Vendredi, par 330 voix contre 275 [1], les parlementaires de la Chambre des communes ont voté en faveur d’une proposition de loi visant à autoriser le recours au suicide assisté en Angleterre et au Pays de Galles (cf. Suicide assisté : une proposition de loi très controversée au Royaume-Uni). Un texte doté des « garanties et protections les plus fortes et robustes au monde », selon Kim Leadbeater, qui portait le texte (cf. Fin de vie : les oppositions s’affirment au Royaume-Uni contre un « service public de la mort »).
Deux médecins « indépendants » et un juge de la Haute Cour devront valider l’éligibilité des patients et constater leur volonté de mettre fin à leur vie. Mais pour la parlementaire Diane Abbott, le rôle du juge pourrait être une « approbation automatique ».
Le vote, et le silence
Ce vote a eu lieu après plus de quatre heures d’un débat « passionné » au cours duquel les parlementaires des deux camps ont partagé des histoires personnelles qui ont motivé leurs décisions. 160 d’entre eux avaient demandé à prendre la parole, ce qui n’a pas été possible en raison de contraintes de temps.
Les réactions à ce vote ont été nombreuses et contrastées. A l’instar de Kim Leadbeater, Dame Esther Rantzen, l’une des militantes les plus médiatisées de l’« aide à mourir », s’est réjouie de ce vote. Atteinte d’un cancer en phase terminale, l’animatrice de 84 ans s’est dite « déterminée » à vivre pour voir les prochaines étapes de l’examen du texte.
Toutefois l’annonce des résultats du vote n’a suscité aucune acclamation. Au contraire, elle s’est suivie d’un silence. Dame Tanni Grey-Thompson, ancienne athlète paralympique et membre de la chambre de Lords, « farouchement opposée » à la proposition de loi, confesse avoir été « émue jusqu’aux larmes ». « Cette loi envoie le message que la vie des personnes âgées, des malades en phase terminale et des handicapés ne vaut pas la peine d’être vécue », regrette-t-elle. Ce que déplore également Julie Agnes Forshaw, une résidente du nord du Pays de Galles âgée de 54 ans qui souffre d’une maladie dégénérative en phase terminale.
Pour l’association Disability Rights UK, ce vote constitue même « une profonde trahison envers les personnes handicapées du Royaume-Uni, qui continuent de lutter pour vivre dignement dans une société qui ne parvient même pas à répondre à nos besoins les plus élémentaires ».
Un risque pour des soins palliatifs déjà en difficulté
« Réparer le système de soins palliatifs en difficulté doit être une priorité immédiate pour le gouvernement », interpelle l’Association pour la médecine palliative qui craint que le financement nécessaire pour payer les médecins et les tribunaux chargés de superviser l’« aide à mourir » ne « détourne l’argent » des soins à prodiguer aux mourants. « Le Royaume-Uni est souvent présenté comme ayant les meilleurs soins palliatifs au monde – mais ce n’est plus le cas, déplore le Dr Sarah Cox. Nous n’obtenons pas le financement dont nous avons besoin. »
De leurs côtés les évêques britanniques ou le mufti Zubair Butt ont alerté contre les conséquences de ce texte sur les plus vulnérables et le risque de voir advenir un « devoir de mourir ». Dee Coburn, maman de la petite Tilly âgée de 8 ans et atteinte du syndrome de Rett s’est déclarée « terrifiée » suite au vote : comment sera jugée la « qualité de vie » de sa fille ?
Des parlementaires très partagés
Le Premier ministre, Keir Starmer, a voté en faveur du texte, comme la majorité de son cabinet. En effet, quinze se sont prononcés en faveur du texte quand huit s’y sont opposés. Parmi les ministres qui ont voté contre la proposition, on trouve le secrétaire à la Santé Wes Streeting et la secrétaire à la Justice Shabana Mahmood. Deux ministres qui auraient la responsabilité globale de la mise en œuvre de tout changement dans la loi.
En outre, « au moins 36 députés » ayant voté en faveur de l’« aide médicale à mourir » ont indiqué qu’ils pourraient changer d’avis. Leur soutien au texte sera « conditionné » par « la manière dont la proposition de loi résistera à un examen minutieux ».
Un processus loin d’être terminé
En effet, le texte va désormais être examiné par les deux chambres qui pourront soumettre des amendements. Après un examen en commission[2] qui devra débuter ses travaux l’année prochaine, la proposition éventuellement amendée sera soumise au vote de la Chambre des communes. Certains députés demandent que plusieurs jours soient réservés au débat et au vote sur tous les amendements lorsqu’ils seront déposés. Le texte sera ensuite transmis aux Lords. Plusieurs itérations pourraient intervenir avant un vote définitif. Le Gouvernement doit également publier une étude d’impact officielle, probablement avant le passage en commission.
Plusieurs mesures pourraient ainsi être introduites, comme le fait que le suicide assisté ne puisse jamais découler de l’initiative d’un médecin, ou encore l’ajout d’un processus d’annulation de la demande. Des parlementaires voudraient aussi préciser la formation requise pour les médecins et les juges en charge d’examiner les demandes, afin qu’ils aient les moyens d’évaluer les situations de coercition.
D’autres questions restent en suspens, comme le rôle des familles, la possibilité de faire appel d’une décision, l’éventualité d’une clause de conscience pour les juges.
Eviter la « pente glissante » ?
Différents parlementaires voudraient d’ores et déjà supprimer le critère de maladie en « phase terminale », entrainant un pronostic vital inférieur à 6 mois.
A l’inverse, certains députés souhaiteraient une « sorte de protection » dans la proposition de loi pour empêcher le phénomène de « pente glissante », ou du moins créer de « sérieux obstacles » afin d’éviter que cela se produise. Ce qui semble toutefois difficilement atteignable puisque le Parlement ne peut pas adopter des lois qui restreindraient l’action de futures assemblées.
Pour Liam McArthur, un député du Parlement écossais favorable au suicide assisté, Holyrood devrait suivre Westminster. Une proposition de loi distincte a en effet été proposée en Ecosse. Elle y sera discutée l’année prochaine (cf. Fin de vie : l’Ecosse en marche vers la légalisation de « l’aide à mourir » ?).
Complément du 12/12/2024 : Les membres de la commission chargée d’examiner la proposition de loi sur l’« aide à mourir » ont été nommés. Sur les 21 députés qui en sont membres, 12 se sont prononcés en faveur du texte lors du vote du 29 novembre.
Deux ministres ont également été nommés. Ils y représenteront leur ministère et le « gouvernement dans son ensemble ». Il s’agit de Stephen Kinnock, ministre des Soins, et Sarah Sackman, ministre de la Justice. Tous deux ont voté pour la proposition de loi.
[1] 21 ne se sont pas exprimés : 18 du parti travailliste et 3 conservateurs
[2] C’est Kim Leadbeater qui choisira les membres de la commission. Elle a promis qu’ils refléteraient « un équilibre des points de vue ». Un ministre y sera également nommé.
Sources : BBC, Becky Morton (30/11/2024) ; The Telegraph, Simon Johnson (29/11/2024) ; itv (29/11/2024) ; The Guardian, Eleni Courea, Rowena Mason, Jessica Elgot et Harriet Sherwood (29/11/2024) ; The Guardian, Haroon Siddique (01/12/2024) ; The Independent, Holly Bancroft (30/11/2024) ; The Guardian, Kiran Stacey (29/11/2024) ; BBC, Nick Triggle et Smitha Mundasad (30/11/2024) ; Vatican news, Susy Hodges (30/11/2024) ; BBC, Adam Lever (01/12/2024) ; Mirror, Lizzy Buchan (28/11/2024) ; The Independent (29/11/2024) ; The Independent, Max McLean (30/11/2024) ; Forbes, Gus Alexiou (29/11/2024) ; Skynews, Tim Baker (11/12/2024)