Fin de vie : les débats commencent dans l’hémicycle et déjà des voix pour inscrire l’euthanasie dans la Constitution

13 Mai, 2025

Lundi 12 mai 2025, l’Assemblée nationale a ouvert la discussion générale sur deux propositions de loi : l’une « relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs » (n°1102), consensuelle, l’autre controversée au contraire, sur l’instauration d’un « droit à l’aide à mourir » (n°1100). Une discussion solennelle, mais un hémicycle étonnamment vide, comme l’a regretté d’emblée Yaël Braun-Pivet (Ensemble pour la République), présidente de l’Assemblée. Ce paradoxe souligne l’ambivalence qui entoure ces textes, dont l’un est porteur d’une rupture anthropologique majeure.

Deux textes, une seule discussion… mais deux logiques distinctes

Les rapporteurs se succèdent : Annie Vidal (Ensemble pour la République) et François Gernigon (Horizons et Indépendants) pour la proposition de loi sur les soins palliatifs, puis Olivier Falorni (Les Démocrates), Brigitte Liso (Ensemble pour la République), Laurent Panifous (LIOT), Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés) et Elise Leboucher (LFI-NFP) pour le texte sur l’« aide à mourir ».

Tous affirment une volonté d’« équilibre », certains invoquent l’« humilité », l’« humanité » et le « respect de la démocratie », en référence aux sondages qui montreraient le soutien des Français au recours à l’« aide à mourir » (cf. Fin de vie : les sondages « ne procurent jamais une vérité de l’opinion »).

Mais sous ce discours consensuel se dessine une ligne de fracture. Alors que la loi sur les soins palliatifs vise une amélioration de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie sur tout le territoire, la loi sur l’« aide à mourir » introduit une rupture éthique, en autorisant explicitement l’administration d’une substance létale. Les deux textes, bien que discutés ensemble, relèvent de logiques distinctes : l’un vise à soulager, l’autre à mettre fin à la vie du malade, à tuer.

Une rhétorique de la compassion, des mots lourds de conséquences

Olivier Falorni, initiateur du texte sur l’« aide à mourir », commence son intervention par un éloge à la vie, pour mieux justifier l’acte de mort : « Il n’y a rien de plus beau que la vie […] mais il y a parfois pire que la mort ». Il décrit une fin de vie comme une « survie hurlante », un « océan de souffrance ». Ces images veulent marquer les esprits, mais posent question : jusqu’où l’émotion doit-elle guider le droit ?

Le rapporteur présente son texte comme un complément, un continuum des soins palliatifs, une « ultime réponse » pour les cas de souffrances dite « réfractaires ». Il refuse l’idée d’opposition entre les deux démarches, mais leur juxtaposition crée une zone grise inquiétante : si l’« aide à mourir » devient un droit, les soins palliatifs, eux, resteront une offre de soins dépendant des moyens territoriaux.

Le gouvernement en soutien, mais avec des réserves

La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, s’inscrit dans la continuité. Elle rappelle l’ambition gouvernementale d’un accès universel aux soins palliatifs grâce à une stratégie décennale dotée d’un financement d’1 milliard d’euros. Elle annonce aussi une campagne d’information sur les directives anticipées et la personne de confiance.

Mais elle considère également que la loi Claeys-Leonetti présente des insuffisances, en jugeant que la sédation profonde et continue « mène déjà à la mort », une interprétation controversée. Jean Leonetti lui répond : « Dormir n’est pas mourir », rappelant que la sédation vise l’apaisement, non l’interruption volontaire de la vie.
Catherine Vautrin tente de fixer des lignes rouges :

  • la personne doit être en « phase avancée » d’une maladie grave et incurable dont le pronostic vital est engagé : elle propose d’inscrire la définition de la Haute Autorité de Santé dans la proposition de loi (cf. Pronostic vital engagé à « moyen terme », « phase avancée » d’une maladie : aucun « consensus médical » selon la HAS) ;
  • l’autonomie du patient est centrale ; à ce titre elle souhaite rétablir l’« exception » d’euthanasie : « l’auto administration doit rester la première intention » ;
  • l’« aide à mourir » ne sera accessible qu’aux personnes capables de discernement plein et constant, excluant les directives anticipées ;
  • la clause de conscience des soignants est réaffirmée comme « absolue ».

Elle s’adresse tour à tour aux patients, aux soignants et aux Français : « Vous ne serez jamais seuls ». Mais cette promesse soulève elle-même un paradoxe : comment garantir que la loi n’entraîne pas un isolement plus profond de ceux qui, confrontés à la vulnérabilité, se verront proposer la mort comme issue ? (cf. Euthanasie : « la ligne d’arrivée de cette course à l’émancipation, c’est l’isolement et la solitude »)

Des positions politiques nuancées, mais des tensions croissantes

Si certains saluent le texte d’Olivier Falorni qu’ils qualifient d’« équilibré », d’autres alertent sur les dérives possibles. Philippe Vigier (Les Démocrates) fait un parallèle avec la dépénalisation de l’avortement permise par Simone Veil il y a 50 ans. Agnès Firmin Le Bodo (Horizons et Indépendants), ancienne ministre chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, craint une inflation législative et proposera des allègements de texte.

Laurent Mazaury (LIOT) tente de rassurer : « L’aide à mourir n’est pas une alternative aux soins palliatifs ». Mais Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) met en garde contre l’idée que l’« aide à mourir » puisse être assimilée à un soin. Il propose de conditionner l’accès à l’euthanasie au fait d’avoir pu bénéficier de soins palliatifs.

Des critiques plus fortes dénoncent une rupture anthropologique 

Plusieurs députés dénoncent une rupture éthique majeure.

Hanane Mansouri (UDR) alerte sur l’introduction dans le droit français de « l’abandon institutionnalisé par la mise à mort » et d’un glissement dangereux : « Est-il juste qu’on vous propose la mort quand le soin vous est refusé ? » Elle dénonce une logique de renoncement, qui menace d’abandonner les plus fragiles – personnes âgées, handicapées, isolées – à un « droit de mourir » présenté comme une liberté mais vécu comme une absence de choix réel.

Partageant ses craintes, Sandrine Dogor-Such (Rassemblement national) rejette catégoriquement une loi « de mort programmée ». Elle défend les soins palliatifs comme seule réponse humaine et digne : « Les soins palliatifs sont le vrai progrès médical, social et humain ».

Patrick Hetzel (Les Républicains) salue de son côté la séparation des deux textes, et réaffirme la nécessité de maintenir une séparation nette entre soins palliatifs et suicide assisté, deux réalités « d’une nature anthropologique et éthique très différente » rappelle-t-il. Il insiste sur la vocation profondément humaine des soins palliatifs, qui honorent la dignité du patient en fin de vie et refusent à la fois l’obstination déraisonnable et l’euthanasie. S’opposant fermement à la qualification de l’« aide à mourir » comme « soin ultime », qu’il considère comme une euphémisation dangereuse, il alerte sur le risque de brouiller le sens des soins palliatifs, au détriment de la confiance des patients et de l’éthique des soignants.

Ainsi l’élu appelle à garantir un accès réel et équitable aux soins palliatifs sur tout le territoire, dénonçant leur insuffisance persistante dans plusieurs départements. A ce titre, il plaide pour que la stratégie décennale soit dotée de moyens durables, à la fois humains et financiers. Enfin, il interpelle le gouvernement sur cinq points clés, notamment la nécessité de mieux faire connaître et appliquer la loi Claeys-Leonetti, de distinguer clairement l’accompagnement des soins palliatifs, et d’inscrire dans la loi la définition des soins palliatifs retenue par l’OMS, au nom de la protection des plus vulnérables.

Le « pied dans la porte »

Pour rassurer, comme un mantra, certains élus ne cessent de répéter que l’« aide à mourir » sera autorisée dans le cadre d’une « procédure très encadrée ». Certains seraient-ils encore dupes ? Tous les amendements qui visaient à instaurer des protections pour les personnes vulnérables ont été rejetés en commission, comme le rappelle Vincent Trébuchet (UDR) qui cite l’exemple du refus de protéger les personnes atteintes de déficience intellectuelle. « La mort sur rendez-vous », « aucun pays n’est allé aussi loin » se désole Philippe Juvin (Les Républicains) (cf. Exigences formelles « d’une légèreté déconcertante », « indécence des délais » : des députés dénoncent la proposition de loi « relative au droit à mourir »).

Au-delà du refus des garde-fous, certains députés n’ont pas caché leurs intentions lors des débats en commission des affaires sociales : l’objectif est de voter ce texte pour ensuite procéder par élargissements successifs, par exemple sur la question des mineurs (cf. « Aide à mourir » : la stratégie des députés pour faire passer un texte clivant).

Lundi, Danielle Simonnet (Ecologiste et social) a même annoncé : comme l’IVG, l’« aide à mourir » devra être constitutionnalisée. Au passage l’élue est revenue à la charge sur la question des sans papiers, refusant toute mention « de l’origine ou de la situation administrative » dans les critères d’accès à l’euthanasie (cf. Euthanasier les sans-papiers ? Une proposition de… certains députés de gauche).

La députée qui remerciera Olivier Falorni et l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) souhaiterait aussi que l’euthanasie puisse être demandée par la personne de confiance et qu’on laisse le choix quant à la personne qui fera l’injection.

Un enjeu bioéthique fondamental, bien au-delà du seul Parlement

Derrière les débats qui peuvent parfois sembler techniques (collégialité, conditions d’accès, discernement, rôle des soignants), une question de fond s’impose : quelle société voulons-nous construire ? Le texte sur l’« aide à mourir » prétend garantir la liberté, mais il redéfinit profondément le rôle du médecin, la relation de soin, et le sens même de la solidarité nationale envers les plus vulnérables (cf. Fin de vie : « Députés de gauche, nous vous demandons de faire barrage à cette proposition de loi, par fidélité à ce que la gauche a de plus précieux : la défense indiscutable de la solidarité et de la dignité humaine »).

Peut-on vraiment garantir la liberté de demander à mourir, quand les soins palliatifs sont encore absents de vastes territoires ? Peut-on faire cohabiter des pratiques aussi différentes dans des mêmes lieux, alors que certaines relèvent à ce jour du code pénal ?

La discussion générale est close, l’examen des textes peut débuter. Yaël Braun-Pivet annonce que les députés ont 3081 amendements à examiner dans les deux semaines à venir.

 

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