Le débat pour la légalisation de l’euthanasie est lancé en France. L’année 2023 sera marquée par cette entreprise de relativisation de l’interdit de tuer. Une stratégie politique bordée, des arguments fallacieux invoqués : décryptage de Lucie Pacherie, juriste à la fondation Jérôme Lejeune et expert Gènéthique.
Le débat sur la fin de vie dans lequel la France est plongée n’est pas neutre. Il a déjà la tonalité des promoteurs de l’euthanasie. Le gouvernement entend gagner l’opinion publique.
Printemps 2021, le premier point a été marqué. Une proposition de loi du député Olivier Falorni visant à légaliser le « droit à une fin de vie libre et choisie » avait été débattue dans le cadre de la niche parlementaire Libertés et Territoires. Usant de tactique, les députés promoteurs de l’euthanasie, avaient réussi à faire voter par 240 voix contre 48 l’article 1 de ce texte qui posait le principe de l’aide active à mourir. Ils ont pu asséner dans les médias que la France était prête pour légaliser l’euthanasie. C’était un galop d’essai. Emmanuel Macron pouvait inscrire cette mesure dans le quinquennat qui suivait, et ses acteurs clés étaient trouvés : Agnès Firmin Le Bodo, Olivier Véran, Olivier Falorni, tous impliqués favorablement dans ce premier débat. Ils sont, aujourd’hui, ministres chargés de la consultation des associations, des soignants et des parlementaires, pour les deux premiers, président de la mission d’information chargée d’évaluer la loi Claeys-Leonetti pour le troisième.
Il faut ensuite relier les annonces d’Emmanuel Macron en septembre 2022 qui donnent le ton : décoration de Line Renaud, pour gagner le cœur des Français. Il lui promet : « Votre combat pour le droit de mourir dans la dignité vous ressemble et nous oblige. […] c’est le moment de faire, alors nous ferons. » ; ouverture officielle de la convention citoyenne le 9 décembre 2022, pour donner un gage de démocratie participative, et enfin caution morale du comité consultatif national d’éthique (CCNE). Il fallait au moins cela pour assurer l’acceptation et l’orientation du « débat ». Pour la première fois en effet, le CCNE se dit favorable à la légalisation de l’« aide active à mourir » pour les personnes conscientes et consentantes, atteintes d’une maladie incurable, provoquant des souffrances réfractaires, et dont le pronostic vital est engagé à moyen terme (c’est-à-dire entre 6 mois et un an).[1]
Un argument fallacieux
D’emblée les arguments se mettent en place. Il est intéressant d’en souligner un qui provoquera une vraie confusion chez les Français. C’est celui que la ministre Agnès Firmin Le Bodo, chargée de la consultation des associations, avait invoqué à Jean-Marie Le Méné, lors d’une entrevue : « Profiter de cette loi sur l’euthanasie, pour développer les soins palliatifs ». Argument relayé maintes fois dans les médias. C’est aussi le postulat que le CCNE a pris dans son avis. Sur 20 recommandations la moitié concerne le développement et la meilleure accessibilité des soins palliatifs pour amener ensuite à l’idée de légaliser l’euthanasie. Les partisans de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) vont jusqu’à dire que l’euthanasie devrait être désigné comme un « soin palliatif », comme c’est le cas en Belgique.
Pourtant soins palliatifs et euthanasie n’ont rien à voir. Plus encore ils sont antinomiques. Les témoignages des soignants et accompagnants dans ces unités suffisent à comprendre que tout y est fait pour soigner dans sa globalité le patient, lui assurer un minimum de confort, faire de ses derniers jours des moments de qualité avec ses proches. L’inventivité, l’adaptabilité des soignants à chaque patient est permanente. Le facteur temps est essentiel. Le décalage est flagrant avec une injection létale provoquant une mort foudroyante.
Mais, sans même évoquer le fond de la contradiction entre soins palliatifs et euthanasie, on peut s’interroger sur cette méthode qui consiste à légaliser l’euthanasie pour développer les soins palliatifs… Les soins palliatifs n’ont pas besoin d’un droit de mourir pour être plus accessibles… Ils sont en réalité une caution pour faire accepter l’idée de l’« aide active à mourir ». Les personnes qui se disent soucieuses du développement des soins palliatifs affichent une humanité qui rassure. Elles deviennent plus audibles alors quand elles promeuvent l’euthanasie.
Un talon d’Achille ?
Un autre argument de « défense » se dessine aussi et mérite d’être brièvement décrypté. Le débat sur la légalisation de l’euthanasie « ne doit pas amener les personnes fragiles à penser qu’elles sont un poids ou, pire encore, conduire la société à le penser. La frontière est ténue » explique dès qu’il le peut Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, dans les médias. Agnès Firmin le Bodo s’en était vivement défendue face à Jean-Marie Le Méné, exprimant le fait qu’il n’y avait aucune intention d’impacter par ces lois les personnes handicapées. La répétition des prises de paroles de Jean-Christophe Combe montre bien qu’il y a un sujet. Le CCNE l’a suggéré dans son avis prévenant qu’il faudra mener des « réflexions ultérieures » sur la demande d’euthanasie formulée par des mineurs ou des « personne[s] souffrant de troubles psychiques ou cognitifs altérant mais n’empêchant pas [leur]capacité à exprimer [leur] avis » ou encore sur l’euthanasie des personnes « dans l’incapacité d’exprimer leur volonté, dépendantes de traitements qui les maintiennent en vie ». On pense dans ce dernier cas, par exemple, à Vincent Lambert considéré comme « maintenu en vie » parce qu’il bénéficiait d’une alimentation et hydratation artificielle. Autrement dit, on le sait, les personnes handicapées, ou grandes handicapées seront impactées bien plus vite qu’annoncé. C’est ce que les 8 membres du CCNE qui ont rédigé une réserve expriment bien : « quel message enverrait une telle évolution législative aux personnes gravement malades, handicapées ou âgées ? Ne risque-t-elle pas d’être perçue comme le signe que certaines vies ne méritent pas d’être vécues ? Nous nous inquiétons que cette loi suscite une forme de culpabilité, voire un complexe de vivre ». La fondation Jérôme Lejeune formule aussi cette inquiétude, car elle sait que les premières victimes des lois portant atteintes à la vie humaine sont les personnes handicapées. La défense forte du gouvernement sur ce point ne peut que faire redoubler notre vigilance sur nos personnes vulnérables.
[1] Avis n° 139 du comité consultatif national d’éthique