Fin de vie : des amendements pour euthanasier des morts

15 Avr, 2025

Le député Michel Lauzzana (Ensemble pour la République) a déposé plusieurs amendements à la proposition de loi relative à la « fin de vie » visant à permettre les euthanasies de personnes « en cas de mort cérébrale, de coma ou d’état végétatif irréversibles »[1]. La « volonté libre et éclairée » du patient serait alors « manifestée par l’intermédiaire de directives anticipées » ou de la « personne de confiance ». Réaction et décryptage du professeur Xavier Ducrocq, neurologue.

Les trois situations cliniques évoquées par le député ont pour seul point commun l’absence de possibilité pour le patient d’exprimer sa volonté du fait de cet état, caractérisé par l’absence de conscience. On sent que l’objectif recherché est de ne pas priver ces personnes d’accéder à l’« aide médicale à mourir ». Or, des dispositions existent déjà dans ces situations où le patient est « hors d’état d’exprimer ses volontés », de par la loi Claeys-Leonetti. Elles ont repris la notion de personne de confiance (laquelle existe depuis la loi du 4 mars 2002) et créé la notion de directives anticipées dès la loi du 22 avril 2005. D’ailleurs, lorsque le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, le médecin doit avoir « consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne ».

Cela dit, d’un point de vue médical, les 3 situations évoquées par les amendements sont diamétralement différentes.

La « mort cérébrale » – on parle d’ailleurs de mort encéphalique – signe la mort clinique du patient. Cela n’a donc aucun sens d’euthanasier un mort ! C’est s’acharner sur un cadavre. Emettre une telle proposition traduit la méconnaissance du sujet du député, lequel ne semble pas s’être entouré d’avis médicaux très éclairés, et discrédite totalement sa proposition. On est dans « l’acharnement législatif » !

Il en va de même pour le coma. Un coma reste une situation évolutive. L’évolution peut se faire vers la mort ou le retour à la conscience, le plus souvent. Parfois il évoluera vers un état chronique de conscience altérée, état d’éveil non répondant ou état de conscience minimale. Compte tenu de l’incertitude évolutive d’un coma – incertitude qui peut durer des semaines, sinon des mois (cela dépend de la cause du coma, laquelle doit toujours être connue) -, donner la possibilité d’euthanasier le patient s’il l’avait exprimé auparavant, va entrainer un doute permanent des proches, une perte de confiance, une méfiance, voire une défiance à l’égard du médecin dont on se demandera toujours quelle est l’intention : sauver ou achever. Il suffit de prendre l’exemple d’une personne en coma dans le cadre d’une tentative de suicide par intoxication volontaire médicamenteuse : on essaye de la sauver, ou on achève le geste suicidaire non encore abouti en en rajoutant une dose suffisante pour obtenir le décès ? Surtout quand la proposition de loi prévoit qu’un soignant, qui ne ferait pas lui-même le geste létal devrait dans tous les cas rester à proximité au cas où un problème surviendrait !

Enfin, reste la situation des états chroniques de conscience altérée. De telles situations restent exceptionnelles – on en estime le nombre en France à 1500 environ. Leur survenue est imprévisible. Il parait donc difficile d’accorder un crédit à d’éventuelles directives anticipées. S’il en avait rédigé, le patient ne serait pas en mesure d’envisager de les réviser, une fois dans la situation. Quelle valeur actuelle alors pourrait-on leur accorder ? Les équipes dédiées à ces patients ont d’ailleurs développé une solide expérience éthique sur ces questions des limites entre soins raisonnables et soins déraisonnables. Inscrire l’euthanasie (sans la nommer d’ailleurs) dans la loi exercerait immanquablement une pression sur les médecins, soignants, proches, pour y recourir. Ce n’est pas du tout l’esprit, ni la lettre de la Circulaire DHOS/02/DGS/SD5D/DGAS n° 2002-288 du 3 mai 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel qui définit et encadre les conditions de prise en soins de tels patients. Malheureusement, l’affaire Vincent Lambert a bien montré, à qui a voulu le voir, qu’il était possible de provoquer la mort d’une telle personne en l’absence de directives anticipées, de désignation de personne de confiance, de consensus familial sur ce que pouvait être l’avis du patient. Le doute n’a pas profité à la vie (cf. Xavier Ducrocq : « Faire mourir Vincent Lambert, c’est enterrer Hippocrate »).

Les amendements de notre député, outre le caractère absurde et inepte des 3 situations regroupées en une seule, s’avèrent donc extrêmement inquiétants. Ils préludent bien de l’élargissement à venir du cadre d’application de la loi, déjà totalement flou et très peu restrictif, si elle était votée.

 

[1] Amendement AS776 relatif à l’article 4 alinéa 9, amendement AS777 relatif à l’article 5 alinéa 4, amendement AS782 relatif à l’article 6 alinéa 12, amendement AS787 relatif à l’article 9 alinéa 5

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