Fin de vie : « ayez le courage de nous laisser vivre ! »

27 Mai, 2025

Porteuse d’une maladie génétique rarissime, comme son frère décédé il y a 14 ans, Marie-Caroline Schürr dénonce la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir » et interpelle les députés qui voteront le texte ce mardi. Auteur de Out of the box, la joie à roulettes, conférencière et consultante en inclusion, son combat est celui de la vie.

La mort serait donc préférable pour moi parce que je suis handicapée ? Non Monsieur le Président, non Monsieur Falorni, non messieurs les députés : je veux vivre !

Jeune femme née avec un handicap moteur très lourd et douloureux, évolutif, source de contraintes, d’une dépendance permanente pour le moindre geste, la maladie et le handicap n’ont plus de secrets pour moi. Chaque jour, mon combat est celui de l’autonomie. Car je veux vivre, simplement vivre … de toutes mes forces !

«  Mon combat est celui de la vie »

Jour et nuit le handicap est un combat de chaque instant que je ne peux nier, la maladie ne connaît jamais de repos, jamais de vacances, jamais de jour de congé. H24 elle est présente, autant que la vie l’est.

Tout est parcours du combattant, tout est contrainte, tout demande des montagnes de courage, de résilience, de force et d’énergie : se déplacer, être scolarisée, faire des études, travailler, trouver une place dans la société, ne pas être considérée comme une « bête de foire » sans valeur, sortir de chez moi, évoluer dans une ville, être décemment et dignement soignée, être regardée et entendue, réaliser des projets, bouger, voyager… vivre tout simplement.

Le handicap est une contrainte, la vie n’en est pas une. J’ai été scolarisée, j’ai fait des études, j’ai travaillé comme enseignante dans l’Education nationale pendant 10 ans, j’ai parcouru de nombreux pays dans le monde. La vie a une telle saveur, ce serait triste de ne pas la goûter ! Je ne veux pas subir ma vie, ni la vivre comme une morte vivante, mais tout simplement vivre : comme vous, comme n’importe quel être humain. Vivre ! Mon combat est celui de la vie, pas celui de la mort !

« Nous éliminer, sous prétexte de nous « simplifier » la vie »

Aujourd’hui, je serais « éligible » à l’euthanasie (hypocritement renommée « aide à mourir ») qui vise d’abord les personnes vulnérables, dont je fais partie : les personnes malades, en fin de vie, âgées, handicapées… (cf. Les critères d’accès à l’« aide à mourir » adoptés : « Vous n’avez jamais, jamais, lâché un millimètre, sur rien ») En bref, les personnes qui dérangent et sont sources de contraintes. La mort, celle qui tétanise notre société, qui fait peur, qui est écartée à tout prix, serait la « solution » pour nous, hiérarchisant ainsi la valeur de nos existences. Proposer la mort comme choix de vie, quel paradoxe !

Qu’est-ce que « l’aide à mourir », sinon supprimer, en conscience, la vie d’une personne humaine ? Il faudrait nous éliminer, sous prétexte de nous « simplifier » la vie. Mais quelle vie simplifie-t-on ? La mienne, vulnérable ? Celle de mon entourage ? De l’hôpital ? Des soignants ? De la société ? Alléger les finances publiques, se débarrasser de ce qui dérange, c’est en apparence si simple (cf. Fin de vie : l’angle mort des questions économiques et sociales). Comme une marchandise, à prendre ou à laisser.

Au nom de quoi une société « civilisée » veut-elle supprimer ceux qui ont le plus besoin de son accompagnement, de son aide, de sa sollicitude, de son humanité ? Nous sommes tous vulnérables, nous avons tous besoin d’aide, de relations et de lien sociaux (cf. « La réponse à la fragilité ne peut pas consister à faire disparaître les personnes qu’elle atteint »).

« Voulez-vous aujourd’hui tuer ces mêmes personnes portées il y a quelques mois sur un piédestal ? »

Que dit ma conscience ? Que dit votre conscience, en vérité ? Voulez-vous consciemment me tuer pour que je ne souffre plus, ou voulez-vous préserver la société de la « honte » de laisser vivre des personnes dites fragiles ? Voulez-vous faire mourir ma personne, ou notre société française ? Acceptez-vous de m’écouter et de m’entendre ?

Il y a un an à peine les athlètes paralympiques faisaient l’unanimité et croulaient sous les applaudissements du monde entier, époustouflé par leur courage, leur résilience, leur force, leurs compétences. Etait-ce pour faire de notre pays un exemple en apparence d’inclusion, ou parce que leur courage ne pouvait que nous laisser muets d’admiration ?

Nous, les « éligibles », les personnes avec ce petit truc en plus (non en moins !), nous sommes des « combattants de la vie », des athlètes paralympiques à notre manière dans le combat quotidien et douloureux de la maladie. Voulez-vous aujourd’hui tuer ces mêmes personnes portées il y a quelques mois sur un piédestal dans notre pays ? Ne voulez-vous pas plutôt continuer de les encourager, les accompagner ?

« Ma vie n’est pas un poids ! »

Non, l’euthanasie n’est pas un soulagement. Cette idée même me fait porter une lourde culpabilité : je suis de trop. Je suis un poids pour les autres (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). Je sature les services hospitaliers. Je coûte cher. Peut-être vaudrait-il mieux me supprimer ? Non, la proposition de loi actuelle, affirmant soi-disant le libre choix pour la fin de vie, n’est pas la vérité. La loi n’est que le reflet d’une mentalité qui anesthésie mon esprit : pour le bien de la société, il faudrait alléger le poids de ma vie. Mais ma vie n’est pas un poids ! La maladie l’est, mais la vie ne l’est pas !

Au nom de l’amour et d’un bien-être qui me serait soi-disant bénéfique, je pourrais tomber dans cette culture de mort. Une culture de la perfection, sans le moindre grain de sable, désagrément ou contrariété. Comme s’il était interdit d’être différent, fragile, pauvre, malade, âgé, handicapé.

Non, « l’aide à mourir» ne doit pas être rendue possible dès lors qu’un grain de sable enraye le système. La dépénaliser, c’est prendre le risque de la rendre automatique. Notre société deviendra alors hédoniste, stérile, robotisée, peuplée de gens faussement parfaits – car la perfection n’existe pas.

« Je ne suis pas moins digne de vivre que vous »

Quel degré de dépendance me fera passer du côté de ceux qu’il faut tuer « pour leur bien » ? À quel moment y aura-t-il un carton rouge pour prévenir le danger, et empêcher le médecin de m’injecter la solution létale, s’il considère que je ne suis plus digne de vivre ?

Estimez-vous que ma vie est digne ? Suis-je un fardeau pour moi-même, pour vous, pour la société que vous gouvernez, une erreur biologique ou génétique, un poids qu’il faut bien porter puisque je suis en vie et qu’il n’y a pas le choix ?

Votre dignité, Monsieur le Président, Monsieur Falorni, messieurs les députés, est égale à la mienne (cf. La dignité est « inconditionnelle »). Personne n’est plus digne qu’un autre. Je ne suis pas moins digne de vivre que vous. Vous n’êtes pas plus digne de vivre que moi. La vraie dignité, c’est d’être regardée comme une personne à part entière, même fragile. Ce n’est pas d’avoir le droit de disparaitre, c’est d’avoir les moyens d’exister !

« Je demande juste que l’on m’aide à vivre, pas à mourir »

Ma vie est difficile, mais elle est pleine. Elle est blessée, mais elle est belle. Elle est limitée, mais elle est digne (cf. La rencontre de notre vulnérabilité : première étape, pour devenir humain !). Ma douleur physique et tout ce qu’elle entraîne avec elle n’empêche pas le bonheur, ni ma rage de vivre. Malgré une souffrance permanente, jamais je n’ai souhaité mourir.

Oui, souffrir est terrible. Encore plus lorsque l’on vous insinue que vous ne valez rien, que votre identité n’est que votre vulnérabilité, rien de plus qu’un objet bon à jeter.

La mort ne vient pas supprimer la souffrance, elle supprime la vie. Elle n’est pas la solution. Elle ne sera jamais la solution. La solution, c’est de m’aider à vivre dignement, c’est de me considérer, de m’envisager comme une personne, de me donner les moyens d’être plus autonome, d’ouvrir les portes à des soins respectueux de ma vie, de m’inclure dans la société, de valoriser mes talents et compétences, d’accepter surtout, même si cela vous dérange, que j’ai envie de vivre !

Je ne demande pas l’impossible. Je ne demande pas un monde parfait. Je demande juste que l’on m’aide à vivre, pas à mourir. Qu’on ne décide pas à ma place que ma vie vaut moins que celle des autres. Je vous en supplie : ayez le courage de me laisser vivre. Je veux être éligible à la vie, non à la mort !

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