Alors que la mission d’évaluation de la loi sur la fin de vie vient de procéder à ses premières auditions (cf. Synthèse de presse du 17/04/08), Le Monde revient sur la mauvaise application de la loi Leonetti et ses conséquences. Le quotidien se penche notamment sur le "laisser mourir" autorisé par la loi en vigueur. "Si elle est mal appliquée, cette pratique est potentiellement source de dérives éthiques", souligne le docteur Véronique Fournier, directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin (Paris).
Si cette disposition facilite la décision dans la quasi-totalité des cas, reste celui des personnes qui ne sont pas en fin de vie et qui ne dépendent que d’une alimentation par sonde, comme ce fut le cas d’Hervé Pierra, en état de coma neurovégétatif (cf. Synthèse de presse du 19/03/08). Parfois, dans ces cas difficiles, les équipes soignantes refusent d’appliquer le "laisser mourir" et, quand elles acceptent d’arrêter l’alimentation et l’hydratation, les mauvaises pratiques sont courantes, "faute de connaissances".
L‘agonie d’un patient peut donc être longue et violente. Ainsi est-il nécessaire de s’interroger sur la place de l’agonie dans notre société actuelle : autrefois socialisée, l’agonie est aujourd’hui refoulée, alors que 70% des français meurent à l’hôpital. "Faut-il réapprendre à la considérer comme un moment essentiel de la toute fin de vie ?", s’interroge le docteur Fournier. "C’est un vrai sujet : il me semble qu’au travers de la question de l’euthanasie, la société demande aux soignants de sauter ce passage-là en réclamant une mort douce à la médecine".
Une clarification de la loi Leonetti semble donc nécessaire car si elle a "explicitement refusé les pratiques euthanasiques, de telles pratiques peuvent avoir lieu sous son couvert", affirme le docteur Fournier. "Un arrêt d’alimentation et d’hydratation peut ainsi être décidé avec pour intention un "faire mourir" plutôt qu’un "laisser mourir"."
Par ailleurs, les professionnels de santé réunis par l’Association française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) rappelle que "traiter la douleur et soulager la souffrance restent une priorité absolue". Elle souligne qu’aucune tragédie ne peut faire admettre à des médecins ou des infirmières que donner la mort est la solution. En mars 2007, dans le Plaidoyer des professionnels de santé, plus de 6 700 praticiens avaient pris position contre la légalisation du suicide assisté, qui bouleverserait profondément les repères sociétaux et avaient appelé à "une large information et une pédagogie de la loi sur le droit des malades et la fin de vie".
[NDLR : Rappelons que l’alimentation et l’hydratation – même artificielles – ne sont pas des traitements mais des soins dus à chacun. Or, la loi Leonetti, en définissant l’alimentation artificielle comme un traitement médical et en reconnaissant au patient la liberté de refuser "tout traitement", introduit donc la possibilité d’interrompre l’alimentation et l’hydratation. Pourtant, "suspendre ou ne pas entreprendre cet acte de nutrition correspond à une attitude clairement euthanasique", expliquait à l’époque Pierre-Olivier Arduin, responsable de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon. En effet, permettre la mort d’une personne par inanition quand on peut lutter contre sa survenue, sans acharnement thérapeutique, revient à accomplir un acte euthanasique.]
Le Monde (Cécile Prieur) 19/04/08 – Décryptage 18/04/08