Gestation pour autrui : les décisions de la Cour d’appel de Rennes, une défaite supplémentaire pour les droits de l’enfant

Publié le 10 Déc, 2019

La cour d’appel de Rennes vient de rendre quatre arrêts en matière de transcription d’actes de naissance d’enfants nés de gestation par autrui à l’étranger[1], pour des couples de même sexe et de sexes opposés. Elle autorise la transcription de la filiation à l’égard des deux commanditaires, sans passer par l’adoption. Claire de La Hougue, docteur en droit et chercheur associé à l’ECLJ[2], fait le point pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Ces arrêts sont-ils la conséquence directe de la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Mennesson (arrêt du 4 octobre 2019) ?

Claire de la Hougue : Le 4 octobre 2019, la Cour de Cassation mettait un point final à l’affaire Mennesson qui défrayait la chronique depuis près de vingt ans. Pour mémoire, les époux Mennesson avaient obtenu en 2000 des jumelles nées de mère porteuse aux États-Unis, jumelles dont M. Mennesson était le père biologique. Après des années de procédure à rebondissements, la Cour européenne des droits de l’homme déclara qu’il y avait violation du droit au respect de la vie privée des filles, en particulier de leur droit à l’identité, spécialement du fait que la filiation à l’égard de leur père biologique n’était pas transcrite dans les registres français d’état civil. Les époux demandèrent et obtinrent le réexamen du pourvoi par la Cour de cassation. Celle-ci interrogea alors la Cour européenne des droits de l’homme pour savoir si l’État pouvait refuser la transcription à l’égard de l’épouse du père biologique et, si non, si la possibilité d’adopter permettait de répondre aux exigences de la Convention européenne.

Celle-ci a rendu son avis consultatif le 10 avril 2019, estimant que le droit au respect de la vie privée « requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention » mais que cette reconnaissance peut se faire par l’adoption.

Le 4 octobre 2019, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a affirmé, en invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant, que « la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention ». Elle en a conclu que « l’acte de naissance doit être transcrit en ce qui concerne la filiation paternelle biologique ». Elle a ensuite estimé qu’une procédure d’adoption porterait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée des jumelles, puis que la reconnaissance de la filiation par possession d’état serait trop fragile, c’est pourquoi elle a validé la transcription de la filiation maternelle des filles.

Pour choquante que paraisse cette solution, qui revenait à entériner le recours à la gestation par autrui à l’étranger, on pouvait espérer qu’elle n’aurait qu’un effet limité, la Cour ayant pris soin de préciser qu’elle statuait « en l’espèce, s’agissant d’un contentieux qui perdure depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ».

La cour d’appel de Rennes vient non seulement d’appliquer cette jurisprudence à d’autres instances, mais elle est allée nettement plus loin.

 

G : En quoi la Cour d’appel de Rennes transgresse-t-elle un peu plus la loi ?

CH : Dans l’affaire Mennesson, il s’agissait de transcrire la filiation à l’égard du père biologique et de la « mère d’intention ». La Cour européenne admettait que la filiation à l’égard de la commanditaire soit établie par le biais de l’adoption, procédure dont la Cour de cassation a dispensé les époux Mennesson au vu des circonstances de l’espèce.

Or, dans l’arrêt n° 628 du 25 novembre 2019 (n° RG 18/01155), les faits sont sensiblement différents. Le tribunal de Nantes ayant ordonné la transcription de l’acte de naissance de la petite P., née en Californie d’une mère porteuse, le Ministère public a interjeté appel en soutenant que, bien que conforme à la législation américaine, l’acte de naissance était contraire à l’article 47 du code civil qui dispose : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Or, deux personnes de même sexe figuraient sur l’acte de naissance américain. Le Ministère public a donc opposé que cela ne pouvait correspondre à la réalité « puisque seul l’un des deux hommes est le parent biologique, ce qui exclut l’identité de l’autre en tant que parent dès la naissance » et que « la réalité à laquelle fait référence l’article 47 du code civil est une réalité juridique qui doit être prévue par le droit français, sous peine de rendre opposables en France toutes les situations juridiques étrangères inconnues ou prohibées par la loi française ».

En outre, seul un des deux hommes était de nationalité française et aucun élément ne permettait de savoir qui était le père biologique. Il leur fallait donc fournir les documents déterminant que le Français était le père biologique, puis établir la filiation à l’égard de l’autre au moyen de l’adoption.

La Cour d’appel a pourtant donné raison aux intimés. Elle a estimé que l’article 47 du code civil « institue une présomption de régularité de l’acte établi à l’étranger » et que « en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger sur les registre de l’état civil français, lorsque les conditions de l’article 47 sont remplies ». Or, la cour constate « que l’acte de naissance a été établi dans le respect des règles applicables dans l’État de Californie, qu’il a été régulièrement apostillé et traduit (…) qu’aucune fraude n’est établie, et que, en l’absence de données extérieures ou d’éléments tirés de l’acte lui-même qui établiraient que Monsieur X n’est pas le père, il apparaît que les faits qui sont déclarés dans l’acte correspondent à la réalité, s’agissant de la désignation de Monsieur X en qualité de parent de l’enfant ».

La cour d’appel de Rennes prend donc pour argent comptant les affirmations des intimés, sans que ceux-ci aient à fournir aucun justificatif établissant que Monsieur X, de nationalité française, est bien le père biologique de l’enfant. Elle n’a pas procédé aux « vérifications utiles » prévues par l’article 47 du code civil.

Pourtant, le fait d’être le père biologique est le critère retenu par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation pour justifier la transcription des actes de naissance étrangers.

Si M. X est le père biologique, la preuve est très simple à apporter. S’il ne l’est pas, il n’y a aucune raison de transcrire la filiation dans les registres français d’état civil tant que la filiation n’est pas établie par la voie de l’adoption. En outre, s’il n’était pas le père biologique, la fraude serait caractérisée.

Depuis quand les tribunaux se contentent-ils des affirmations des plaideurs, sans exiger la moindre preuve ?

 

G : Peut-on dire que cette décision est prise dans l’intérêt supérieur de l’enfant ?

CH : Pour réclamer la transcription complète de l’acte de naissance californien, les intimés affirment sans vergogne que « l’effacement d’un parent est en totale contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cela ne les gêne pourtant pas d’éliminer la mère de la vie et de l’ascendance de l’enfant.

La cour d’appel de Rennes affirme que l’établissement de la filiation par le biais de l’adoption « impose aux parents d’engager une nouvelle procédure judiciaire qui peur s’avérer longue et coûteuse ». Elle en conclut qu’imposer le recours à la procédure d’adoption, « alors que l’enfant a déjà subi 4 années de procédure, le plaçant dans une situation juridique particulièrement insécurisante, porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale qui fait partie intégrante du droit au respect de la vie privée ». Elle ordonne donc la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance de l’enfant comme étant né de Monsieur X et Monsieur Y.

Le raisonnement de la cour de Rennes est aussi surprenant que contestable. Elle prétend se fonder sur l’intérêt de l’enfant, qui a déjà subi quatre années d’une procédure  qui serait la cause de sa « situation juridique particulièrement insécurisante ». Pourtant, ce n’est pas la procédure qui l’a placé dans une telle situation, mais la volonté des commanditaires qui ont délibérément contourné la loi française et eux-mêmes placé l’enfant dans une situation juridique scabreuse. En outre, compte tenu de l’âge de l’enfant, les procédures judiciaires lui importent peu. Enfin, la procédure d’adoption a précisément pour but de s’assurer du respect de l’intérêt de l’enfant.

La cour de Rennes estime que l’enfant est exposé au risque de perdre le seul parent titulaire de l’autorité parentale ou de subir la séparation du couple dont le membre « à l’égard duquel la filiation n’a pas été établie dès l’origine ne [pourrait] alors faire valoir aucun droit ni supporter aucune obligation envers l’enfant qu’il a pourtant élevé depuis de longues années  et dont le développement harmonieux est conditionné par le maintien de relation avec ses deux parents ». La cour s’efforce de faire vibrer la corde émotionnelle pour accompagner une affirmation fausse : l’acte de naissance étranger produit des effets en France même s’il n’est pas transcrit sur les registres français.

Ce n’est donc pas l’intérêt de l’enfant qui est protégé, mais bien celui des commanditaires d’éviter les inconvénients d’une procédure.

 

G : La gestation par autrui en France est-elle de facto autorisée en France ?

CH : La Cour de cassation avait entrouvert la porte à la transcription automatique, tout en affirmant se limiter aux circonstances de l’espèce. La cour de Rennes s’engouffre dans la brèche pour ordonner la transcription automatique y compris dans une affaire où rien ne la justifie : il n’est pas établi que M. X soit le père biologique, la situation ne peut être conforme à la réalité (ni aux faits ni à une réalité juridique reconnue par le droit français) et enfin la procédure n’a pas duré longtemps.

Les promoteurs de cette pratique auront beau jeu de soutenir qu’il faut désormais la légaliser pour éviter les abus commis à l’étranger ainsi que la discrimination entre les riches qui contournent la loi et les pauvres qui ne peuvent pas satisfaire leur désir d’enfant.

S’il n’est pas nécessaire pour M. X de prouver qu’il est le père de l’enfant, non seulement il est possible que le père biologique soit M. Y, qui n’a pas la nationalité française, mais il se pourrait qu’aucun des deux n’ait de lien biologique avec l’enfant, il s’agirait donc d’un véritable achat d’enfant. Cela arrive soit en cas de recours à un donneur, soit lorsque les commanditaires initiaux s’étant désistés, un enfant déjà conçu est finalement livré à un autre couple. Le désistement peut aussi être un prétexte. Un réseau a été démantelé en 2011 aux États-Unis : il proposait des enfants à naître en affirmant que leurs commanditaires initiaux avaient changé d’avis alors que ceux-ci n’avaient jamais existé. Il s’agissait simplement de vente d’enfants.

En ordonnant la transcription sans même vérifier l’existence d’un lien biologique, la cour de Rennes non seulement autorise la gestation par autrui, contraire au droit français, mais valide peut-être ou en tout cas ouvre la porte, à la vente d’enfant.

Elle dissocie la filiation de tout fondement naturel, qu’il s’agisse de l’accouchement ou de l’engendrement, pour la fonder exclusivement sur la volonté individuelle. La cour de Rennes affirme que « la double filiation [est un] élément primordial de l’identité de l’enfant protégé par son droit au respect de la vie privée » mais vide la filiation de toute substance, en faisant un concept déconnecté de la réalité biologique. Elle suit les intimés qui affirment que « la filiation est toujours une construction juridique » (leur avocate Me Mécary a dans d’autres circonstances déclaré que c’était une « fiction juridique »).

Dans cette conception nominaliste extrême, les termes de père, mère, parents ou filiation perdent tout ancrage dans la réalité, la volonté des plus forts – les adultes fortunés – étant seule prise en considération.



[1] Arrêt Rennes 25 novembre 2019.

[2] European Centre for Law and Justice.

Claire de La Hougue

Claire de La Hougue

Expert

Docteur en droit, ancien avocat au Barreau de Strasbourg, chercheur associé à l'ECLJ

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