance entre les risques et les bénéfices ; que, par suite, le paragraphe III de l’article 155 ne méconnaît pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».

 

 

Guillaume Drago

Guillaume Drago

Expert

Docteur en droit et agrégé de droit public, Guillaume Drago est professeur de droit public à l'Université Panthéon-Assas Paris II. Il a été également directeur de l'Institut Cujas, fédération de recherche en droit public, doyen de la faculté de droit et de science politique de Rennes ainsi que conseiller technique chargé des relations avec les organisations professionnelles, auprès du Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche François Fillon. Spécialiste reconnu de contentieux constitutionnel français, il est l'auteur de nombreuses publications.

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