GPA : la femme exploitée

Publié le 7 Juil, 2022

De peur de mettre en péril sa carrière, l’actrice Jamie Chung a préféré recourir à une mère porteuse pour avoir un enfant[1]. Un choix paradoxal, voire une provocation du féminisme ? Entretien avec Claire de La Hougue.

 

Gènéthique : Aux Etats-Unis, l’actrice Jamie Chung a choisi de recourir à une mère porteuse pour ne pas mettre en péril sa carrière. Quelles sont les principales raisons qui conduisent des femmes à faire appel à la gestation par autrui ?

Claire de La Hougue : La raison la plus communément mentionnée est bien sûr l’impossibilité physique pour la femme de porter un enfant. Cette situation, due par exemple à une malformation ou à une ablation de l’utérus, existe et est très douloureuse pour les couples concernés. Pour cette raison, elle est largement instrumentalisée par les promoteurs de la gestation par autrui, qui font ainsi vibrer la corde émotionnelle afin de présenter cette pratique comme légitime. Sans qu’il soit possible de savoir précisément quelle est la proportion de telles causes médicales parmi les personnes qui ont recours à cette pratique, il semble qu’elle ne soit qu’une situation parmi beaucoup d’autres : couples d’hommes, hommes célibataires et, comme l’actrice Jamie Chung, femmes, mariées ou non, qui souhaitent un enfant sans subir les inconvénients de la maternité, que ce soit par peur de la grossesse et de l’accouchement ou par crainte de compromettre leur silhouette et leur carrière.

L’actrice Jamie Chung explique ainsi qu’elle était terrifiée à l’idée d’être enceinte et de mettre sa carrière en péril : elle ne voulait pas risquer d’être oubliée alors qu’elle s’était tuée à la tâche toute sa vie. Ce phénomène n’est ni nouveau ni exceptionnel : il y a une dizaine d’années, une agence américaine de gestation par autrui indiquait que 10% de ses clients étaient dans ce type de situation. Cela suscite l’inquiétude pour ces enfants que leur mère a acquis à grand prix, certes, mais sans payer de sa personne. L’éducation impose des contraintes et des renoncements auxquels elle ne paraît pas prête à consentir.

G : Ce témoignage a suscité de vifs débats, certains répondant à l’accusation d’exploitation en affirmant que la mère porteuse est consentante et rémunérée. Qu’en est-il ? Cela supprime-t-il les objections éthiques ?

CdLH : Il est très intéressant de constater que, alors qu’en Europe l’absence de rémunération de la mère porteuse est un critère du caractère éthique de la gestation par autrui là où elle est légale, des Américains considèrent au contraire que, puisque la mère porteuse est rémunérée, elle n’est pas exploitée, c’est donc la rémunération qui garantit le caractère éthique.

Il y a deux aspects à considérer du point de vue éthique : la mère d’une part, l’enfant d’autre part.

Du côté de la mère, on peut mettre en avant son consentement pour montrer sa liberté donc l’absence d’exploitation, qu’il y ait rémunération ou non. Pour certains, l’absence de rémunération garantirait un acte purement altruiste donc libre, même s’il peut exister d’autres formes de pression. La rémunération peut être vue soit comme une juste compensation des inconvénients et risques subis, soit comme un moyen de pression sur une personne vulnérable. Elle n’est donc pas, en tant que telle, un critère. Reste problématique à l’égard de la dignité de la femme le fait qu’elle est utilisée comme un moyen, comme un incubateur. Même si la liberté atténue cet aspect, le consentement ne suffit pas pour justifier une atteinte à la dignité humaine.

S’agissant de l’enfant, il est conçu, porté et délivré conformément à un accord entre les commanditaires et la mère porteuse, autrement dit en exécution d’un contrat. On en dispose comme d’une marchandise, c’est-à-dire qu’on exerce sur lui un attribut du droit de propriété, ce qui est la définition de l’esclavage. Légalement, la femme qui l’a porté n’est pas sa mère, contrairement au principe fondateur mater semper certa est, donc son état-civil, c’est-à-dire son identité, est modifié. Enfin, sa mère le remet aux commanditaires contre rémunération ou autre avantage, ce qui constitue une vente d’enfant. La gestation par autrui ne peut par conséquent jamais être éthique, quelles qu’en soient les modalités.

G : Pouvoir s’accomplir à travers une vie professionnelle fait partie des combats féministes. N’est-il pas paradoxal que cela conduise une femme à en employer une autre pour mettre au monde des enfants ? La GPA serait-elle féministe ?

CdLH : Le débat actuel aux États-Unis autour du recours de cette actrice à la gestation par autrui se situe dans une perspective féministe radicale qui veut libérer les femmes du carcan de la biologie : les femmes portent seules le fardeau du maintien de l’espèce humaine, la maternité est une sujétion qui leur est imposée par la nature, elle nuit à leur épanouissement dans leur carrière, il faut donc les en libérer. En attendant l’utérus artificiel, l’ectogenèse, la gestation par autrui est la seule solution.

Il est curieux de voir que ce prétendu féminisme, qui nie la dimension essentielle de la femme qu’est la maternité, place celle qui a réussi dans une servilité tremblante et pathétique à l’égard de son succès professionnel, auquel elle sacrifie la joie et l’épanouissement de l’enfantement, et conduit à l’exploitation d’autres femmes : pour se débarrasser de la corvée de la génération, une femme riche au sommet de sa carrière la sous-traite à une autre femme. On assiste ainsi à la création d’un nouveau prolétariat chargé d’assurer la dimension corporelle de la reproduction pour en libérer la classe supérieure.

Au nom d’une vision féministe de libération de la femme, d’égalité avec les hommes et de promotion de sa carrière, on arrive ainsi à l’autocensure et à l’exploitation de la femme par la femme. Karl Marx, relève-toi, elles sont devenues folles !

 

[1] Newsweek, Jamie Chung Hiring Surrogate to Carry Baby Amid Career Fears Sparks Debate (13/06/2022)

Claire de La Hougue

Claire de La Hougue

Expert

Docteur en droit, ancien avocat au Barreau de Strasbourg, chercheur associé à l'ECLJ

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