Et l’homme dans tout ça ? – Axel Kahn

Publié le 30 Juin, 2000

 
Deux ans après Copies conformes, le généticien français Axel Kahn nous livre avec Et l’homme dans tout cela ? l’essentiel de ses réflexions sur l’ensemble des questions bioéthiques débattues aujourd’hui. Le tour d’horizon est large, c’est le premier mérite de cet ouvrage, lequel témoigne de l’humanisme d’un scientifique de premier plan : les plantes transgéniques, les soubassements génétiques de certaines structures et/ou pathologies spécifiques (chapitre 9), la différence sexuelle, le clonage, le diagnostic préimplantatoire et/ou prénatal (chapitre 12), les implications pharmacologiques et sociales du projet de séquençage du génome humain (chapitre 12), la brevetabilité du vivant, l’expérimentation sur l’homme, la définition de la santé, sont tour à tour évoqués sur la base d’une information scientifique diverse, généralement de premier plan (les rapports entre la génétique et la psychiatrie nous semblent traités plus superficiellement).

Un fil rouge structure ce livre apparemment très décousu : qu’en est-il de l’homme ? S’il fallait qualifier d’une formule le genre qui caractérise ce livre, nous proposerions l’expression d’humanisme syncrétique. 

 

L’humanisme de l’auteur s’organise autour de deux lignes directrices. La réfutation des bases prétendument scientifiques du racisme, tout d’abord. Kahn s’appuie sur l’hypothèse la plus probable d’un essaimage planétaire de l’homme moderne à partir d’une aire bien circonscrite d’Afrique (l’auteur puise abondamment dans le numéro spécial de Pour la science, L’évolution, janvier 1997) pour affirmer l’unité biologique de l’espèce humaine dans son état actuel d’évolution. Le faisceau d’arguments évolutifs réduit à néant les arguties des généticiens, dignes successeurs de certains psychiatres et anthropologues du début du siècle pour thématiser la supériorité d’une race sur une autre. Sur ce point, Kahn rejoint sans s’en rendre compte l’Encyclique Humani Generis Unitas, commandée par Pie XI en 1938, et que la mort du Souverain Pontife laissa inachevée. Avec lucidité, l’auteur fait observer que plusieurs pratiques récentes, telle le diagnostic prénatal, ouvrent la porte à un eugénisme potentiellement des plus débridés :

 

“ Dès lors, plus aucune base morale ou philosophique ne pourra interdire de décider de l’avènement ou de l’évitement d’une vie sur des critères tels que la couleur des yeux ou des cheveux, la taille, la force physique. ” (p. 269)

 

Mais il ne suffit pas de réfuter. De manière positive, Kahn rencontre l’utilitarisme contemporain (dont l’un des représentants dominant en biologie est James Watson, découvreur avec Francis Crick de la structure bihélicoïdale de l’ADN en 1953) pour lui opposer certaines valeurs fondamentales, telles la dignité de l’homme, l’universalité des droits de l’homme et, dans le contexte spécifique de l’expérimentation humaine, le Code de Nuremberg. C’est le second axe de son humanisme. Deux remarques peuvent être formulées. D’une manière très classique, l’auteur fait remonter à Kant l’émergence moderne du concept de dignité. C’est méconnaître que ce concept était déjà opératoire à l’époque patristique et qu’il fut formulé d’une manière moderne pour la première fois par Pic de la Mirandole dans son discours latin De dignitate hominis (1486). Ensuite, l’insistance de Kahn sur le Code de Nuremberg mérite d’être soulignée. Ce Code, édicté dans le contexte du procès des médecins nazis qui eut lieu de novembre 1946 à août 1947, fixe les règles déontologiques majeures en matière d’expérimentation humaine. La volonté de plusieurs associations médicales puissantes de revenir en deçà du Code de Nuremberg ne fait que souligner le courage intellectuel de l’auteur lorsqu’il en rappelle les valeurs fondamentales.

 

Humanisme, certes. Mais aussi, syncrétisme. En un sens positif, ce terme désigne une vision philosophique faite d’éléments juxtaposés sans intégration rigoureuse. La conclusion de son ouvrage permet à Kahn de dire les cinq valeurs qui gouvernent son positionnement dans le contexte actuel des développements des sciences de la vie. Ce sont : le matérialisme, qui connote l’athéisme bien que l’auteur se déclare proche des milieux croyants sous de nombreux points de vue, un dosage subtil entre l’empirisme et le rationalisme, la discontinuité entre l’inanimé et le vivant d’une part, l’homme et les autres êtres vivants d’autre part, la solidarité enfin.

 

On aimerait que les bioéthiciens maîtrisent aussi bien la philosophie que l’auteur la biologie ; et que, dans un effort d’ouverture d’esprit, ils témoignent d’une aptitude à discuter les problèmes biologiques en termes strictement biologiques, performance que Kahn réussit à propos de certains débats philosophiques actuels (voir par exemple sa discussion de l’empirisme). La bioéthique y gagnerait en crédibilité. Il demeure qu’un ouvrage de synthèse, dominant aussi bien les rationalités philosophique, médicale et biologique, intégrant les différentes problématiques tout en dégageant une vision du monde neuve et solidement argumentée, reste à écrire. Sa rédaction représente certes un défi particulièrement ardu, mais la maîtrise de la crise actuelle qui règne dans les sciences de la vie est à ce prix.  

 

Ref : Axel Kahn, Et l’homme dans tout cela ? Plaidoyer pour un humanisme moderne, Paris, NIL Editions, 2000.
 

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