Forum européen de bioéthique : Prothèses, pour réparer ou pour augmenter ?

Publié le 8 Fév, 2017

Quel est le but et le sens des prothèses ? Tel est l’objet de cette conférence-débat.

 

Le sujet des prothèses nous concerne tous, à travers des films, des proches ou pour nous-mêmes. Mais ont-elles pour but de nous réparer ou d’augmenter nos capacités ? Pour en débattre, cinq intervenants et deux grands témoins[1].

 

Les intervenants font d’abord le point sur les prothèses dans leur domaine. A commencer par Valentine Gourinat qui fait une thèse sur les prothèses externes : bras, mains, doigts, jambes… « Les prothèses sont des dispositifs médicaux prescrits dans les cas d’amputation » (80 % pour maladie et 10 à 15 % pour traumatisme et accident), explique-t-elle. Dans les prothèses, il n’y a pas d’appareillage standard, c’est toujours du « sur mesure », du cas par cas. Une équipe -médecin, prothésistes et kinésithérapeutes- détermine la meilleure prothèse possible, bâtie sur le projet de vie du patient. « La prothèse a toujours une fonction palliative », souligne-t-elle, « pour compenser un handicap ». 77 % des patients de moins de 50 ans retrouvent une motricité presque équivalente à celle d’avant l’amputation, mais seulement 40 % à plus de 70 ans. Cependant, on n’arrive jamais à une totale motricité. D’autant que la prothèse apporte avec elle des problèmes que les patients n’avaient pas : douleurs pour apprendre à utiliser la prothèse, douleurs fantômes, ces douleurs bien connues au membre qu’on n’a plus, dans 85 % des cas. Même si elles ne s’adaptent pas encore à toutes les situations, elles sont un grand progrès et permettent d’accéder à beaucoup d’endroits où le fauteuil ne passe pas. Cependant, remarque-t-elle, il faudrait des interfaces, notamment parce que certaines personnes, de retour chez elles, refusent de porter leur prothèse, au bout d’un certain temps. « Je pense, en effet, qu’il y a nécessité à mettre en place des interfaces entre l’homme et la prothèse pour permettre d’intégrer la prothèse à l’espace de la personne concernée », explicite Pierre Ancet. Car la prothèse vient combler le manque d’un membre, qui n’est plus là, mais que le patient sent. Pour bien utiliser une prothèse, il faut qu’elle parvienne à s’intégrer au corps, à s’incorporer. « Plus l’incorporation est fluide et plus l’efficacité de la prothèse est importante ». Cette incorporation est plus facile pour les membres inférieurs que pour les membres supérieurs. Les prothèses auditives ou les lunettes sont tellement bien intégrées qu’on ne se rend même plus compte qu’on les porte.

 

Jean-Marc Lemaitre souligne que dans son domaine, on est chercheur en bio-médical « pour corriger une pathologie, un déficit, et si nécessaire, mettre en place une prothèse ». On met une prothèse parce que la recherche n’est pas encore assez avancée pour agir au niveau biologique. Il est peut-être envisageable qu’un jour, on puisse déclencher la régénération d’un membre amputé. « Certains animaux le font. Pourquoi pas nous ? » On est donc dans la réparation. « Mais en voulant réparer, on va essayer d’améliorer les choses pour une meilleure longévité et on va peut-être augmenter. Mais augmenter, ce n’est pas l’enjeu initial ».

 

« A l’Institut de la Vision, on ne travaille pas sur l’augmentation de la vision mais sur la compréhension de la vision et sur la restauration de la vision chez les patients aveugles pour cause de maladie (rétinite pigmentaire, dégénérescence maculaire liée à l’âge…) », renchérit Paul-Henri Prévot. « Nous travaillons sur les implants rétiniens placés sous la rétine pour rendre un sens à un patient ». Mais ces implants ne s’adressent qu’à des patients qui ont perdu la vue et qui retrouveront une vision assez partielle. Peu à peu, la vision restaurée se rapprochera de la vision naturelle, mais ne la remplacera pas. Et « on ne pourrait pas mettre ces implants sur des patients sains pour augmenter leur vision ».

 

Une question dans la salle : « Quelle est la différence entre une prothèse et un outil ? » Ca dépend de la durée de vie dans le corps, explique Hervé Chneiweiss. Les outils ont une fonction temporaire. « Mais la canne d’un aveugle, qui vient suppléer un sens, devient une sorte de prothèse ». Quand on peut faire faire à des machines ce qui pèsent à des humains, poursuit-il, pourquoi pas ! Mais Il faut toujours se poser la question du sens. Quel est le sens des prothèses dans tel ou tel contexte ?

 

Cependant, voit-on poindre, dans les champs de travail et de réflexion des intervenants, des sujets d’inquiétude ? Du côté des prothèses externes, Valentine Gourinat souligne que parler de « prothèses augmentées » à propos des prothèses est « une vision partielle qui exclut le corporel », véhiculée de façon récurrente par un imaginaire collectif et les médias : on pense à des prothèses futuristes tellement élaborées qu’on va jusqu’à s’imaginer plus avantagé amputé que valide, voire même, on envisage de s’amputer soi-même volontairement ! Ces fantasmes sont notamment liés aux performances, parmi les sportifs valides, de sportifs amputés, tels Oscar Pistorius ou Marckus Rehm. C’est oublier, pour Pistorius, par exemple, les difficultés qu’il rencontre pour courir avec ses lames de carbone : démarrage plus lent, douleurs en fin de course, longue récupération… et changement de lames pour marcher. Sans compter qu’un amputé vieillit plus vite.

 

La science, dans son évolution, sera de plus en plus résolutive et précise. Reste une question politique, au sens de la vie de la cité : Comment voulons-nous vivre ensemble ? Face à « l’insouciance du progrès », la question n’est pas d’être optimiste ou pessimiste, d’être technoprophète ou technophobe, d’augmenter ou non, mais de faire un usage responsable du progrès. Le progrès n’est jamais neutre. Quel usage faisons-nous de nos prothèses ? Est-il éthique de les utiliser à d’autres fins ?

 

[1] Jean-Marc Lemaître : directeur de recherche à l’INSERM, directeur-adjoint de l’Institut de Médecine Régénératrice et Biothérapie de Montpellier (IRM), responsable de l’équipe « Plasticité du Génome et Vieillissement ».  Paul-Henri Prévot qui travaille sous sa supervision comme post-doctorant sur les prothèses rétiniennes. Valentine Gourinat : doctorante et chercheuse en éthique à l’Université de Strasbourg et l’Université de Lausanne. Pierre Ancet : enseignant-chercheur au Centre Georges Chevrier, vice-président à la culture à l’Université de Bourgogne et directeur de l’Université pour Tous de Bourgogne (UTB). Hervé Chneiweiss : docteur en médecine et docteur en sciences, directeur de recherche au CNRS, neurobiologiste et neurologue, dirigeant du Laboratoire Neuro-sciences Paris Seine. Grands témoins : Jennifer Laas, chargée de communication Alsace Eurométropole, Ludovic Rochemont, lycée Jeanne d’Arc à Mulhouse.

 

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