Interdire la ROPA pour éviter « toute dissociation de maternité » : la CEDH donne raison à l’Allemagne

Publié le 12 Déc, 2024

Le 12 novembre 2024, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu un arrêt [1] relatif à l’établissement du lien de filiation suite à une procédure de « ROPA »[2], donnant raison à l’Allemagne dans son refus initial d’inscrire la mère génétique sur l’acte de naissance (cf. Loi de bioéthique : ROPA, PMA post-mortem, le gouvernement a posé ses limites).

La ROPA consiste à implanter chez une femme un embryon qui a été conçu avec les gamètes de sa partenaire, ce qui s’apparente à un don d’ovocytes dirigé, au sein d’un couple de femmes. Ainsi, il existe un lien génétique entre l’enfant et la première requérante (qui ne l’a pas mis au monde) et un lien biologique entre l’enfant et la seconde requérante (qui l’a porté). La ROPA étant une pratique interdite en Allemagne, les requérantes [3] ont eu recours à cette méthode dans une clinique belge. L’enfant né en 2013 de cette technique était également un requérant dans la procédure.

Une question de discrimination ?

En l’espèce, « l’affaire concerne le refus des juridictions aux affaires familiales de constater que le requérant, à qui la seconde requérante a donné naissance, est aussi l’enfant de la première requérante, mère génétique de l’intéressé et partenaire de la seconde requérante ». Parmi les motifs du refus de la justice allemande, figurait celui de « prévenir toute dissociation de maternité » (cf. PMA, GPA, et la mère dans tout ça ?). Sur l’acte de naissance, la femme qui a accouché a été initialement enregistrée comme mère de l’enfant, la mention du père étant vierge.

Les trois requérants développent un argumentaire basé sur deux articles de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. L’article 8 pris isolément d’abord, l’article 8 combiné avec l’article 14 ensuite. Le 8ème article de cette Convention protège le droit au respect de la vie privée et familiale. Le 14ème prohibe les pratiques « discriminatoires ».

Pas de consensus européen sur le sujet

Dans son arrêt, la CEDH commence par rappeler que la marge d’appréciation des Etats est « ample » lorsque l’Etat doit maintenir un équilibre entre des intérêts privés et ceux de la société ou entre différents droits protégés par la Convention. Elle souligne également le rôle fondamentalement subsidiaire de la Convention, les autorités nationales jouissant d’une « légitimité démocratique directe ».

Sur la question spécifique du lien de filiation de la femme dont les ovocytes sont utilisées dans le cadre d’une ROPA, la Cour relève qu’il n’existe pas de consensus européen. Ainsi, elle considère que c’est à bon droit que les juridictions allemandes ont estimé qu’elles étaient appelées à mettre en balance les intérêts publics (« à savoir l’existence de règles univoques d’affectation d’un nouveau-né à sa mère et l’interdiction de la gestation pour autrui ») et les intérêts privés (« à savoir la reconnaissance juridique et la protection de leur vie commune »).

Ni atteinte à la vie privée, ni discrimination

Dans leur décision de refuser l’établissement d’un second lien de filiation maternel, les juges allemands avaient soulevé que l’affaire n’a été rendue possible que parce que les requérantes ont contourné une interdiction existant sur le territoire allemand en se rendant en Belgique pour pratiquer une ROPA.

De son côté, « la Cour relève que la non-reconnaissance automatique par les autorités allemandes d’un lien de filiation entre le requérant et la première requérante n’a, en pratique, pas affecté la jouissance de la vie familiale des requérants de manière significative ». D’autant plus qu’elle « disposait à l’égard du requérant de certaines prérogatives parentales ».

La Cour se range également à l’avis de la justice allemande sur la question d’une éventuelle discrimination. En effet, les requérantes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel (auquel ces dernières se comparent), les partenaires d’un couple de même sexe ne pouvant pas être parents génétiques tous les deux. Or, selon une « jurisprudence constante » de la Cour, une différence de traitement est discriminatoire au sens de l’article 14, « si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

Ainsi, la CEDH donne raison à l’Allemagne : un Etat est en droit d’imposer que le lien de filiation avec l’enfant et la femme dont les ovocytes ont été utilisés se fasse dans le cadre d’une procédure d’adoption. Une possibilité dont la requérante a d’ailleurs fait usage.

Ne pas « encourager un certain tourisme procréatif  »

Autoriser la filiation réclamée reviendrait à « abolir la parenté, fondée sur la différence sexuelle et l’engendrement biologique, en faveur de la parenté, basée sur la volonté des adultes, leur engagement et leur investissement à l’égard de l’enfant », a argumenté l’Association des Médecins catholiques de Bucarest (AMCB) qui a apporté son expertise dans cette affaire.

De son côté, le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) avait alerté la Cour en soutenant que l’affaire était « susceptible de marquer une nouvelle étape dans un processus d’éclatement de la filiation par l’effet d’un désir d’enfant ». « Mettre en question la législation allemande reviendrait à encourager un certain tourisme procréatif susceptible d’aboutir à des situations comme celle de l’espèce sans que les Etats contractants puissent les empêcher. Cela équivaudrait à la validation d’une forme de gestation pour autrui », avait affirmé l’organisme (cf. PMA : le Conseil d’Etat rappelle que la ROPA n’est pas autorisée en France). Leurs arguments semblent avoir porté.

Mater semper certa est

La décision de la CEDH est importante car, en validant le raisonnement des juridictions allemandes, elle réaffirme le principe originel qui veut que la filiation est d’abord liée à la réalité biologique : mater semper certa est [4].

Dans une directive du 27 mai 2024, l’Union européenne considère que la GPA peut constituer une forme d’exploitation des êtres humains (cf. GPA : des députés proposent de transposer la directive européenne en matière de traite des êtres humains). Cette décision de la CEDH serait-elle une nouvelle forme de contestation de la GPA ? Comme le souligne l’ECLJ dans sa contribution, la ROPA s’apparente en effet par certains aspects à une gestation par autrui. Faire porter son enfant par sa compagne. Une « dissociation de maternité » comme fruit de projets d’adultes, avec la volonté individuelle comme unique boussole. N’oublierait-on pas alors l’intérêt des enfants ainsi conçus ?

 

[1] arrêt R. F. et autres c. Allemagne

[2] « Réception de l’Ovocyte par la Partenaire »

[3] Une ressortissante allemande et une ressortissante française, toutes deux vivant en Allemagne

[4] « La mère est toujours certaine »

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