Euthanasie : la question économique que personne ne soulève

3 Avr, 2025

Alors que le 12 mai 2025, la question de l’« aide à mourir » revient au Parlement, Frédéric Bizard, professeur de macroéconomie, spécialiste des questions de protection sociale et de santé à l’ESCP Business School, relève que, lors des précédents débats, les élus « ont curieusement ignoré la question économique de la fin de vie et son impact social » (cf. Fin de vie : l’angle mort des questions économiques et sociales).

Un ordre des priorités inversé

La trajectoire budgétaire des budgets sociaux votée avec la loi de financement de la Sécurité sociale démontre un déficit structurel annuel de 24 milliards d’euros. « Un tel niveau d’endettement social représente une menace existentielle pour le financement solidaire de notre protection sociale, c’est-à-dire la protection à laquelle peut prétendre chaque citoyen face aux principaux risques sociaux », alerte le professeur.

L’économiste estime que le niveau de la dette sociale est tellement élevé que son financement, sans réforme, remet en cause l’existence même de la Sécurité sociale dans les prochaines années. Aussi « ne faudrait-il pas d’abord sauver notre modèle de protection sociale solidaire, afin d’assurer une couverture à tous les citoyens, avant d’envisager la création d’un nouveau droit d’aide à mourir ? »

Un risque de régression sociale face à la mort

Par ailleurs, le pays souffre de grandes inégalités sociales. En effet, il existe un écart d’espérance de vie de 13 ans en France entre les 5% des hommes les plus aisés et les 5% les moins aisés. En outre, 100% de la hausse de l’espérance de vie des femmes s’est accompagnée d’années vécues en mauvaise santé en France, depuis 2005. Ainsi, les années d’espérance de vie gagnées sont des années en mauvaise santé et l’espérance de vie sans incapacité à la naissance des femmes a diminué de 4 mois. « Ce mauvais résultat est plus marqué dans les classes populaires », souligne Frédéric Bizard.

Dès lors, « les classes populaires et moyennes auront potentiellement recours à l’aide à mourir plus tôt que les personnes aisées », alerte l’économiste. En outre, « prioriser l’aide à mourir plutôt que le rétablissement d’une justice sociale face aux aléas de la vie en matière de santé est d’autant plus surprenant qu’une réforme en ce sens est prête et reconnue en France ».

Une étude canadienne montre que 58% des demandes d’euthanasie provenaient des personnes à faibles revenus au sein d’une population étudiée entre 2016 et 2019, rappelle Frédéric Bizard. Ainsi, « promulguer un droit à l’aide à mourir dans un contexte où l’accès universel aux soins de fin de vie est menacé représenteraient un risque de régression sociale face à la mort. En effet, qui souhaiterait laisser à ses proches le fardeau d’une dette liée à ses derniers jours de sa vie ? »

Des budgets insuffisants

Les dépenses publiques de santé liées à la dernière année de vie s’élèvent à 20 milliards d’euros par an en France, soit environ 31 000 euros par personne décédant dans l’année. « Face à de tels montants, assurer la pérennité du financement des dépenses de santé pour tous est une priorité nationale », considère l’économiste.

A l’heure actuelle « sur les 400 000 personnes éligibles aux soins palliatifs (60% des décès), seuls 50% y ont accès ». Or les financements prévus « semblent déjà insuffisants » face à l’augmentation attendue des besoins, rendant la promesse législative de soins palliatifs garantis « illusoire et trompeuse ».

Une valeur des derniers mois de vie qui « ne se limite pas à des préférences individuelles »

« Toutes les valeurs humaines – dont la vie en bonne santé et l’affection de ses proches – peuvent être évaluées en termes monétaires, considère le professeur. La vraie question est de savoir quelle somme les individus sont prêts à consacrer pour préserver ces valeurs. Et d’apprécier correctement les choses. » Ainsi, « il ne faut pas oublier que la valeur des derniers mois de vie ne se limite pas à des préférences individuelles. Cette valeur est collective, elle inclut le chagrin des proches, et les conséquences en matière de liens sociaux et affectifs. Autant de facteurs qui font que ladite valeur ne peut être résumée par la seule notion de “coûts des soins” ».

« Le critère ultime d’évaluation du progrès ne devrait-il pas être le bénéfice social réel apporté aux plus fragiles ? », interroge le professeur d’économie.

 

Source : The Conversation, Frédéric Bizard (01/04/2025)

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