Essure® : la santé des femmes face à l’industrie pharmaceutique

Publié le 24 Nov, 2020

En 2002, le groupe Bayer débute la commercialisation de l’implant Essure®. Dispositif de « contraception définitive », ou autrement dit de stérilisation, la méthode consiste à insérer un petit ressort métallique dans les trompes de Fallope, où il provoque une cicatrisation (fibrose) qui les obstrue. Les données des études précliniques réalisées au début des années 2000 semblent indiquer que l’implant relâche des particules nocives dans les trompes. De l’étain entre autres (cf. Toxicité de l’implant Essure, des plaignantes mettent en cause l’Etat). Rien de grave ? Le produit est mis sur le marché.

L’implant est remboursé en France, au départ pour les femmes de plus de 40 ans, puis pour « toutes les ‘femmes majeures en âge de procréer’ qui le souhaitent » à partir du mois de décembre 2012. Une décision prise suite à l’avis de la Haute Autorité de santé (HAS) du 29 mai 2012, dans lequel elle précisait que « le dispositif non chirurgical présentait un intérêt pour les femmes désirant une contraception définitive car il ne nécessite pas d’anesthésie générale pour la pose ». Pour la HAS « la notion de limite d’âge minimum n’était pas justifiée » bien qu’il s’agisse de stérilisation. Près de 200 000 femmes sont implantées en France. 200 000 victimes potentielles. Plus de 750 000 dans le monde[1].

Des alertes dès 2015

En juillet 2015, des cas de « douleurs abdominales ou pelviennes et des saignements sont signalés lors de la pose et après la pose d’Essure® » auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’agence place le dispositif sous surveillance renforcée.

L’association R.E.S.I.S.T.[2] lance l’alerte en France. A l’origine, Marielle Klein, une victime d’Essure®, lance une pétition le 28 février 2016 pour demander le retrait du dispositif. Fatigue chronique, douleurs musculaires, troubles visuels et auditifs, douleurs au visage, palpitations cardiaques, hémorragies… Elle témoigne de son calvaire : « J’ai cru mourir »[3]. Et elle est loin d’être seule.

« Le 9 décembre 2016, j’étais devant la télévision, tellement fatiguée et douloureuse qu’incapable de me lever pour aller débarrasser la table, témoigne Emilie. Et j’ai vu un reportage sur Marielle Klein, un témoignage qui m’a sauvé la vie. » La date restera gravée dans sa mémoire. « J’avais d’énormes problèmes de santé. Je me suis tournée vers les médecines parallèles car la médecine traditionnelle ne pouvait plus rien faire pour moi, raconte de son côté Mylène. Mon homéopathe me diagnostique alors une intoxication aux métaux lourds, sans pouvoir en identifier l’origine. J’ai cru à un problème venant de plombages dentaires. A l’époque je croyais qu’Essure® était en plastique », explique-t-elle. Après des recherches sur internet, Mylène fait le lien avec son implant. Elle est explantée en 2018.

Des témoignages douloureux de femmes qu’on a orientées vers ce dispositif. Pas d’hospitalisation, pas de chirurgie : une solution économique. Mais « un piège qui se referme » et une « descente aux enfers », qu’elle soit progressive ou dès le lendemain de l’implantation. Les histoires sont uniques.

L’association ne s’arrête pas là. En 2016, elle demande que soient recensées et informées les porteuses d’implants. Et réclame l’application du principe de précaution, c’est-à-dire l’arrêt des implantations, en fonction des informations recueillies. Les « experts » tempèrent. Lors d’une réunion de travail le 19 avril 2017 leur avis est « unanime » : « les données de la littérature, de la surveillance et les résultats de l’étude épidémiologique ne remettent pas en cause la balance bénéfices risques favorable de l’implant Essure® ». Mais l’association R.E.S.I.S.T. maintient son alerte et le 3 août de la même année, le marquage CE est temporairement suspendu. Le lendemain l’ANSM préconise, « par mesure de précaution », l’arrêt des poses de l’implant Essure® et le rappel des produits en stock. Et le 18 septembre, concédant que le dispositif est « mis en cause pour des supposés effets indésirables », le groupe Bayer se résout à annoncer la fin de la commercialisation du dispositif dans le monde « pour raison commerciale ». Sauf aux Etats-Unis.

Poursuivre les ventes

Les « supposés effets indésirables » recensés sont légion. Fatigue chronique, douleurs musculaires et articulaires, aphasie, règles hémorragiques, fibromyalgie, maladie auto-immune, troubles de la vue, douleurs gastriques… Des effets attribués à la présence de diverses substances, sous forme de particules métalliques ou de traces, comme le nickel, le magnésium, le fer, le cuivre, le zinc, l’étain, ou le chrome retrouvés dans les tissus issus de femmes implantées.

Et les effets ne se dissipent pas systématiquement avec l’explantation du dispositif Essure®. En effet, les études montrent que l’explantation amène de 70 à 80% d’améliorations durables, mais elles manquent dans 20 à 30% des cas. Et seuls 11% des dispositifs ont été explantés d’après les données de l’ANSM du 1er octobre 2020. En outre, selon les données de l’association R.E.S.I.S.T., 8% des femmes sont affectées par une anomalie du col de l’utérus et 18% par une anomalie des trompes et des ovaires. L’implant a même causé des cas de perforation de l’utérus et des trompes de Fallope, conduisant à des hystérectomies.

Mais la commercialisation aux Etats-Unis ne s’arrête pas en 2017. Les milliers de femmes qui ont signalé des complications douloureuses ont conduit l’autorité sanitaire américaine, la Food and Drug Administration (FDA), à imposer en avril 2018 la signature d’une brochure de 22 pages informant les femmes des risques avant qu’elles ne reçoivent l’implant. Pour la FDA, une « assurance raisonnable de sécurité et d’efficacité ». Mais les plaintes commencent à pleuvoir et Bayer finit par se retirer de ce dernier marché à la fin de l’année 2019.

Obtenir justice

Vient alors le temps judiciaire. En 2017, le groupe pharmaceutique fait l’objet d’une action en justice en France. « Les informations fournies dans la notice initiale, notamment sur la composition du dispositif, n’étaient pas conformes aux données dont a toujours disposé Bayer », estime Me Charles Joseph-Oudin, l’avocat de R.E.S.I.S.T. auquel les dossiers de 400 femmes ont été confiés. Bayer savait, mais n’a rien dit. En mars 2018, l’association R.E.S.I.S.T. engage une action de groupe auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. Son objectif : faire reconnaître la responsabilité du laboratoire sur deux points : « la défectuosité des implants Essure® » et « la non information des patientes quant à la composition et aux effets secondaires ». En avril 2019, une trentaine de patientes françaises portent plainte contre X pour « blessures involontaires ».

Aux Etats-Unis, le règlement se fait à coups de millions de dollars. Jeudi 20 août 2020, le groupe pharmaceutique annonce avoir accepté de verser 1,6 milliard de dollars pour régler la « quasi-totalité » des 39 000 réclamations déposées dans le pays. Mais précise qu’ « il n’y a aucune admission de faute ou de responsabilité de la part de Bayer dans les accords de règlement » et que « le règlement ne s’applique pas aux réclamations déposées dans d’autres pays ».

Essure® : une histoire isolée ?

L’association R.E.S.I.S.T. recense à l’heure actuelle 3 356 victimes. « Tous les jours nous recevons des demandes de renseignements et des témoignages de femmes qui ne découvrent que maintenant que leurs problèmes de santé peuvent être imputables à leur méthode de contraception » indique l’association. « Notre vice-présidente répond parfois à plus de 10 demandes par jour… » Alors les travaux scientifiques se poursuivent. Le 1er octobre 2020, l’ANSM avait organisé une réunion visant à dresser un inventaire des données scientifiques issues des études menées en France depuis 2017 sur le dispositif Essure®. Des échanges destinés à alimenter les travaux du comité de suivi des femmes porteuses de l’implant qui devait se tenir mi-novembre sous le pilotage de la Direction Générale de la Santé (DGS).

Mais l’histoire de l’implant Essure® n’est pas unique en son genre. L’ANSM a appelé à la vigilance sur d’autres dispositifs contraceptifs. Ainsi, il y a un an, les stérilets au cuivre Novaplus et Ancora ont été retirés du marché. A l’heure d’une légitime préoccupation environnementale, comment justifier d’imprégner le corps des femmes d’hormones et de métaux ? En 2019, le chiffre d’affaires de la société belge Mithra a augmenté de 47% par rapport à l’année précédente, pour atteindre le montant record de 96,5 millions d’euros, principalement grâce à l’accord signé avec l’australien Mayne Pharma concernant la commercialisation de la pilule contraceptive Estelle® aux États-Unis. Apparemment la santé des femmes ne fait pas le poids.

[1] Margaux Jegaden. Évolution des symptômes attribués aux Implants Essure® après retrait par hystérectomie vaginale ou salpingectomie bilatérale par coelioscopie avec cornuectomie. Sciences du Vivant [q-bio]. 2019. ffdumas-02362949f

[2] Réseau Entraide Soutien Information Stérilisation Tubaire

[3] Le Républicain Lorrain, Stéphane Mazzucotelli (12/03/2016)

Photo : iStock

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