Trois personnes souffrant d’une « grave déficience visuelle » et ayant reçu une greffe de cellules souches ont vu leur vue s’améliorer « considérablement » et ce, depuis plus d’un an. Chez une quatrième personne, cette amélioration n’a été que temporaire. Ces quatre patients sont les premiers à recevoir des greffes de cellules souches reprogrammées pour traiter des « cornées[1] endommagées ».
Les chercheurs ont publié leurs résultats dans The Lancet [2]. Selon Kapil Bharti, chercheur au US National Eye Institute, à Bethesda, dans le Maryland, ils sont « impressionnants ».
Des cellules reprogrammées
La couche externe de la cornée est entretenue par un « réservoir » de cellules souches logées dans l’anneau limbique, l’anneau sombre autour de l’iris. Lorsque cette source est épuisée, cela provoque un trouble appelé déficit en cellules souches limbiques (DCSL). Du tissu cicatriciel recouvre la cornée, ce qui peut conduire à la cécité. Ce déficit peut résulter d’un traumatisme oculaire ou de maladies auto-immunes ou génétiques.
Les traitements du DCSL sont limités. Ils impliquent généralement la transplantation de cellules cornéennes dérivées de cellules souches prélevées sur l’œil sain d’une personne, « une procédure invasive aux résultats incertains ». Lorsque les deux yeux sont atteints, une greffe de cornée provenant d’un donneur décédé peut être envisagée, avec un risque de rejet.
Le professeur Kohji Nishida, ophtalmologue à l’université d’Osaka au Japon, et ses collègues ont utilisé une autre source de cellules, les cellules souches pluripotentes induites (iPS), pour réaliser les greffes de cornée. Pour ce faire, ils ont prélevé des cellules sanguines sur un donneur sain et les ont « reprogrammées à l’état embryonnaire », avant de les différencier afin d’obtenir « une fine feuille transparente de cellules épithéliales cornéennes ».
Un traitement bien toléré
Entre juin 2019 et novembre 2020, l’équipe a recruté quatre patients : deux femmes et deux hommes âgés de 39 à 72 ans, atteints de DCSL dans les deux yeux. Après leur avoir enlevé la couche de tissu cicatriciel recouvrant leur cornée endommagée, les chercheurs ont implanté les « feuilles » de tissu dérivées d’un donneur et ont placé une lentille de contact protectrice sur le dessus. Un seul œil a été opéré chez chaque patient.
Les quatre receveurs ont montré une « amélioration immédiate » de leur vision et une « réduction de la zone de la cornée affectée ». Les améliorations ont persisté chez tous les receveurs sauf un, qui a montré de « légers revers » au cours de la période d’observation d’un an.
En outre, deux ans après les greffes, aucun des receveurs n’a ressenti d’effets secondaires graves. Les greffons n’ont pas généré de tumeurs et n’ont pas montré de signes d’attaque par le système immunitaire des receveurs, même chez les deux patients qui n’ont pas reçu de traitement immunosuppresseur.
Des essais cliniques à venir
Pour Kapil Bharti, « on ne sait pas exactement ce qui a provoqué les améliorations de la vision ». Il est possible que les cellules transplantées aient elles-mêmes proliféré dans les cornées des receveurs. Mais les gains de vision pourraient également être dus à l’élimination du tissu cicatriciel avant la transplantation, ou au fait que la transplantation a déclenché la migration des propres cellules du receveur depuis d’autres régions de l’œil et le rajeunissement de la cornée.
Le professeur Nishida indique prévoir de lancer des essais cliniques au mois de mars pour évaluer l’efficacité du traitement. Plusieurs autres essais basés sur les cellules iPS sont en cours dans le monde afin de traiter des maladies oculaires (cf. Glandes surrénales, yeux, moelle osseuse… Les cellules iPS, un couteau suisse ?). Cette année, ces cellules ont également permis de traiter le diabète chez une patiente chinoise (cf. iPS : une jeune femme diabétique produit sa propre insuline).
[1] surface externe transparente de l’œil
[2] Soma, T. et al. Induced pluripotent stem-cell-derived corneal epithelium for transplant surgery: a single-arm, open-label, first-in-human interventional study in Japan, Lancet https://doi.org/10.1016/S0140-6736(24)01764-1 (2024).
Sources : Nature, Smriti Mallapaty (08/11/2024) ; Wired, Mariam Khan (11/11/2024)