Danielle Moyse, docteur en philosophie et chercheuse associée à l’IRIS (Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux) signe une tribune intitulé "Trisomie 21 et archaïsmes collectifs" dans le quotidien La Croix. Elle dénonce la tendance que nous avons à croire que le dépistage prénatal généralisé est "imperméable aux archaïsmes d’antan" et qu’il aboutit à "des décisions dont la rationalité ne saurait être parasitée par des associations imaginaires capables d’entraver l’exercice de notre liberté".
Danielle Moyse revient sur l’héritage imaginaire du "mongolien" qui, avant la découverte de l’origine chromosomique de la maladie par le Pr. Jérôme Lejeune, "faisait associer cette anomalie […] à une dégénérescence raciale". Initialement, le rapprochement effectué entre les trisomiques et le peuple mongol n’a pas été le fait de marginaux hostiles aux "étrangers" mais "de médecins réputés, affiliés à la très officielle "raciologie" qui comptait des chaires universitaires dans de nombreuses facultés occidentales à la fin du XIXe siècle". L’on aurait tort de croire aujourd’hui que la rationalité scientifique se trouve à l’abri des phobies et des imaginaires archaïques, alors qu’elle s’en fait parfois "le vecteur actif". Penser que le dépistage prénatal est en dehors des pressions issues de cet héritage, c’est oublier que ce dernier "peut être d’autant plus agissant qu’il est souvent oublié, et qu’au moment où s’effectue un tel dépistage, rien ne peut faire contrepoids à la toute-puissance de l’imagination". Cet imaginaire collectif "encore hanté par la crainte de la dégénérescence et qui valorise plus que jamais la performance" demeure et ne peut aider à "réguler" les demandes croissantes d’IMG en cas de détection de trisomie 21. Le dépistage prénatal étant présenté comme l’instrument permettant, en toute liberté, de sélectionner les naissances, il n’est pas étonnant qu’il mène à l’actuel "eugénisme prénatal", faisant confondre "sans états d’âme, ‘prévention’ et élimination prénatale des individus porteurs".
Comme si le taux de 96% d’IMG effectuées en cas de "détection du chromosome indésirable" ne suffisait pas, fallait-il encore chercher à rendre le dépistage plus efficace au point "que le Comité consultatif national d’éthique lui-même (avis N° 107, 10/09), puis la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique (19/01/10) acceptent ainsi que la trisomie 21 soit désormais régulièrement dépistée lors d’un diagnostic préimplantatoire, jusque-là réservé à des familles éprouvées" ?
La Croix (Danielle Moyse) 22/06/10