Faut-il autoriser le recours à l’assistance médicale à la procréation dans les prisons ?

Publié le 26 Juin, 2012

Suite à la demande d’une femme prisonnière de Fresnes, "bientôt quadragénaire, amoureuse d’un homme enfermé lui aussi, dans une prison espagnole" à pouvoir recourir à l’assistance médicale à la procréation (AMP) dans la mesure où elle "ne pourra plus être enceinte […] quand elle sera libérée", les soignants de la prison "ont alors décidé de saisir l’Académie de médecine".
En octobre prochain, le groupe de travail constitué pour traiter de cette question rendra son avis. La question majeure posée à l’Académie, "la science doit-elle artificiellement rétablir ce que les murs rendent impossible ?", implique une "réflexion éthique" importante "sur la procréation comme sur le sens de la peine de prison".
A cette question, le Pr Henrion, gynécologue-obstétricien et rapporteur du groupe de travail précise que la détention "est d’abord une sanction [pour les uns] : attention, préviennent-ils, accorder l’AMP aux prisonniers choquera l’opinion publique. [Pour d’autres], c’est une préparation à la réinsertion, […] la prison doit imposer une limitation de mouvement, pas l’interdiction de bâtir sa vie future et de fonder une famille".
Le Pr Henrion explique que la principale question posée à l’Académie devra trancher deux cas de figures. Le premier consiste à savoir s’il faut "accorder l’AMP à un(e) détenu(e) stérile", puisque selon le Pr Henrion, "l’enfermement [pourrait] entraîner des troubles d’ovulation". Le deuxième cas de figure est celui de savoir si "le traitement de l’infertilité est […] un soin médical primaire". S’il est possible de prouver l’infertilité chez les hommes au moyen d’un spermogramme, c’est en revanche beaucoup plus compliqué chez la femme "n’ayant au mieux fait l’amour que trois fois dans l’année".     
Enfin, la question éthique de " ‘l’intérêt de l’enfant’  laisse une large place à la subjectivité des soignants". Le docteur  Bujean, Président de la fédération des Cecos (Centres d’Etudes et de Conservation des Oeufs et du Sperme), précise que " pour toutes les demandes, [dans les prisons comme à l’extérieur], l’équipe médicale doit vérifier que le couple est bien un couple, qu’il a un vrai projet d’enfant. Il en va de notre responsabilité [de médecin]". Il ajoute qu’une question préoccupe tout de même les pédopsychiatres du groupe de réflexion de l’Académie : si "les médecins travaillants en prison refusent catégoriquement que la nature du délit entre en ligne de compte dans les soins apportés aux détenus, […] on peut [tout de même] se demander si une condamnation pour violence sexuelle ne doit pas l’être dans sa demande d’AMP".     
A cette question, Pierre Jouannet, "spécialiste de la procréation (aujourd’hui à la retraite) et membre de l’Académie", pose en retour la question de savoir "dans quelle mesure un médecin peut porter un jugement [sur le fait que] nés d’une mère incarcérés, les enfants seront élevés durant leurs dix-huit premiers mois entre les murs, puis séparés de leur mère". S’il considère que "l’enfermement doit être pris en compte dans [la] réflexion [il ajoute qu’] il n’empêche pas forcément d’avoir une relation avec son père, c’est le cas de tous les enfants de prisonniers".

En 2007, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a posé "le principe d’un droit à la procréation en détention". Si la CEDH a condamné le Royaume-Uni "qui avait refusé à un détenu et à son épouse de 49 ans la possibilité de recourir à l’AMP", Daniel Borillo, professeur à l’Université de Nanterre, précise que cette "condamnation ne peut être transposée au cas français [car], Outre-Manche, l’aide à la procréation n’est pas soumise à un problème médical, et il n’existe pas dans ce pays de ‘chambre d’amour ‘ en prison, un élément qui a été décisif pour la Cour européenne".
 

Libération (Sonya Faure) 27/06/12

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