Vendredi 16 mai à 22h05, à peine les discussions sur la proposition de loi sur les soins palliatifs et d’accompagnement terminées, l’examen de la proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » commence (cf. La Commission adopte une proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » sans contrepoids réel). Les députés sont en avance sur le débat, l’examen du premier texte a été plus rapide que prévu.
Environ 130 députés sont présents ce soir, sur les 577 élus que compte l’Assemblée. Un hémicycle encore bien vide malgré les questions vertigineuses que pose le texte.
« Un débat trop important pour ne pas avoir le temps du débat »
Avant même l’examen de la proposition de loi, les discussions commencent par un rappel au règlement de Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République). « Il est important de fixer le cadre des débats » tient à indiquer le député. « Dans un certain nombre de groupes il y aura des avis divergents complètement opposés sur je pense tous les articles de ce texte » prévient-il. « Comment vous assurerez-vous que toutes les opinions seront exprimées ? » demande le député au président de séance Jérémie Iordanoff (Ecologiste et social).
« Il y a sur ce texte 2 600 amendements et donc il y aura je pense pas mal de temps pour s’exprimer, chacun pourra le faire librement » souligne le président pour rassurer. Il prévient toutefois qu’il ne pourra donner la parole à chacun. « Je privilégierai un pour, un contre sur chaque amendement. S’il y a des sujets qui demandent à être plus éclairés, je pourrai faire deux pour et deux contre » explique-t-il. La règle est fixée, les discussions peuvent commencer.
Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) s’insurge : « le un pour, un contre, je le trouve scandaleux. C’est un débat trop important pour ne pas avoir le temps du débat, et être muselés ». Qu’importe, la règle est maintenue.
« Le but de la discussion est que le débat soit éclairé, et non pas que chacun puisse s’exprimer » soutient Jérémie Iordanoff. « Nous ne pouvons pas laisser trainer les débats » ajoute-t-il. Pourquoi cet empressement ? Quelle urgence à voter ce texte alors que les soins palliatifs sont loin d’être effectifs en France ? Est-ce là vraiment une priorité voulue par les Français ou plutôt une demande pressante de l’Exécutif ? (cf. Fin de vie : une stratégie politique travaillée pour légaliser l’euthanasie)
« Quelle société voulons-nous construire ? »
Une fois le cadre fixé, les députés entament les débats et exposent leur position, même si la discussion générale a déjà eu lieu le 12 mai (cf. Fin de vie : les débats commencent dans l’hémicycle et déjà des voix pour inscrire l’euthanasie dans la Constitution). Dès les premières prises de paroles, les oppositions apparaissent.
Cette proposition de loi constitue « une rupture éthique, une rupture anthropologique, une rupture médicale et finalement une rupture sociale » dénonce fermement Christophe Bentz (Rassemblement National). « Ce texte incarne une forme de bascule, une forme de barrière de civilisation que nous ne voulons pas franchir pour beaucoup d’entre nous », souligne le député qui propose d’en rester à la politique de développement des soins palliatifs. « Ils sont les seuls à pouvoir préserver l’espoir de la vie » soutient l’élu (cf. Plan décennal soins palliatifs, douleurs et fin de vie : renforcer la médecine de la douleur).
De son coté, Philippe Juvin (Droite Républicaine) interroge ses collègues : « Quelle société voulons-nous construire ? Une société du soin, de la fraternité, où l’on prend en compte les souffrances, ou une société où la compassion pourrait se résumer à fournir la mort sur demande ? » (cf. Fin de vie : « à vouloir légiférer de façon (pseudo) compassionnelle », on permet une « épouvantable aberration »). « Accepter des exceptions à un principe absolu, donner la mort, c’est accepter qu’un jour d’autres personnes, au nom de d’autres justifications, justifient d’autres exceptions » prévient en outre le député.
Un texte de liberté ?
A gauche, Dominique Potier (Socialistes et apparentés) fait lui aussi entendre son opposition au texte. « Ce n’est pas une religion, un ordre moral, mais la sagesse d’une civilisation qui a fait progressivement de l’interdiction de la mort une des digues sur lesquelles elle fondait son commun » affirme le député. « Nous ne sommes pas des atomes dans l’univers, mais des personnes reliées les unes aux autres » poursuit-il, ajoutant : « la liberté, telle qu’elle est posée dans la loi, est une fiction libérale ». « Il n’y a pas d’égalité républicaine tant qu’un Français sur deux est privé de soins palliatifs, il y a une rupture républicaine » déplore l’élu (cf. « L’enjeu n’est même plus de développer les soins palliatifs. Il s’agit d’éviter leur écroulement »). « Les plus fragiles, les plus vulnérables seront les premières victimes de ce texte » (cf. « Un gros risque en plus » : exclure les personnes handicapées du dispositif légal de mort administrée est « une urgence absolue »).
Parmi les défenseurs du texte, Hadrien Clouet (LFI-NFP) n’hésite pas à dire qu’« obliger quelqu’un à souffrir, c’est le début de la torture » (cf. Souffrir ou mourir, est-ce vraiment la question ?). « Ce texte est un texte de liberté, d’égalité et de fraternité individuelle et collective » considère le député, contrairement à son collègue (cf. « Est-on vraiment libre, quand la mort est préférable à la vie ? »). « La vie est plus belle quand on n’a pas peur de la mort, allons-y » exhorte-t-il. Pour lui, comme pour Sandrine Rousseau (Ecologiste et Social), le moment est venu de légiférer, les Français attendent cette loi pense-t-il.
Donner la mort ou mettre fin à des souffrances insupportables que la médecine ne peut soulager ? Deux visions de l’« aide à mourir » s’opposent dans l’hémicycle. Les députés appellent unanimement à des débats respectueux malgré les divergences. Y parviendront-ils jusqu’au bout ?
« Les soins ne nient pas la mort, mais ils ne la donnent pas »
En ce vendredi soir, les discussions se poursuivent avec l’examen de l’article 1. « Je suis très gêné par ce premier article qui vient modifier le Code de la Santé Publique » annonce Thibault Bazin (Droite Républicaine). « La mort provoquée a-t-elle affaire avec les soins ? » interroge l’élu. Un premier point crucial des débats.
Aucune des législations étrangères n’a considéré l’euthanasie ou le suicide assisté comme un soin fait remarquer Patrick Hetzel (Droite Républicaine). « Pourquoi voulons nous inscrire cela dans le Code de la Santé Publique ? » questionne-t-il à son tour.
Au vu de la définition de l’Académie de médecine, comme de celle de la HAS, provoquer la mort ne peut être un soin. « Les soins ne nient pas la mort, mais ils ne la donnent pas », ils la considèrent comme un processus « normal », n’entendant ni l’accélérer, ni la repousser explique Thibault Bazin. L’élu invite ainsi à trouver un cadre normatif autre que le Code de la Santé Publique.
« Quand l’Etat propose la mort, légitime la mort, il abandonne la médecine » souligne pour sa part Justine Gruet (Droite Républicaine). Comme le rappelle Josiane Corneloup (Droite Républicaine), la mission première des professionnels de santé est de soigner, de soulager, de préserver la vie, et non de provoquer la mort. L’« aide à mourir » remet en cause le serment d’Hippocrate et les valeurs fondamentales de la profession médicale (cf. « Cette pratique ne fait pas partie des missions d’un médecin » : la conférence des Doyennes et des Doyens de Médecine opposée à l’obligation d’une formation sur l’« aide à mourir »). Les soignants n’ont eu de cesse de le rappeler, sans pour autant être entendus (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »).
L’article 1 adopté
Là encore, tous ne partagent pas cette vision. « Les autres pays ayant adopté l’aide à mourir seraient-ils moins humains que nous ? Je ne le crois pas » lance Michel Lauzzana (Ensemble pour la République). Pour lui, « le soin, c’est prendre soin de quelqu’un, et prendre soin de quelqu’un, c’est aussi l’écouter dans ses demandes ».
Le rapporteur général, Olivier Falorni (Les Démocrates) justifie quant à lui le choix d’introduire dans le Code de la Santé Publique les dispositions relatives à l’« aide à mourir » par le fait qu’elles s’adressent à des personnes malades. Des professionnels de santé interviendront à l’ensemble des étapes de la procédure rappelle-t-il en outre (cf. La clause de conscience refusée aux pharmaciens, au nom de « la souveraineté de la personne sur elle-même, qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse ou du droit de mourir dans la dignité »). La ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, souscrit elle aussi à cette position.
Avec un double avis défavorable du rapporteur et de la ministre, tous les amendements de suppression de l’article 1 seront rejetés, et l’article 1 adopté avec 84 voix pour, 45 contre. L’« aide à mourir » sera ainsi inscrite dans le Code de la Santé Publique si la loi est votée le 27 mai.
« C’est la douleur qui doit disparaitre, jamais la vie humaine »
Charles Sitzenstuhl propose ensuite de compléter le texte en ajoutant un nouvel article, après l’article 1, afin de rappeler que la dignité humaine est inviolable, qu’elle doit être respectée et protégée, et que « toute personne a droit à la vie ». Des principes clés qui ne devraient souffrir d’exceptions (cf. « Le droit à mourir n’est pas le versant négatif du droit à la vie »). « Ceux d’entre vous qui sont férus de droit européen auront peut-être reconnu un « copié-collé » qui vient de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 1 et l’article 2 », plaide le député.
« La vie humaine suscite tant d’espoir qu’elle ne mérite pas qu’on y mette fin avant sa propre fin » souligne Christophe Bentz qui dénonce avec cette proposition de loi une forme de « démission dans le soin du corps et de la vie », « une forme d’aveu d’échec et d’abandon des souffrants ». Notre position est celle de « la protection de la vie à tout prix ». « C’est la douleur qui doit disparaitre, jamais la vie humaine » affirme le député (cf. Euthanasie : « ne pas se laisser enfermer dans le piège du choix truqué entre mourir ou souffrir »).
« Je ne crois pas qu’il se trouve dans cette assemblée une seule personne qui ne croit pas au respect de chaque individu » réplique la rapportrice Brigitte Liso (Ensemble pour la République). « Les principes que vous évoquez sont déjà reconnus dans notre droit » poursuit-elle, citant notamment le préambule de la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Catherine Vautrin la suit dans son argumentation. L’amendement 1119 de Charles Sitzenstuhl est rejeté après un double avis défavorable.
Le refus des termes : « la confession d’une impasse »
Après plus d’une heure de débats, les députés passent à l’examen de l’article 2 sur la définition de l’« aide à mourir », un article fondamental de la proposition de loi. Immédiatement, les discussions se concentrent sur la question de la sémantique. Contestant l’expression « aide à mourir », certains tentent de lui substituer les mots de « suicide assisté » et d’« euthanasie » qui correspondent à la réalité.
« Sur les termes du débat, nous avons perdu les Français », « il y a une confusion généralisée » dénonce Christophe Bentz qui souligne qu’« il faut dire la vérité aux Français ». « Ce nouveau droit emporte avec lui un changement majeur en ce qu’une personne peut provoquer légalement la mort d’autrui, il nous faut être particulièrement vigilant et éviter toute confusion » poursuit Annie Vidal (Ensemble pour la République). « La clarté dans la terminologie choisie est nécessaire » appuie à son tour Justine Gruet.
« Euthanasie, nous ne parlons que de cela, mais il est interdit de prononcer les mots » déplore en outre Philippe Juvin qui relève que le Conseil d’Etat les utilise, lui. « Pourquoi refuser les termes de suicide assisté et d’euthanasie ? » questionne Patrick Hetzel (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »). Le refus d’utiliser les termes est « la confession d’une impasse » répond pour sa part Vincent Trébuchet (UDR). « Comment penser qu’il n’y a pas d’autres solutions pour soulager alors que nous n’avons pas été au rendez-vous du déploiement des soins palliatifs dans notre pays ? » lance l’élu.
« A défaut de référendum, au moins ayons la transparence des mots »
« Les définitions permettent l’intelligibilité de la loi » souligne en outre Philippe Juvin qui met en garde : « Nous nous exposons à une censure, nous avons un problème de contrôle constitutionnel de la loi que nous discutons parce qu’elle n’est pas intelligible ». « Elle est si peut intelligible que nous utilisons le mot « naturel » pour désigner la mort après euthanasie » pointe l’élu (cf. L’« aide à mourir » qualifiée de « mort naturelle » : le « mensonge sémantique » poussé « encore plus loin »).
Bien que favorable à la proposition de loi, Gaëtan Dussausaye (Rassemblement National) souhaite lui aussi que les termes soient clairs. « Je n’ai pas du tout de malaise à utiliser les mots qui sont dans la langue française et à parler de suicide assisté ou d’euthanasie » soutient le député. « En n’utilisant pas les bons mots, vous avez une attitude contre-productive car c’est le fait de ne pas assumer clairement qui peut créer un doute sur l’objectif réel de cette loi » considère l’élu. « Pour la transparence des débats, à défaut de référendum, au moins ayons la transparence des mots et utilisons les bons mots » (cf. Euthanasie : la corruption des mots précèdera-t-elle la corruption des actes ?).
« Nous ne voulons pas du terme euthanasie qui a été souillé par l’Histoire »
Rejetant ces questions de sémantique, Sandrine Rousseau (Ecologiste et Social) rétorque pour sa part que « cette loi n’est pas une loi de vocabulaire, mais une loi de nouveaux droits, d’un nouveau choix ». « Il n’y a aucune obligation d’y recourir, mais il y a la liberté de pouvoir choisir cette aide active à mourir », affirme-t-elle.
Le rapporteur Olivier Falorni s’oppose fermement à tout changement de vocabulaire. « Il y a des mots qui ont une belle étymologie », mais il y a aussi « des mots qui sont souillés par l’Histoire » déclare le rapporteur général qui refuse l’utilisation du mot euthanasie. Rappelant l’origine du mot et le programme T4 qui a abouti à la mort de très nombreuses personnes handicapées, Olivier Falorni ose lancer : « J’espère que vous n’envisagez pas que nous avons les mêmes intentions ». Le rapporteur ne veut pas non plus utiliser le terme de suicide assisté qui crée selon lui une confusion avec la prévention du suicide.
Olivier Falorni considère par ailleurs que le terme d’« aide à mourir » est très clair. S’appuyant sur le rapport national de l’Observatoire du suicide rendu en février 2025, il va jusqu’à prétendre que « la possibilité de recourir à l’aide à mourir pourrait même permettre un début de prise en charge du mal être et une prévention du suicide » (cf. Effet Werther : « En légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, on banalise le suicide »).
Bien qu’opposé au texte, Christophe Bentz finit par se rallier en partie à l’argumentation d’Olivier Falorni. « Sur le terme euthanasie, factuellement vous avez raison » reconnait le député qui propose de parler de « suicide délégué » et de « suicide assisté ».
Peu après minuit, tous les amendements de suppression de l’article 2 seront rejetés avec 85 voix contre et 39 pour.
Les débats sur le texte ne font que commencer. Ils reprendront samedi à 9h. Ce soir, parmi la vingtaine d’amendements examinés, aucun n’a été adopté. En ce vendredi, la cadence du début de semaine a bien ralenti. Et l’unanimité qui existait sur les soins palliatifs est déjà un vieux souvenir.