Grégor Puppinck : “La France va-t-elle renoncer au principe fondateur du droit de la filiation suivant lequel la mère est la femme qui accouche ?”

Publié le 13 Sep, 2019

Alors que la Commission Spéciale Bioéthique de l’Assemblée nationale s’interrogeait cette nuit (cf. Filiation et PMA pour toutes : le revirement d’un gouvernement sous pression) sur le mode de filiation à adopter pour les enfants d’un couple de femmes, Grégor Puppinck, docteur en droit, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) et expert Gènéthique, rappelle ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur la Gestation pour autrui demande à la France.

 

La France va-t-elle renoncer au principe fondateur du droit de la filiation, suivant lequel la mère est la femme qui accouche (« Mater semper certa est ») ? C’est le respect de ce principe qui justifie le refus des autorités françaises de reconnaître comme « mère » la femme qui a commandité la naissance d’un enfant par GPA à l’étranger. C’est ce principe que les fameux époux Mennesson, entre autres, contestent devant la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Après la reconnaissance de la paternité biologique des enfants nés d’une GPA à l’étranger, celle de la maternité d’intention ?

 

Il ne leur suffit pas que l’épouse (ou l’époux) du père biologique et commanditaire de l’enfant né par GPA puisse adopter l’enfant ; ils veulent que ce conjoint soit immédiatement reconnu comme parent de l’enfant, par transcription de l’acte de naissance étranger dans l’état civil, alors même que ce conjoint n’a aucun lien biologique avec l’enfant.

 

Si la France « baisse la garde » face au tourisme procréatif, et se résigne à avaliser le contournement du droit français, alors l’interdiction française de la GPA serait encore plus vidée de son effectivité.

 

Aujourd’hui, la faculté d’adopter l’enfant du conjoint, même lorsqu’il a été obtenu par GPA, a plusieurs avantages par rapport à la transcription. Elle respecte le principe « Mater semper certa est », elle est conforme à la réalité biologique de l’enfant, et elle permet en outre à l’administration de vérifier que la femme qui prétend adopter l’enfant possède les qualités requises minimales pour l’élever. Passer à un régime de transcription automatique porterait donc atteinte non seulement à l’intérêt de la société, mais aussi à ceux des enfants. Par exemple, une personne interdite d’adoption en France pourrait contourner cette interdiction en ayant recours à la GPA à l’étranger, et imposer sa filiation à son retour.

 

En droit, la mère d’intention peut-être la mère d’adoption

 

Contrairement à ce qu’on lit parfois, le droit français n’est pas contradictoire avec la jurisprudence de la CEDH. Cela a été confirmé par le récent avis consultatif de la CEDH du 10 avril dernier, rendu dans cette même affaire Mennesson à la demande de la Cour de cassation. En effet, la CEDH n’a jamais imposé à la France, ni à aucun autre pays, de transcrire une filiation mensongère, fût-elle établie à l’étranger conformément au droit local. Elle a condamné la France à transcrire la filiation des enfants nés par GPA à l’égard seulement de leur père biologique, lorsque celui-ci en est aussi le commanditaire. La France s’est conformée à cette condamnation.

 

À présent, c’est la relation entre l’enfant et la femme commanditaire de la GPA qui est en cause, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de lien biologique. Dans son avis du 10 avril dernier, la CEDH a estimé que le droit de l’enfant (et non de la femme) « requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la mère légale ». Selon la CEDH, la France doit donc permettre l’établissement d’un lien de filiation entre l’enfant et cette femme ; ce qui est déjà le cas. Mais la Cour a précisé aussitôt qu’il n’est pas nécessaire de procéder par transcription de l’acte de naissance étranger ; la voie de l’adoption de l’enfant par la mère d’intention convient, « à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

 

Parce qu’il n’existe pas de droit à l’adoption, la CEDH précise en outre qu’ « il va de soi que ces conditions [à l’adoption] doivent inclure une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause », et en particulier des aptitudes de l’adoptant. À l’inverse, instaurer une transcription automatique serait une façon détournée de créer un droit à une adoption dénuée de tout contrôle. Il est donc tout à fait faux de prétendre que la CEDH l’obligerait à transcrire la filiation « maternelle » des enfants nés par GPA. Tout au plus doit-il veiller à ce que la procédure d’adoption ne soit pas entravée par des obstacles injustifiés ; ce qui est déjà le cas en France. Cela pourrait éventuellement donner lieu à une circulaire.

 

Ainsi, il est probable autant que souhaitable que la Cour de cassation valide le refus de transcription d’ici quelques semaines, après l’audience de l’affaire prévue le 20 septembre prochain.

 

Lutter contre la marchandisation du corps des femmes ?

 

Par ailleurs, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est engagé à assurer « la participation de la France à une initiative internationale pour lutter contre les trafics et la marchandisation des femmes liés au développement de la GPA dans le monde ». C’est évidemment à la source que le problème de la GPA doit être traité en priorité. Mais le Président n’a rien fait en ce sens, alors même que la France pourrait jouer un rôle majeur dans cet important combat. Plusieurs gouvernements et instances internationales ont pourtant exprimé clairement leurs préoccupations face à ce phénomène, notamment la CEDH et les Nations unies.

 

C’est le cas par exemple de Maud de Boer-Buquicchio, Rapporteur spécial des Nations unies sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants, qui dans son rapport de janvier 2018 détaille précisément tous les problèmes causés par la GPA. Dans le même sens, des juges de la CEDH ont écrit que la GPA ne traite pas les personnes « comme des buts en soi mais comme des moyens de satisfaire les désirs d’autres personnes », que cette pratique « qu’elle soit ou non rémunérée, n’est pas compatible avec la dignité humaine. Elle constitue un traitement dégradant non seulement pour l’enfant mais également pour la mère de substitution » et s’oppose donc aux « valeurs sous-jacentes à la Convention ». Quant à la GPA commerciale, ils la déclarent « illégale au regard du droit international » prohibant la vente d’enfant (Juges De Gaetano, Pinto de Albuquerque, Wojtyczek et Dedov). La Cour dans son ensemble a jugé aussi que la GPA pose de graves problèmes, qu’elle est source de risques de trafic d’enfants, et que les États peuvent légitimement vouloir dissuader leurs citoyens d’y recourir.

 

En France, un compromis fragile

 

Le « compromis » actuel du gouvernement, qui consiste à condamner une pratique tout en acceptant ses conséquences, est évidemment fragile et décevant face au défi que pose l’industrie de la GPA. D’ailleurs, c’est moins un compromis qu’une contradiction et l’expression d’une attitude passive et attentiste, consistant à laisser à d’autres, et à la CEDH en particulier, la responsabilité de régler la question.

 

Ce compromis est évidemment hypocrite, car l’acceptation des conséquences de la GPA vide son interdiction de son effectivité et conduit à sa libéralisation. Le gouvernement laisse le temps agir, nos principes s’éroder, et la société s’habituer à cette pratique. Il en va de la GPA comme des autres transgressions: c’est moins la tolérance qui progresse que l’indifférence.

Mais l’hypocrisie est d’abord celle des « parents » qui invoquent l’intérêt de l’enfant pour imposer à la France une situation préjudiciable à celui-ci, situation qu’ils ont eux-mêmes provoquée en violation du droit français. Ils contournent le droit français puis se retournent contre lui.

 

La position du gouvernement est aussi contradictoire en ce qu’il prétend, d’une part, assurer aux personnes nées par PMA anonyme le droit de connaître leurs origines, et que d’autre part, il tolère et entérine la GPA qui viole ce droit de façon systématique. Les enfants produits par GPA ne peuvent généralement pas connaître leur mère porteuse, et moins encore leur véritable mère génétique. Or, nous savons aujourd’hui à quel point les personnes issues d’un don de gamète ont besoin de connaître leurs parents « biologiques ». Nous savons aussi que le secret qui a longtemps entouré la PMA par don de sperme est pernicieux. Or, la transcription de la fausse filiation maternelle en cas de GPA a précisément pour effet de camoufler le processus de GPA et de renforcer le secret de l’origine de l’enfant. À cet égard aussi, la voie de l’adoption est préférable, car elle évite de mentir complètement à l’enfant ; elle est conforme à la réalité. En cela, il est certain que la transcription demandée n’est pas dans l’intérêt des enfants, mais des adultes. La CEDH a d’ailleurs déjà reconnu et affirmé le droit de « connaître son ascendance biologique » ainsi que les circonstances de sa naissance.

 

Article publié initialement dans le Figaro Vox du 12 septembre 2019 sous le titre : GPA: quelles sont vraiment les obligations de la France par rapport à la CEDH ?

 

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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