Fausses-couches : reconnaître la douleur de la perte d’un enfant non né

Publié le 12 Mai, 2022

Ce sujet parfois tabou est revenu dans l’actualité à l’occasion de récentes initiatives. Mais est-ce en conflit avec la règlementation en matière d’avortement ? Décryptage.

Différentes initiatives ces derniers mois ont attiré l’attention sur un sujet douloureux pour les familles concernées : la fausse couche. Une députée, Mme Forteza, a ainsi déposé le 22 février 2022 une proposition de loi pour une meilleure prise en charge de la fausse couche, proposant notamment, sur le modèle néo-zélandais (cf. Nouvelle-Zélande : trois jours de congé de deuil pour les parents après une fausse-couche), un congé de deuil de trois jours pour les parents, tandis que les auteurs d’une tribune dans Le Monde du 27 mars 2022 soulignaient le caractère traumatique de la fausse couche, terme qu’ils demandaient de bannir au profit d’arrêt de grossesse subi.

L’attention portée à la souffrance des parents lors de la perte d’un bébé avant la naissance s’est aussi manifestée par l’adoption de la loi du 6 décembre 2021 qui, en complétant l’article 79-1 du code civil, a permis de donner un prénom et un nom de famille aux enfants nés sans vie (cf. Le Parlement vote la possibilité de donner un nom de famille aux enfants nés sans vie). Depuis 1993, ils étaient mentionnés dans les registres d’état civil à travers un acte d’enfant sans vie mais n’étaient pas nommés.

Qu’est-ce qu’une fausse couche ?

Avant d’examiner les enjeux et conséquences possibles de cette reconnaissance de la perte d’un enfant non né, il est nécessaire d’opérer quelques clarifications sémantiques et juridiques.

On appelle fausse couche un arrêt spontané de la grossesse avant le seuil de viabilité du fœtus, fixé par l’OMS à 22 semaines d’aménorrhée (environ 5 mois de grossesse) et 500g. La fausse couche est donc un avortement spontané, à la différence de l’interruption volontaire de grossesse qui est un avortement provoqué à dessein. La fausse couche est précoce avant 14 semaines d’aménorrhée, tardive au-delà. Si la grossesse s’arrête après 22 semaines d’aménorrhée, nous ne sommes plus en présence d’une fausse couche mais d’un enfant mort-né.

La fausse couche précoce est un événement extrêmement fréquent, ce qui n’enlève cependant rien à la peine qu’elle cause : selon les estimations, 10 à 15% des grossesses se termineraient par une fausse couche, voire un tiers si l’on compte celles, très précoces, qui peuvent avoir lieu avant même que la femme se sache enceinte. Les fausses couches tardives touchent environ 1% des grossesses. Quant aux enfants mort-nés, à côté des 740 000 naissances d’enfants vivants enregistrées en 2020, 8 747 actes d’enfant sans vie ont été dressés, dont une majorité provenant d’interruptions médicales de grossesse (cf. Augmentation de la mortalité infantile en France : des causes diverses).

Depuis 1993, pour les enfants mort-nés, ou nés vivants mais non viables, un acte d’enfant sans vie peut être établi à la demande des parents et sur présentation d’un certificat d’accouchement. La Cour de cassation a précisé en 2006 que le code civil ne « subordonnait pas l’établissement d’un acte d’enfant sans vie au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ». Il s’agissait en l’espèce de fœtus de 18 à 21 semaines. L’acte d’enfant sans vie peut donc être dressé en cas d’enfant mort-né mais aussi de fausse couche tardive. La pratique administrative, fondée sur la circulaire 2009-182 du 19 juin 2009, admet l’établissement d’un tel acte à partir de 15 semaines d’aménorrhée. Il s’agit d’une « reconnaissance symbolique », l’inscription sur le registre ne constituant pas un acte d’état civil[1]. La modification de l’article 79-1 du code civil de décembre 2021 permet d’attribuer un nom de famille à l’enfant, or le nom de famille et la filiation sont des attributs de la personnalité juridique. Pourtant, l’article précise toujours que l’inscription au registre d’état civil n’emporte aucune conséquence juridique.

Les différentes initiatives citées ont le mérite de mettre en lumière un sujet souvent occulté et de reconnaître la douleur de la perte d’un enfant non né. Elles soulèvent cependant des difficultés d’une part d’ordre pratique, notamment de preuve, d’autre part de fond : la reconnaissance de la souffrance des parents qui ont perdu un enfant avant sa naissance entre-t-elle en conflit avec la législation qui admet l’avortement volontaire ?

La difficulté pratique du congé pour fausse couche

La Nouvelle-Zélande, en mars 2021, a adopté une loi accordant trois jours de congé en cas de naissance d’enfant mort-né et de fausse couche. Si la proposition de loi de Mme Forteza était adoptée, la question de l’étendre aux cas de fausse couche pourrait se poser en France, d’autant plus que la Cour de Cassation a précisé que la durée de la grossesse n’était pas un critère pertinent.

Ceci poserait cependant des problèmes pratiques, notamment des difficultés de preuve. En effet, très souvent les femmes effectuent un test à domicile sans consulter de médecin et ne font la déclaration de grossesse qu’au cours du troisième mois. Si en plus la fausse couche est très précoce, le corps du bébé n’est pas identifiable. On pourrait garder le critère de 15 semaines mais, outre la création d’un nouvel effet de seuil, cela semblerait nier ou minimiser la souffrance liée aux fausses couches précoces, qui sont les plus nombreuses, et on ne peut indexer la peine à la durée de gestation.

D’autre part, en parler et accorder une reconnaissance à la perte d’un enfant non né peut aider certaines femmes mais d’autres ne souhaiteraient pas étaler leur douleur sur la place publique, peut-être surtout en cas de fausse couche à répétition.

L’existence de l’enfant et sa personnalité juridique

La reconnaissance de la souffrance des parents implique celle de l’existence de l’enfant perdu. Or, la réalité de l’enfant non né est délibérément occultée par les promoteurs de l’avortement : ils parlent « d’interruption de grossesse » et de « produit de la grossesse », voire « d’amas de cellules ». En effet, si la femme « attend un enfant », l’avortement consiste à le tuer. Le refus de reconnaître cette réalité a conduit en 2004 au rejet de l’amendement Garraud qui prévoyait de sanctionner l’interruption involontaire de grossesse due à une imprudence, une négligence ou un manquement à une obligation de sécurité. Cet amendement avait suscité une vive réaction, certains y voyant un risque de donner « insidieusement au fœtus le statut juridique d’une personne »[2], qui aurait pu entraîner l’interdiction de l’avortement au nom du droit à la vie.

C’est pour cette raison que l’article 79-1 du code civil précise que l’inscription au registre d’état civil n’emporte aucun effet juridique : on reconnaît son existence humaine mais pas sa qualité de personne qui supposerait des effets juridiques, en particulier la reconnaissance de droits, au premier rang desquels le droit à la vie. Cette scission entre existence humaine et personnalité juridique, outre son caractère artificiel voire schizophrène, constitue un véritable danger : on pourrait l’étendre à d’autres êtres humains en raison de leur âge ou de leur état de santé, les privant ainsi de droits donc justifiant leur élimination.

On trouve des illustrations de ce risque dans la revendication d’un “avortement post-natal”[3] ou dans pratique de l’euthanasie selon des critères de plus en plus extensifs, comme en Belgique, mais aussi dans une confusion parfois volontairement entretenue. Ainsi, de puissantes ONG ont mené une violente campagne contre le Salvador, l’accusant d’avoir incarcéré des femmes qui avaient fait des fausses couches (cf. Manuela c. Salvador : contre l’instrumentalisation, les faits). Or, il était établi par les autopsies que les enfants, qui parfois avaient subi d’effroyables violences, avaient respiré. Il ne s’agissait pas de fausses couches ni même d’avortements mais bien d’infanticides. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’affaires d’avortement (spontané ou volontaire) mais elle a encouragé l’impunité en cas d’infanticide : elle a jugé que les droits des mères avaient été violés et ordonné au Salvador de modifier sa législation nationale afin d’abaisser les peines pour infanticide…

La distinction entre l’humanité de l’enfant à naître et sa personnalité juridique trouve sa source dans le changement de la conception de la dignité humaine. En effet si l’avortement et la fausse couche mettent tous deux fin à la grossesse donc à la vie de l’enfant, la conception actuelle de la dignité humaine leur donne un statut différent. Pour beaucoup, ce n’est plus la réalité biologique objective du bébé qui est prise en compte, mais le projet parental. Dans l’anthropologie traditionnelle, l’être humain est revêtu de dignité par sa nature même, qui entraîne ipso facto l’existence de droits. Dans la nouvelle conception, la dignité n’est plus ontologique mais liée à l’existence ou non d’un projet parental. Si celui-ci fait défaut, l’embryon ou le fœtus n’est pas vraiment considéré comme un être humain, ce qui permet de mettre fin à sa vie, avant ou après sa naissance. Certes, cette conception n’est pas souvent ouvertement revendiquée ni assumée, mais elle sous-tend la législation sur l’avortement comme sur la recherche sur les embryons ainsi que diverses décisions de justice. En conséquence, la reconnaissance de la douleur des parents perd peu à peu son caractère menaçant pour la législation qui autorise l’avortement volontaire : ces parents qui pleurent l’enfant perdu dans une fausse couche (ou même dans une interruption médicale de grossesse) avaient un projet parental, le bébé avait donc le droit de vivre et la douleur des parents est légitime.

 

[1] Marc Dupont, Annick Macrez, Le décès en établissement de soins, Presses de l’EHESP, 2021, p. 126

[2] https://www.lesechos.fr/2003/12/lamendement-garraud-suscite-un-tolle-politique-1059978

[3] Alberto Giublini, Francesca Minerva, “After-birth abortion, why should the baby live”, Journal of Medical Ethics 2013

Claire de La Hougue

Claire de La Hougue

Expert

Docteur en droit, ancien avocat au Barreau de Strasbourg, chercheur associé à l'ECLJ

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