GPA : « On ne peut pas remplacer une souffrance d’adulte par une souffrance d’enfant »

Publié le 16 Oct, 2017

Un cri secret d’enfant[1]. Anne Schaub dénonce les risques de graves conséquences de la GPA[2] sur la construction identitaire et comportementale de la personne dans un livre poignant.

 

Observatrice et témoin des relations très précoces entre enfant et parents, Anne Schaub, psychothérapeute spécialisée depuis près de vingt ans dans l’analyse et le traitement des mémoires prénatales ainsi que des traumatismes de la vie précoce, a publié cette année un livre, Un cri secret d’enfant. Elle y décrit notamment l’importance de l’attachement mère-enfant et l’enjeu des liens relationnels de base qui agissent sur le devenir du petit enfant, ainsi que les différents contextes de séparation à même de marquer profondément la mémoire d’origine. Autant de connaissances, étayées par les découvertes d’autres spécialistes de l’enfance et des neurosciences, qui mettent en évidence le réalisme des violences intimes faites à l’enfant né par GPA et laissent entrevoir les risques d’une généralisation de ces pratiques. Elle répond aux questions de Gènéthique.

 

Gènéthique : Pourquoi prenez-vous position sur les questions de GPA ?

Anne Schaub : Le corps est sage, il ne ment pas. Forcer la nature ou aller contre la nature humaine, « fabriquer » un enfant au détriment du jaillissement naturel de sa vie au sein d’un couple homme-femme, marquera d’une façon spéciale l’ « être-au-monde » du tout-petit. L’enfant le ressentira, d’une façon ou d’une autre. Or avec la GPA, on touche au principe du réel, au principe de la nature humaine. Et ce qui est terrible, c’est qu’on essaie de faire croire que c’est sans conséquences. Alors que les conséquences sont sensibles sur le bébé, sur la mère porteuse, sur les parents d’intention, sur la société toute entière. Comme la pierre qu’on laisse tomber dans l’eau et dont l’onde se propage en cercles concentriques à la surface. Outre le principal intéressé, l’enfant, tous les acteurs de la GPA sont touchés, concernés. A propos de certaines évidences, tout se passe comme si les yeux ne voyaient plus, avec en toile de fond, des enjeux financiers énormes.

 

G : A votre avis, quels sont les garde-fous qui ne fonctionnent plus ?

AS : Pour moi, la plus grande responsabilité se trouve dans le milieu médical, censé savoir ce  qu’il fait, et qui devrait conseiller et éclairer ceux qui sont en demande. Un couple en souffrance est vulnérable. Seulement, il est facile de faire ce qu’on veut de la souffrance d’autrui, elle est manipulable. Je pense à cette femme qui a eu un premier enfant handicapé avec un homme avec lequel elle ne vit plus. Elle souhaitait en avoir un second. « Seule ». C’est-à-dire sans vouloir vivre avec un homme à ses côtés. La psychologue qu’elle rencontrait a entendu son désir, mais le projet est tellement extravagant que cette dernière n’imagine pas une seconde que sa patiente va passer à l’acte. Pourtant, sa patiente fait une demande de don de sperme, les embryons passent au crible d’un DPI[3], un embryon est implanté et… elle est mise enceinte. Atterrée, la psychologue se renseigne auprès d’un généticien qui lui explique qu’« à partir du moment où c’est médicalement possible, c’est faisable ». Dans un tel contexte, force est de constater que les comités d’éthique ne jouent pas leur rôle, ils ressemblent à des coquilles vides…

La patiente quant à elle, enceinte, est dépassée par son propre fantasme. Elevant seule un enfant handicapé, elle a « mis le second en route » pour faire face à sa solitude et pour donner à son aîné malade un frère « sain » chargé de s’occuper de lui à sa mort. Ce nouvel enfant est une sorte de bébé médicament-palliatif, ainsi programmé dès avant la naissance. Seulement, une fois enceinte, cette femme n’arrive pas à réaliser ce qui lui arrive. Elle est dans un état qui s’apparente à un déni de grossesse. Comme tout fantasme par principe logé dans l’irréel, son « rêve » de faire un enfant seule, était destiné à demeurer dans l’irréel. La réalisation concrète de ce fantasme a dès lors « psychotisé » le réel. Mais le réel ne suit pas en elle, et sa grossesse reste comme irréelle dans son vécu intime. Le corps médical a accompli le fantasme alors qu’il fallait écouter la souffrance et l’inquiétude de cette maman. Pour l’aider authentiquement, il s’agissait de lui mettre une limite en lui opposant un « non ». Cette femme, qui voit son corps se modifier, ne l’habite plus. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, elle ne comprend pas qu’elle est enceinte. Or, l’enfant est bien là et la psychologue va devoir l’aider à intégrer cette réalité, en lui demandant par exemple de mettre ses mains sur son ventre, de parler à son bébé,…

Ce type d’expérience tend à se multiplier et ce décollage de la réalité est particulièrement inquiétant pour les générations à venir, parce qu’il est porteur de folie et de chaos. Quand on brandit, d’une part la souveraineté du « tout-désir » et d’autre part, « l’égalité pour tous », l’un et l’autre devenus tyranniques au point de dicter d’une façon toute-puissante les conduites à tenir autour de la procréation, le bon sens et l’intelligence de fond s’effacent. À partir de ces références individualistes utilisées à outrance, tout ce qui est possible devient permis.  L’indisponibilité du corps de l’autre, autrefois stricte principe de droit, n’est plus un rempart[4]. Au nom du droit de disposer de son propre corps, la femme exalte une toute-puissance sur « le sien » ignorant le devenir réservé au bébé attendu dans de telles conditions ; « oubliant » même parfois qu’elle le porte.

 

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?

Ce livre fait écho au cri des petits et des grands, que j’entends depuis près de 20 ans. Ce cri intérieur, le plus souvent tapi dans l’inconscient, peut prendre la forme d’un langage somatique ou comportemental, voire spirituel. Il témoigne de souffrances très intimes des enfants et donc aussi de celles de leurs parents, qui cherchent à en comprendre la source. Je me réjouis chaque fois que des parents comprennent que le sens du « cri » de leur enfant qui ne veut pas dormir, qui est hyperactif, qui se cabre pour tout et pour rien, qui panique dès la moindre séparation, … trouve son origine dans l’histoire de vie très précoce de leur enfant : dès la période in utero ou autour de la naissance. Souvent, les parents commencent à raconter l’histoire de l’évènement traumatisant et je constate que l’enfant n’a pas oublié. Il garde la mémoire sensorielle, corporelle, émotionnelle des évènements qui ont ponctué sa vie étroitement liée à celle de sa mère, du soutien ou non de son père qui, lorsqu’il est « bien » là, permet une vie émotionnelle plus sereine pour la femme enceinte. L’enfant est un être relationnel dès le sein maternel. Son premier attachement, c’est sa mère. Le moment de la naissance sera pour lui celui de la première séparation. Cette séparation a besoin de s’inscrire dans une sensation de continuité pour l’enfant, en quête de repères cohérents : il retrouve la voix de sa mère, son odeur, lorsqu’il est allaité, il retrouve certains goûts qui lui rappelleront des saveurs du liquide amniotique,… Il sait intuitivement et sensoriellement parlant qui est sa mère ! Il la connaît déjà depuis neuf mois. Quand la séparation est brutale et surtout, définitive, elle suscite en lui un cri, ou une sidération qui marque le sceau d’une souffrance psychique ou physique.

De nombreuses découvertes disent aujourd’hui la vulnérabilité des tout-petits. De nombreux chocs sont désormais évitables pour que l’enfant puisse déployer son plein potentiel sans être constamment entravé par des souffrances et des luttes. Ce sont des conditions de bon sens à placer autour de la venue au monde de tout enfant. A partir des connaissances acquises dans des contextes de conceptions naturelles, on peut émettre de sérieuses réserves sur le bien-fondé de la GPA. Gestation par autrui et pour autrui… En fabriquant ainsi des enfants, on risque de voir des situations de souffrances humaines se multiplier alors qu’avec tout ce que nous savons aujourd’hui sur le psychisme du petit humain, elles pourraient être évitées. Sur la GPA, le discours médiatique est enchanteur : mettre un enfant au monde pour autrui serait caritatif, généreux, un geste d’altruisme exceptionnel, une extraordinaire avancée de la science. Mais c’est bien mal comprendre les enjeux sous-jacents. Il y a tout un pan de conséquences de la GPA qui est occulté, obscurci, et c’est cela qui est grave. Que de potentielles conséquences sur les enfants à partir de ce jaillissement de vie commandée, dans tous les sens du terme : financièrement, médicalement, ventres loués… Des répercussions évidentes, notamment sur la personnalité de l’enfant et du futur adulte sont sérieusement à craindre.

 

G : Qu’est-ce qui se joue à travers la GPA ?

AS : La GPA touche à ce qui est fondamental pour l’être humain : le lien. L’être humain est un être de lien, de relation. La GPA introduit un nombre conséquent de ruptures, de séparations au sein même du lien : pour produire l’embryon, les gamètes sont sorties du vivant de la relation et de la vie humaine, et « naissent » dans un tube. Ensuite, on sort l’enfant de ce qui fait le propre de son équilibre, on touche à quelque chose d’essentiel et de vital quant à sa construction psychique : on le sépare de sa mère de naissance. La congélation d’ovocytes, de sperme ou d’embryons, n’est-ce pas autant d’interruptions du lien avec la vie ? On fabrique du vivant en dehors du vivant et on le réintroduit dans le vivant. Que de secousses ! Elles contraindront l’enfant à reconstruire des racines pour échapper à une forme de dépersonnification, de désidentification. Ces manipulations qui créent comme des « trous » dans l’histoire de l’enfant, devraient nous interroger : ne manquons-nous pas d’humanité ? Que faisons-nous du lien à la vie et aux êtres qui, dès l’origine, fondent, construisent ou, tout au moins influencent grandement l’équilibre de notre devenir ? Procéder à autant de séparations avant l’heure ne peut rester sans conséquences sur le devenir humain. Je pense à ces enfants que l’on fait naître en Inde[5] avant terme, d’office, par césarienne, pour que les parents d’intention puissent être présents à la naissance. Ces séparations programmées sont d’une insoutenable violence pour le bébé. Les séparations ont tout leur sens dans la vie, mais chacune à son heure.

 

 

G : Que se passe-t-il entre la mère porteuse et son bébé ?

AS : Je pense à l’enfant issu d’un don d’ovocyte et de sperme qui va grandir dans le ventre d’une femme qui ne sera pas sa mère. Pour se développer, comme tout embryon, celui-ci aussi aura besoin de s’attacher à la mère porteuse, tant physiologiquement qu’affectivement. Cet attachement est avant tout sensoriel et relationnel. Le drame de cet enfant, c’est qu’il va grandir dans une ambiance relationnelle floue, confuse, ambivalente. En effet, personne ne veux souffrir dans la vie et, une femme qui sait qu’elle va « perdre » l’enfant qu’elle porte à la naissance, une « mère » qui porte un enfant qui ne sera pas le sien pour la vie, consciemment ou inconsciemment, se protège d’un attachement de qualité. Psychologiquement, elle n’investit pas la grossesse de façon intime et étroite avec le petit être qui grandit dans son ventre.  Devant quel vide affectif le bébé se trouve-t-il durant cette période initiale et cruciale dans son développement humain ? La séparation à la naissance, normale et constitutive de la vie même   de l’enfant, prendra pour celui-ci la forme d’un abandon. Ce sentiment entraine une perte d’identité, car le tout-petit n’a pas encore conscience de sa propre existence en tant qu’être individué. Il est finement en contact avec ses sens et ses émotions. Et ses sens, qui on repéré durant neuf mois qui est sa mère, ne s’y retrouvent pas. Le tout-petit ainsi séparé de sa mère de naissance est en perte totale de repères. Ce qui crée une angoisse majeure, proche de la panique. L’amygdale, petite glande dans le cerveau qui enregistre durablement les émotions dès les dernières semaines de la grossesse, gardera au long de sa vie une trace prégnante de ce vécu. Ce qui pourra le fragiliser dans ses relations d’attachement futures. Je pense à ce jeune homme, abandonné à quelques mois après sa naissance et adopté par une famille aimante. Dans ses relations amoureuses, il souffrait d’une perpétuelle peur de la perte. Pourtant établi en couple de façon stable, il reste dans un état d’hyper-vigilance voire de jalousie maladive. Dans sa raison, il sait que sa fiancée est fidèle. Mais c’est plus fort que lui, il surveille, scrute et soupçonne inlassablement sa future épouse d’une tromperie. Il semble rejouer en boucle le scénario de la peur de l’abandon, il teste les limites de sa partenaire, afin de vérifier s’il ne va pas à nouveau être abandonné. Il s’agit d’une attitude viscérale qui dépasse sa raison. Les circuits de la peur « flambent » systématiquement à chaque éloignement de l’être aimé. Mais d’autres questions se posent aussi à l’enfant, privé de ses racines d’origine : à qui je ressemble ? De qui je tiens ce trait de caractère ? Dois-je vraiment obéir à ces parents qui ne sont pas les miens ? Comment savoir ce que je veux vraiment devenir sans savoir qui sont et ce que sont devenus mes « parents géniteurs » ?

 

G : L’enfant peut-il guérir, dépasser ces réactions incontrôlées, trouver des réponses à ces questions existentielles ?

AS : Guérir – si tant est que l’on puisse guérir d’une atteinte si profonde, non-pas survenue par les aléas de la vie comme il en est dans l’adoption, mais sciemment organisée par les adultes – c’est entre autre retrouver le trauma qui est à l’origine, faire le lien avec le mal-être actuel et l’histoire de vie telle qu’elle s’est passée. Il est parfois difficile de retrouver une émotion qui a fait glisser dans une sensation de gouffre mortel. Certains comportements défensifs mis en place très tôt dans la vie sont susceptibles d’entraver la personne tout au long de la vie. « Guérir » ou « s’apaiser » d’une douleur d’origine qui génère par exemple de l’opposition systématique, une panique qui arrive le soir et qui empêche de dormir, toutes sortes de compensations au manque ressenti comme abyssal,…., passera aussi et surtout, par le fait d’être reconnu dans le dommage causé par une perte existentielle profonde. Et ce qui m’inquiète le plus : qui dans la société va reconnaître le dommage ? Car lever le voile du déni actuel quant à la réalité d’un dommage, c’est forcément remettre en question ce procédé. Quoi qu’il en soit, certains de ces enfants auront besoin d’aide pour guérir ce qui peut l’être. Leur raconter le vrai de leur histoire en fera partie, ne fusse que pour assouvir et adoucir les questions relatives à leur origine. Mais les stigmates de l’histoire d’origine blessante ne s’effaceront pas. Comme pour chacun, « guérir », c’est alors choisir d’en faire quelque-chose de bien, de bon pour soi et pour les autres. C’est soi-même « bonifier » dans sa propre humanité blessée.

 

G : Dans votre livre, vous évoquez un dérapage de la société ?

 

AS : J’ai l’impression que nous sommes engagés sur un bateau qui part à la dérive. Dans ce bateau, les lobbys cherchent à embarquer le plus de monde possible. Les gens se laissent aveugler par de belles paroles de solidarité… sans réaliser combien la GPA entraine notre humanité vers un changement de paradigme. La GPA cherche à faire croire que ce qui fait l’humanité profonde de l’homme depuis des millénaires, n’est plus vrai. Que tout équivaut à tout. Les médias cherchent à amadouer la pensée populaire par des discours mensongers ou banalisants, qui éloignent l’intelligence du pur bon sens quant à ce qui favorise soit la venue au monde d’un enfant serein, soit d’un enfant plus vulnérable, perturbé.

Une autre image serait celle de l’arbre qui cache une forêt de dommages dans une société clivée, devenue schizophrène. Elle offre d’une part des soins démesurés à certains, révèle des découvertes très pointues sur la fine sensibilité du fœtus,… et fabrique en même temps des enfants qu’on va séparer de leur mère avec toutes les conséquences que l’on connait déjà ! Si on blesse l’enfant alors qu’il est encore en devenir, encore appelé à se déployer, le petit point blessé aura des répercussions sur une infinité de choses en lui. Elles se découvriront au fur et à mesure de sa croissance et jusqu’à l’âge adulte.

Ces manipulations de l’homme signent aussi une rupture de la transmission. Or la transmission est ce qui fait la richesse d’un être humain : « Je viens de là ». L’enfant né par GPA,  de donneurs externes, fait l’expérience du « nulle part » dans son identité, jusque dans sa filiation parentale. Quelle errance humaine tragique prépare-t-on à ceux qui ne pourront « adopter » leur nouvelle filiation ? Avec la GPA, en fabriquant des histoires traumatiques à la base, les situations problématiques sur le plan psychique vont se multiplier. En réalisant les fantasmes humains les plus fous, notre société se prépare à plus de folie.

Il est inconcevable de remplacer une souffrance d’adulte par une souffrance d’enfant. Il est urgent de chercher à soigner la souffrance des adultes par d’autres moyens plus respectueux de la nature humaine, en soi, si bien ordonnée.

 

 

[1] Anne Schaub-Thomas, Un secret cri d’enfant, Editions Les acteurs du savoir, 2017.

[2] GPA : Gestation Pour Autrui

[3] Diagnostic Pré-Implantatoire

[5] Voir “Google-baby” https://www.youtube.com/watch?v=CHj21kk1I18

 

Photo : @Freeimages/DR

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