Géraud Burin des Roziers enquête au cœur de la fin de vie dans son nouveau documentaire

3 Mar, 2023

Après l’avant-première du documentaire « Mourir n’est pas tuer – Enquête au cœur de la fin de vie » qui a eu lieu début février dans un cinéma parisien, un « tour de France » s’entame désormais afin de diffuser le reportage. Une première « soirée ciné-débats » a eu lieu à Cannes le 27 février. D’autres suivront à Fréjus, Avignon, Gap, Lyon, Paris, Lille, …

Géraud Burin des Roziers, le réalisateur, a interrogé des experts pour nous montrer la réalité de la fin de vie. Au travers d’investigations, en France et à l’étranger, son documentaire informe et interroge la société sur les enjeux d’une éventuelle légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie. Géraud Burin des Roziers a accepté de répondre aux questions de Gènéthique.

 

Gènéthique : Pouvez-vous nous rappeler votre parcours personnel ? Vous avez été confronté à la mort à différentes reprises, qu’en diriez-vous ?

Géraud Burin des Roziers : Officier de chasseurs alpins et casque bleu pendant 7 ans, puis reporter pour les armées, j’ai couvert les crises militaires et humanitaires pendant 15 ans. J’ai ensuite rejoint la société de production Ligne de Front, où j’exerce depuis 17 ans le métier de réalisateur.

J’ai vécu dans ma carrière militaire deux accidents graves, la chute d’une barre rocheuse de 40 mètres et le crash d’un hélicoptère. J’ai été paralysé des jambes pendant plusieurs mois. J’ai finalement eu la chance de réapprendre à marcher. Je sais ce que je dois aux soldats qui m’ont secouru en montagne, à ceux qui m’ont évacué, ainsi qu’au personnel soignant. J’ai une dette éternelle envers toutes ces personnes.

J’ai pu assez tôt renouer avec ma passion et reprendre mon travail de reporter.  Une énergie retrouvée et une espérance dans la vie qui me poussent à faire des reportages ou des documentaires pour valoriser le travail de cette communauté d’hommes et de femmes, mais aussi leur rendre hommage.

La haute montagne et l’engagement au combat m’ont donné la tristesse de connaître la mort de plusieurs camarades. J’ai aussi été témoin de la mort violente en filmant les pompiers de Paris lors de leurs interventions au feu. La mort ne me révolte pas. Elle fait partie de la vie. Je privilégie le fait d’essayer de vivre à fond et d’être attentif aux autres. La vie est à vivre jusqu’au bout. Ce qui est révoltant, c’est de constater que certains instrumentalisent d’autres personnes pour leur faire croire que leurs vies ne mériteraient pas d’être vécues, à cause de leur handicap ou de leur âge.

G : L’engagement humain semble important pour vous, pourquoi vouloir vous « frotter » ainsi aux sujets de société ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager sur ce nouveau projet ? 

GBdR : Je veux être un acteur participatif de notre société et j’aime mettre en valeur les personnes les plus fragiles. J’ai réalisé plusieurs documentaires traitant de l’esclavage, des enfants dans la précarité, de l’autisme ou des blessés de guerre notamment.

C’est facile de s’engager aux profits des plus vulnérables. Ça commence par un sourire, un regard, et c’est déjà ça. Après, chacun y met ses compétences, son savoir-faire, son savoir être. Je sais tenir une caméra. Je l’utilise pour témoigner et faire témoigner, faire exister les personnes qui se sentent invisibles, différentes, qui souffrent.

J’aime aussi l’engagement par l’action, l’aventure, la confrontation au danger, parce que je me sens vivant et que je sais pouvoir compter dans l’adversité sur mes co-équipiers, eux qui engagent aussi leur vie à mes côtés. C’est l’esprit de cordée cher aux chasseurs alpins.

J’ai réalisé au sein de Ligne de Front plusieurs reportages à la rencontre des dernières peuplades de la planète, autant de découvertes qui nous poussent à vivre les choses de la vie avec humilité et nous montrent combien nous avons à apprendre par l’écoute de l’autre.

J’avais déjà abordé la question de la fin de vie à travers deux documentaires. Je pense qu’il est important de faire entendre le témoignage de ceux qui sont en première ligne, œuvrant sur le terrain. J’ai interviewé des spécialistes en Belgique, Suisse et Pays-Bas. J’ai voulu observer et faire entendre ceux qui chaque jour travaillent avec abnégation dans les centres de soins palliatifs en France, mais aussi la voix de philosophes, juristes. J’ai fait témoigner des familles et avant tout les patients en fin de vie, les personnes les premières concernées.

G : Vous êtes un « homme de terrain », un « combattant », en quoi votre expérience peut-elle rejoindre celle des soignants ?

GBdR : La similitude avec nos soldats m’a paru évidente. Les soignants que j’ai eu l’honneur d’accompagner et filmer au cœur de leur métier, pendant quelques jours, m’ont apparu comme des combattants.

Malgré la difficulté des missions qu’ils doivent accomplir et le manque de moyens, ils relèvent chaque jour un défi. Ils font preuve de cohésion et avancent sans renoncer, parce qu’ils sont habités par une haute conscience professionnelle et une motivation supérieure, comme le font nos troupes d’élites.

A la guerre les soldats n’abandonnent ni leurs morts, ni leurs blessés. Face à l’épreuve de la fin de vie, ils ont choisi d’accompagner jusqu’au bout. Il y a quelque chose de « sacré » dans leur accomplissement.

G : Qu’est ce qui a été le plus difficile dans le montage de ce film ? Vous avez dû faire des choix, des coupes, avez-vous des regrets ou des « frustrations » ? Y a-t-il des choses que vous refusez de filmer ou de diffuser ?

GBdR : Pour cette enquête, j’ai privilégié l’information et le rythme créé par les interventions croisées de grands témoins. J’aurais souhaité que les spectateurs puissent écouter dans la longueur l’intégralité de chacune des interviews réalisées. J’estime avoir eu beaucoup de chance que certaines personnalités du monde associatif, médical, mais aussi des philosophes, juristes, psychologues aient ainsi accepté de nous éclairer. Je pense aussi aux témoignages des aides-soignantes saisis dans l’instant, et aux personnes en fin de vie.

Je ne m’impose jamais de restrictions particulières quand je filme la réalité. C’est au montage que les choix s’imposent, en étant certain de ne blesser personne, ni de déformer une situation. Dans ce documentaire il était important de montrer la manière dont s’exprime la souffrance, la douleur, la colère, même si cela est dérangeant. Il faut accepter de regarder la réalité en face, comme la mort que notre société veut cacher à tout prix. Par peur ? Par pudeur ? Par orgueil ? Cette mort, que les soignants en unité de soins palliatifs acceptent de côtoyer avec un grand professionnalisme pour accompagner les vivants jusqu’au bout, sans jamais renoncer, sans jamais les abandonner. J’ai juste montré la réalité de leur travail quotidien, sans chercher à faire du pathos, ni édulcorer toutes les situations de détresse, de doute, que les équipes de soignant et bénévoles rencontrent chaque jour.

Si j’ai voulu informer le public sur la réalité du geste létal, je n’ai pas cherché à filmer une euthanasie ou un suicide assisté, même si cela m’a été proposé. La présence d’une caméra n’est pas neutre, et je refuse de cautionner le geste qui administre la mort d’une personne. Jamais je n’ai envisagé de filmer une mise à mort consentie afin d’être certain de ne pas l’encourager.

G : Qu’avez-vous appris au contact des personnes que vous avez rencontrées ? Quels enseignements retenez-vous de ce documentaire ? A-t-il renforcé vos convictions sur le sujet ? Y a-t-il des témoignages, des rencontres qui vous ont particulièrement marqué ? 

GBdR : La question de la fin de vie mérite une réflexion approfondie. Après trois documentaires réalisés sur cette thématique, je croyais en connaître un bout. Pas du tout. Chaque situation rencontrée est unique en soi, parce que vécue avec des hommes des femmes qui ont tous et toutes une histoire singulière. A chaque âge de la vie notre perception évolue, nos préjugés tombent. Emmanuel Hirsch ou Jacques Ricot ont permis de mettre des mots sur des évidences parfois difficiles à exprimer, comme l’interdit de tuer. Leur retour d’expérience et leur connaissance du sujet, comme celle du Dr Jean-Marie Gomas ou de la psychologue Muriel Derome, a été extrêmement précieux.

Je retiens en particulier le désarroi de ces médecins, de ces infirmiers au contact des personnes en fin de vie, qui semblent exclues des débats actuels sur la fin de vie. Un sondage réalisé pour la SFAP nous dit que 70% des soignants seraient prêts à démissionner si une loi en faveur de l’euthanasie passait demain en France.

G : La fin de vie est un sujet qui concerne peu les Français à en croire les résultats d’une étude récemment réalisée par l’institut BVA. Que pourriez-vous leur dire pour les inciter à aller voir le documentaire ?

GBdR : Ce film est fait pour eux. Dans quel type de société voulez-vous vivre ? Que désirez-vous pour vos enfants ? Une société qui fait solidarité ou une société individualiste, une société de l’avoir, dans laquelle à partir du moment où vous ne serez plus utile, plus rentable, on vous demandera de vous effacer ? Je veux rester dans une société ancrée dans la solidarité, qui fasse sens avec nos valeurs démocratiques. Pas une société qui décide de tuer l’autre.

Nous serons tous un jour confronté à la fin de vie d’un proche. Demain vous serez peut-être hospitalisé. Aurez-vous toujours confiance en vos médecins ? Si vous êtes atteint d’une maladie incurable et que vos jours sont comptés, souhaitez-vous que l’on prenne soin de vous jusqu’au bout avec humanité, et que l’on vous aide à profiter de la vie jusqu’au bout en étant accompagné ? Ou souhaitez-vous que votre existence soit gommée d’un coup par une piqûre létale ?

D’après ce que nous disent les médecins en soins palliatifs, décider à l’avance de son euthanasie est un choix de « bien portant ». Il se passe mille choses importantes dans les derniers moments de l’existence, y compris pour nos proches. Une chose est sûre, la question de la fin de vie est tellement importante qu’elle mérite que chacun approfondisse le sujet. Ce film est là pour susciter le débat, faire réfléchir.

G : Votre précédent documentaire « Droit de mourir, l’enquête qui dérange » est mentionné dans le corpus documentaire de la Convention citoyenne. Quel message aimeriez-vous transmettre aux membres de cette convention ? Et à ceux qui verront votre nouveau documentaire ?

GBdR : Dans tous les pays qui ont légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté, les dérives n’ont fait que s’accroitre au fil des ans (cf. Euthanasie et risques de dérives : des médecins rappellent les faits). A partir d’une exception, la loi s’est banalisée. Le nombre d’euthanasies n’a fait qu’augmenter. Le nombre de suicides n’a jamais diminué, au contraire. Le nombre d’euthanasies clandestines n’a fait qu’empirer. En revanche, et ce que l’on dit moins, c’est que le fait d’encourager la pratique de l’euthanasie permet de réaliser d’importantes économies de santé.

Je souhaiterais transmettre l’idée, qu’en s’opposant à l’euthanasie ou au suicide assisté en France, il ne s’agit pas de laisser de côté les personnes qui souffrent dans leur chair ou sont atteintes par une maladie psychiatrique. Il s’agit de faire davantage encore pour les accompagner sérieusement, en commençant par les écouter (le meilleur médicament, nous dit la psychologue Muriel Derome). La solution, comme le martèle le philosophe Jacques Ricot, n’est surtout pas de soulager la personne en la tuant (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »).

DERNIERES ACTUALITES
Partager cet article

Toute l’actualité bioéthique
chez vous, gratuitement

Cochez vos choix :

En validant ce formulaire, j’accepte de recevoir les informations du site Gènéthique par email et accepte la politique de confidentialité