“Faire des enfants demain”

Publié le 31 Mar, 2014

selon Jacques Testart, pionnier de l’AMP (1)

 

Jacques Testart, « père scientifique » du premier bébé éprouvette en 1982, alerte des dérives eugéniques du diagnostic préimplantatoire (DPI). Son dernier ouvrage « Faire des enfants demain » prévient de la médicalisation de la procréation et de l’eugénisme qu’elle provoquera.

 

G : Aujourd’hui 3% des enfants des pays industrialisés naissent chaque année par AMP. En France, en 2011, on compte 22 401 enfants nés par AMP. Vous parlez d’un engouement pour l’AMP, qui ne cessera de grandir. Comment l’expliquez-vous ?

 

J.T : On peut démontrer une augmentation d’activité d’AMP par le nombre de bébés nés, mais aussi par la particularité physiologique des couples qui sollicitent l’AMP. Les statistiques dont on disposait grâce aux professionnels comptaient chaque année le nombre de cas traités et les raisons du recours à l’AMP pour chaque cas. Il y avait toujours des cas inexpliqués (stérilité idiopathique), pour lesquels il n’y a aucun moyen biologique ou médical d’expliquer la stérilité du couple. Cela représentait environ 5% des gens traités au tout début de la FIV (2). Depuis une dizaine d’années on en compte 25%. Ce qui augmente c’est donc le nombre de couples pour lesquels il n’y a pas d’indications médicales, ce que la loi normalement rend obligatoire. Cela montre que l’on banalise la procédure et que bien des gens sollicitent l’AMP pour faire des bébés lorsque cela ne vient pas tout de suite. Le collège de gynécologie obstétrique en France a pris position en décembre 2012 pour ouvrir l’AMP à des indications sociétales. C’est une idée assez scandaleuse, car cela demanderait de traiter des personnes qui ne sont pas défaillantes.         

Ces indications sociétales font déjà partie des raisons inexpliquées de l’AMP. Il s’agit d’une idéologie générale qui consiste à penser que, comme il y a des spécialistes quelque part qui permettent la performance là où on est peu compétent, il faut consommer la technologie.

 

G : Pour vous le véritable danger eugénique est engendré par le DPI (3) et non par le DPN (4) de la trisomie 21 par exemple, pourquoi ?

 

J.T : L’eugénisme a toujours existé. Toutes les civilisations humaines (voir Sparte) ont tué les enfants malformés à la naissance. C’est un classique que le christianisme a freiné. Aujourd’hui des gens de bonne volonté, agissent de façon telle, qu’ils préparent un véritable eugénisme de masse sans en mesurer les conséquences. Cet eugénisme je l’appelle « mou, démocratique, consensuel, bienveillant » parce qu’il n’est pas méchant, qu’il ne joue pas sur des individus déjà nés, qu’il ne crée pas de douleurs car il n’y a pas de souffrance à éliminer des embryons en laboratoire.

 

Le DPI annonce un nouvel eugénisme. En comparaison l’eugénisme de l’interruption médicale de grossesse (IMG) paraît rudimentaire. Car l’IMG, même si la plupart des trisomiques sont éliminés par ce biais, ne pourra jamais être une pratique habituelle de faire des bébés et de refuser des pathologies mineures en raison de ses épreuves psychiques et physiques. Elle nécessite de remettre à plus tard la naissance de l’enfant désiré que les parents ont décidé de tuer. Paradoxalement cela reste dans l’humanité, car l’IMG a sa propre limite : souffrir pour aller jusqu’au bout de sa volonté d’avoir un enfant indemne de telle malformation.

C’est tout le contraire avec l’eugénisme provoqué par le DPI. Car celui-là consiste à trier le meilleur enfant pour démarrer une grossesse. Ainsi on ne perd pas de temps, on ne souffre pas (sauf aujourd’hui encore des épreuves liées à la FIV). On a plus qu’à faire 5 à 10 embryons, en garder 2 et éliminer les autres.

Et puis, le jour où les laboratoires asiatiques créeront par le biais des iPS des gamètes (5), en particulier des ovules, on pourra, sans passer par la lourdeur de la FIV, fabriquer des embryons par centaines. On agira alors sur des populations, sans servitudes imposées : la femme n’aura plus à souffrir des prises de sang, des échographies, des ponctions ovariennes…elle n’aura plus qu’à donner un fragment de peau, et tout se passera dans l’enceinte biomédicale. On choisira alors l’embryon avec les meilleures promesses de qualité.

C’est cela le futur eugénisme. L’IMG, elle, ne peut pas s’étendre, on tue déjà tous les trisomiques, on ne peut pas faire plus, et on n’élimine pas de l’espèce humaine les causes génétiques de pathologies. Cet eugénisme est donc pour moi limité techniquement. En revanche, le DPI est l’outil merveilleux dont ont toujours rêvé les eugénistes, car il a toutes les qualités qu’on pouvait attendre pour « améliorer » l’humanité. On se dirige vers une société d’élevage de l’humain, comme on l’a fait pour les vaches, les poules, le maïs. C’est aussi cela le transhumanisme.

 

G : Vous prévenez que le DPI s’étendra et se généralisera. Pourtant  en 2011, le législateur a renouvelé son refus d’établir une liste de pathologies pouvant être détectées par le DPI.

 

J.T : En France, le DPI n’est censé servir que pour les couples qui risquent de transmettre une maladie d’une particulière gravité. Mais le tourisme médical montre que ces lois ne satisfont pas les couples français qui vont recourir à un DPI plus large chez nos voisins. En Angleterre par exemple, le DPI permet de détecter le strabisme. Je ne vois pas comment la France ne tombera pas dans cette dérive aussi. Si les laboratoires japonais et coréens arrivent dans quatre ans à faire naître des petites souris saines à partir de gamètes obtenus par les iPS, dans une dizaine d’années, le futur eugénique que je prévois sera tout à fait d’actualité pour l’espèce humaine. Et si cette découverte ne se révèle pas fiable, l’idée d’ouvrir l’AMP à des indications sociétales en congelant des fragments ovariens (6) arrivera à terme à fabriquer de l’ovule et donc des embryons en abondance. La situation serait presque la même. On a l’impression que la société est en attente d’un espèce de miracle eugénique qui permettrait d’avoir le droit de fabriquer les enfants que l’on veut, et sans épreuves.

 

G : Quelles sont les solutions pour arrêter cette médicalisation de la procréation et ses conséquences eugéniques ?

 

J.T : Si l’on admet le droit à l’enfant, et mieux, à l’enfant « de qualité ». on ne pourra pas éviter les dérives de nos sociétés. Le DPI généralisé, en créant une nouvelle humanité, la libèrera partiellement des cancers par exemple, mais la rendra en même temps moins diversifiée donc moins résistante aux agressions extérieures.

Paradoxalement le DPI va donc à l’encon-tre de la survie de l’espèce.

C’est pourquoi je propose des droits de l’humanité, qui s’opposeraient  à des revendications individuelles au nom du bien de l’espèce humaine et qui érigerait une bioéthique internationale pour protéger notre espèce.

Mais  j’espère surtout une remise en cause de notre mode de vie. Il faut s’interroger sur la croissance et la compétitivité qui sont des concepts inhumains (anti humanistes).

Aujourd’hui il y a abondance de progrès techniques mais rarement humains. Si l’on veut ces progrès humains il faut accepter de se limiter : moins de croissance, de la frugalité, du partage, de la convivialité… Je pense que c’est cela la seule issue pour survivre humainement.

 

Il faut envisager une société différente qui fixe des limites et qui les respecte. Car aujourd’hui on considère que dépasser une limite est un progrès. Il faut fixer urgemment des limites imposées pour une vie réellement pleine et épanouie pour tous.

 

1. Assistance médicale à la procréation ;

2. Fécondation in vitro ;

3. Diagnostic préimplantatoire. Technique qui vise, lors d’une Fécondation in vitro, à sélectionner l’embryon indemne de la pathologie d’une particulière gravité que peut transmettre le couple ;

4. Diagnostic prénatal –

5. Déjà obtenus sur des souris ;

6. Vitrification ovocytaire pour convenance personnelle.

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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