“Interruption Médicale de Grossesse” : vers un eugénisme assumé

Publié le 29 Juin, 2017

Lors du séminaire européen, qui s’est tenu à Bruxelles à la COMECE[1] le 22 juin dernier sur « La prévention de l’avortement en Europe Â», Jean-Marie Le Méné est intervenu pour dénoncer la pression eugéniste qui, du dépistage à l’IMG, fait le lit du transhumanisme.

 

L’interruption médicale de grossesse (IMG) est l’avortement d’un enfant parce qu’il est faible, malade ou handicapé. A la différence des causes de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui sont centrées sur la femme, les causes de l’IMG sont centrées sur l’enfant. Ce n’est donc pas parce que la femme est en détresse que sa grossesse est considérée comme impossible, c’est parce que sa grossesse est considérée comme impossible que la femme est en détresse. Alors que les causes de l’IVG n’ont pas besoin d’être formulées car la détresse dépend de l’appréciation souveraine de la femme seule, les causes de l’IMG sont évolutives car elles dépendent de techniques de diagnostic de plus en plus élevées et d’un seuil de tolérance médicale de plus en plus bas. Tandis que les causes de l’IVG sont de nature personnelle et privée, les causes de l’IMG font intervenir des critères socio-économiques qui ont des conséquences collectives et publiques. Pour ces raisons, l’IMG comporte une dimension eugénique qui lui est propre. Et pourtant, l’IMG apparait comme une pratique déculpabilisée et même positivée.

 

Parce qu’elle n’est pas considérée comme un acte de convenance, l’IMG est un avortement déculpabilisé.

 

1/ L’IMG n’est pas choisie par la femme mais subie par elle

 

a – L’IMG bénéficie d’une comparaison favorable avec l’IVG

L’histoire de l’IVG commence par des propositions initiales de suppression d’enfants malformés qu’on pouvait détecter grâce aux nouveautés du caryotype et de l’imagerie. C’est dans la brèche ainsi créée que s’est installée l’IVG. La célébration de cette victoire de la liberté des femmes – sans raison à invoquer autre que la détresse et avec des délais contraints – éclipsera l’IMG qu’on a commencé par appeler interruption thérapeutique de grossesse et qui sera permise sans délais et pour de multiples raisons. Pour les pro-choix, si l’avortement sans autre condition que celle du délai contraint est permis, a fortiori l’avortement pour de « bonnes raisons Â» doit être permis sans limitation.

 

Dans l’esprit de ceux qui répugnent à l’avortement, il se crée ainsi une frontière morale entre l’avortement dit de convenance et l’avortement dit thérapeutique. Le premier fait l’objet d’une réserve parce qu’il est soupçonné d’être égoïste, le second fait l’objet d’une tolérance, voire d’un accompagnement, parce qu’il s’impose à la femme.

 

b – Des diagnostics qui ne prêtent pas à discussion

Les outils de plus en plus performants du diagnostic anténatal mettent à jour des pathologies qui, parce qu’elles sont aujourd’hui dépourvues de traitement, conduisent presque toujours à interrompre une grossesse sans discussion. Tel est le cas en particulier de la trisomie 21. « Il est généralement admis, par exemple, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fÅ“tus atteint de trisomie 21 peut, légitimement, au sens de l’éthique collective et individuelle, bénéficier d’une IMG. Il existe une sorte de consentement général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une IMG pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, a répondu pour eux. Tout le monde, ou presque, aurait agi de la même façon. L’indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c’est un droit. Qui d’ailleurs songerait à le leur disputer ? L’économie sera faite ici de lancinantes interrogations sur la pertinence du choix Â»[2] . Ces propos qui concernent la trisomie – affection non létale – valent a fortiori pour les affections létales du fÅ“tus.

 

2/ L’IMG n’est pas mise en œuvre par la femme mais par le médecin

 

a – Les médecins assument ce choix pour les parents la charge d’un choix impossible

L’IMG n’est pas l’affaire de la femme mais celle des médecins. C’est à eux seuls que la loi donne liberté pour proposer à la femme d’interrompre sa grossesse sous réserve qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection grave et incurable au moment du diagnostic.

 

Or non seulement la femme ne propose pas et n’a qu’à disposer mais si l’indication est ambiguë, les médecins estiment qu’il relève de leur responsabilité d’assumer un choix trop lourd pour elle. Le corps médical n’hésite même pas à prendre sur lui la responsabilité d’une décision sensée épargner à la femme le remords d’un mauvais choix. S’il s’avère que le diagnostic était erroné et que l’IMG a conduit à l’avortement d’un enfant sain (cas des faux positifs), le médecin cachera la réalité à la femme. Etant presque imposée par le praticien pour des raisons d’humanité qui sont sans appel, l’IMG peut être facilement perçue comme une sorte d’accident pénible et inévitable autant pour la femme que pour son médecin.

 

b – L’eugénisme est individuel, il n’est pas collectif

La pratique qui aboutit à la suppression de populations entières triées sur la base d’une imperfection phénotypique ou génotypique est caractéristique de l’eugénisme. Mais l’identification de cette pratique ne fait plus peur à personne, elle est même revendiquée par une partie du corps médical dès lors qu’elle est individuelle et non pas collective, qu’elle est médicale et non pas criminelle. Pour le Pr Jacques Milliez déjà cité, rien ne distingue un eugénisme médical d’un eugénisme criminel dans les modalités d’exécution ni dans les modes opératoires. Ce qui justifie l’eugénisme médical, c’est « la pureté de l’intention, la sincérité de la motivation et la qualité de la finalité poursuivie […] Tout tient dans l’intention. L’euthanasie fÅ“tale n’est tolérable éthiquement dans sa dimension eugénique que parce qu’elle n’est conçue, organisée, préméditée que pour l’intérêt des personnes, le bénéfice individuel des couples et qu’elle est acceptée par eux dans la plus absolue liberté, sans la moindre contrainte extérieure […] Elle procède donc bien d’une attitude compassionnelle, individuelle et consentie […] Elle représente le contraire d’une soumission aux directives d’une entreprise de santé publique, d’un programme économique ou politique meurtrier Â». Cette position n’est pas isolée. L’opinion publique est donc rassurée : il y a un bon eugénisme à louer et un mauvais à condamner.

 

Parce qu’elle s’inscrit dans une perspective sanitaire et solidaire, l’IMG est un avortement positivé

 

1/ L’IMG est un mal nécessaire pour prévenir certaines maladies

 

a – Extraire du ventre des femmes des enfants indésirables (par le DPN)

Des politiques publiques de dépistage, généralisées, systématiques et remboursées par l’assurance maladie, sont mises au point et régulièrement améliorées pour diminuer le nombre de naissances d’enfants handicapés ou malades. Ces systèmes reposent sur trois critères : la faisabilité technique, l’économie calculée du coût de la vie d’une personne handicapée, l’aversion vis-à-vis de la faiblesse. Ils accréditent l’idée que la naissance d’un enfant imparfait étant un « désordre Â» et un « malheur Â», l’évitement par l’IMG de telles naissances rétablit l’ordre dans la société et le bonheur dans la famille. Ainsi l’IMG acquiert progressivement une coloration positive.

 

Les techniques de dépistage ne cessant de se perfectionner, il convient de citer le dépistage prénatal non invasif (DPNI) qui se répand partout dans le monde actuellement. Il présente la particularité de se fonder sur une découverte majeure : la présence dans le sang maternel de traces du génome de l’enfant qu’elle porte. Ce progrès permettra d’éviter le geste dangereux de l’amniocentèse (ce qui constitue un argument marketing). Il fournira aussi des informations plus précises et plus précoces à un stade de la grossesse où la femme se situe encore dans le délai de l’IVG (et non pas de l’IMG). Il en résultera une révolution dans le dépistage prénatal dans la mesure où la femme seule pourra décider d’avortements eugéniques sur la base même de simples dispositions. Ainsi l’IVG deviendra eugénique, ce qu’il n’était pas. S’agissant de la trisomie 21 dont les fÅ“tus atteints sont éliminés à 96 %, les chiffres permettront d’atteindre les 100 %. Le DPNI a été développé par des entreprises américaines qui n’ont pas caché les perspectives extrêmement lucratives de ce nouveau test marqué par l’obsession de l’exhaustivité et la crainte de rater la cible[3].

 

b – N’introduire dans le ventre des femmes que des enfants désirés (par le DPI)

De l’extraction des enfants indésirables par le DPN à l’introduction d’enfants désirés, préalablement triés par le DPI, il y a une continuité inévitable. Le DPI est présenté comme permettant de résoudre la question douloureuse de l’avortement puisque, justement, il épargne l’IMG à la femme, la sélection étant pratiquée avant l’implantation dans l’utérus à la suite d’une procréation médicalement assistée. Les évolutions actuelles vers le prélèvement systématique d’ovules chez toutes les femmes, leur tri, leur vitrification et leur lucrative conservation en banque dans le but de satisfaire un projet parental ultérieur « augmenté Â» par génie génétique permettront d’exercer la pression eugénique non plus seulement sur l’enfant mais aussi sur les gamètes. Nous sommes typiquement dans le transhumanisme qui mêle progrès, eugénisme et profit (cf. Transhumanisme et eugénisme : L’humanité en question ? et Des intérêts financiers à l’origine des pressions visant à intégrer le DPNI dans le dépistage de la trisomie 21 ?).

 

Là encore l’amélioration des techniques permet aux scientifiques, au marché et au législateur de donner l’illusion de progrès éthiques. En réalité, il faut avoir conscience qu’il ne s’agit que de progrès techniques qui interviennent dans le cadre général d’une acceptation de l’eugénisme dont le principe n’est même plus discuté ni discutable.

 

2/ Par l’action en wrongful life[4] et la substitution d’enfant, l’IMG devient un moyen de faire le bien

 

a – L’action en wrongful life

Elle ne fait que tirer la conséquence sur un plan juridique et financier des politiques eugénistes. Si la naissance d’un enfant handicapé ou malade survient alors que tout doit être fait pour qu’elle ne survienne pas, il est logique de considérer que les parents et la société subissent un préjudice. Telles sont les jurisprudences qui se développent peu à peu en ce sens dans les pays développés. La règle étant la naissance d’un enfant normal, c’est l’avortement qui rétablit la norme, l’ordre, la sécurité, la paix et le bonheur. Le non-avortement devient une perte de chance qui doit pouvoir être invoquée, valorisée et compensée financièrement. De nombreux médecins ont déjà été condamnés à la suite de procès intentés au nom de la personne handicapée elle-même, des parents mais aussi des frères et sœurs…

 

Le système est en marche vers une privatisation de la prise en charge des enfants nés malades ou handicapés dès lors que leurs mères n’auraient pas accepté de subir les tests prénataux. Les primes d’assurance augmenteront également pour ces femmes récalcitrantes et leurs médecins.

 

Des signes avant-coureurs préfigurent la société de demain : ainsi en France le CSA a interdit aux chaines de TV la diffusion d’un clip montrant des enfants trisomiques heureux au motif que cette présentation pouvait culpabiliser des femmes ayant avorté. Ce dossier est actuellement devant la CEDH (cf. Censure de la vidéo « Dear Future Mom Â» : une requête déposée auprès de la CEDH et « Dear Future Mom Â» : l’intérêt général s’efface devant le choix personnel).

 

b – La substitution d’enfants

En réalité, l’enfant à naître est devenu interchangeable, monnayable et négociable s’il ne correspond pas au projet parental. L’IMG est devenu une technique de procréation de l’enfant conforme aux canons de la société. Les praticiens de l’IMG ne cessent d’ailleurs de proclamer qu’ils sont natalistes et qu’ils travaillent au bonheur des femmes qui veulent des enfants correspondant à leur choix. Ce qui compte ce n’est plus la réalité de tel enfant mais l’idée d’enfant, l’enfant virtuel plus que l’enfant réel. La technique le permet, le marché y trouve son intérêt et la loi sécurise tout progrès. Il est dès lors inévitable que nos sociétés acceptent la PMA pour toutes les femmes ainsi que la GPA éthique, chacune de ces transgressions comportant une étape de sélection eugéniste. Tout le monde se souvient de l’enfant trisomique né après GPA et refusé par les acheteurs[5]…

 

 

 

[1] La Commission des Episcopats de la Communauté européenne.

[2] Jacques Milliez, L’euthanasie du fœtus, Editions Odile Jacob, 1999.

[3] Jean-Marie Le Méné, Les premières victimes du transhumanisme, Pierre-Guillaume de Roux, 2016

[4] Vie illicite.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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