En Inde comme dans d’autres pays, les autorités se battent contre l’élimination des filles

Publié le 10 Avr, 2025

Dans l’Etat indien du Haryana, le ministère de la Santé s’apprête à analyser les données collectées auprès des 120 centres de procréation médicalement assistée implantés sur le territoire.

Son objectif est de mesurer les effets de sa campagne contre l’élimination des filles avant la naissance. Le Haryana fait partie des régions du monde où le ratio entre filles et garçons est le plus déséquilibré [1].

Une élimination qui peut intervenir à différents stades

A la naissance, on compte généralement 104 à 106 garçons pour 100 filles. Ensuite, cette proportion est modifiée par le taux de mortalité naturelle des enfants de moins d’un an, qui est en moyenne plus élevée de 10 à 30% chez les garçons. A l’âge adulte, les femmes sont donc légèrement plus nombreuses que les hommes, sauf en Asie et dans certains pays des Balkans où les filles sont éliminées avant ou après la naissance.

L’élimination des filles peut se faire à différents stades de la conception, en utilisant diverses techniques. Avant l’implantation, il est possible de trier les spermatozoïdes, ou bien de trier les embryons. Après la nidation, une prise de sang permet d’analyser les cellules de l’embryon qui ont filtré à travers le placenta vers le sang de sa mère pour y observer les chromosomes sexuels (dépistage prénatal non invasif, cf. Fille ou garçon ? Le DPNI pour identifier le sexe même en cas de grossesse gémellaire). Après deux mois de grossesse, l’on peut directement prélever un fragment du placenta. Puis une amniocentèse, avec la ponction de liquide amniotique, permet de prélever des cellules de la peau du fœtus ; cela étant, le moyen le plus simple et accessible de connaître le sexe d’un fœtus est de procéder à une échographie à partir de la 16e semaine [2].

Les pays où les filles manquent à l’appel

En Inde, certains Etats ont un ratio de 115 garçons pour 100 filles, tandis que d’autres, comme le Kerala, ont une population équilibrée. Le diagnostic pré-implantatoire pour connaître le sexe de l’enfant à naître a été interdit en 1994, mais les personnes appartenant aux classes supérieures y ont quand même recours. L’élimination des filles avant la naissance concerne avant tout les personnes instruites et financièrement aisées (cf. En Inde, l’avortement sélectif des petites filles menace de plus en plus l’équilibre du pays).

Le Haryana est particulièrement touché. D’après des données du gouvernement, le sexe-ratio à la naissance était de 916 filles pour 1.000 garçons en 2023 puis il est tombé encore plus bas, avec 910 filles, en 2024. Le recensement de 2011 avait montré une chute particulièrement spectaculaire du nombre de filles, avec un ratio de 834 pour 1000 garçons [3].

Malgré la fin de la « politique de l’enfant unique » en vigueur de 1979 à 2015, la Chine présentait en 2023 un taux de 115,3 garçons pour 100 filles [4]. La Corée du Sud a connu un taux de 116 garçons pour 100 filles en 1991, avant de revenir à la normale dans les décennies suivantes.

A partir des années 1990, des pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Albanie ont commencé à connaître des déséquilibres entre les sexes similaires à ceux de l’Inde.

Si l’Arménie ne dispose pas de statistiques sur les interruptions de grossesse liées au sexe du fœtus, le gouvernement a bien conscience du fait que la démographie du pays en subit les effets. Le ministre du Travail et des Affaires sociales Narek Mkrtchyan déclarait en octobre 2024 qu’à cause de cette pratique, « 80.000 filles ne sont jamais nées (sur une population de 3 millions d’habitants), et ces filles seraient aujourd’hui en âge de procréer »[5].

Une pratique en dépit des interdits

La population de ces pays continue parfois de pratiquer les méthodes d’élimination des filles après avoir émigré, c’est ainsi qu’« il “manquerait” entre 1 400 et 4 700 filles en Angleterre et au Pays de Galles ». La France semble épargnée par le phénomène (cf. L’avortement sélectif selon le sexe: une pratique illégale courante en Grande-Bretagne).

Aux Pays-Bas, il est interdit de révéler le sexe d’un fœtus lors d’une échographie dans un but médical. Cependant, plusieurs sages-femmes ont révélé que des cliniques proposaient des « échographies pour le plaisir » à des fins commerciales dès la 13e semaine de grossesse ; et la loi néerlandaise autorise l’IVG jusqu’à la 24e semaine [6].

Avec les progrès des techniques biomédicales, les images obtenues par ultrasons gagnent en précision. Ainsi l’échographe Suze Klapper propose de révéler le sexe du fœtus dès la 11e semaine de grossesse. Il s’avère que certains couples veulent connaître cette information aussi tôt que possible, pour éventuellement mettre fin à la grossesse. Les sages-femmes expliquent que ces couples ne sont pas toujours issus de l’immigration, certains Néerlandais pensent avoir le droit de choisir l’enfant qui leur convient [7]. 

Quelles sont les différents facteurs en cause ?

Dans un rapport de 2020 [8], l’UNFPA, le Fonds des Nations Unies pour la population, explique que les pays qui pratiquent l’élimination des filles partagent trois caractéristiques : une forte préférence pour les enfants de sexe masculin, une baisse des taux de fertilité – les couples refusent d’avoir plusieurs filles avant d’avoir, enfin, un fils – et l’accès aux techniques médicales précédemment citées.

Dans certains pays d’Asie, la préférence pour les garçons a été entérinée dans des pratiques et une certaine organisation sociale, comme de système de la dot en Inde. En Chine, certains rites funéraires sont réservés aux hommes. C’est un cercle vicieux : ces pratiques, à leur tour, font que les familles considèrent les filles comme une source de dépense inutile.

En Arménie, ce sont les hommes qui subviennent aux besoins de leurs parents âgés, tandis que les femmes suivent leur époux dans sa propre famille [9].

Comment enrayer ce phénomène ?

Pour enrayer un phénomène, il faut d’abord le mesurer. En Inde, plus de la moitié des enfants ne sont pas inscrits sur les registres d’état civil. En Chine, l’inscription est payante, de nombreux parents s’en abstiennent. Les statistiques existent, mais elles manquent de précision. L’Unicef est d’autres organes de l’ONU travaillent à la généralisation de l’inscription des enfants à l’état civil à la naissance [10].

L’Etat indien du Haryana a pris des mesures concrètes : les pilules abortives ne doivent pas circuler hors des structures agréées ; lorsque l’une de ces structures effectue un nombre d’avortements supérieur à la moyenne, une enquête est diligentée ; enfin, lorsqu’un couple a engendré deux filles, une « attention particulière » sera portée en cas de diagnostic puis éventuel avortement [11].

La principale raison de l’élimination des filles avant la naissance reste la préférence pour les garçons et les hommes, et donc la différence de traitement entre hommes et femmes dans une société donnée.

Le cas de la Corée du sud est frappant : après 1990, le pays a peu à peu abandonné son arsenal législatif inégalitaire et les femmes, de plus en plus diplômées, sont entrées sur le marché de l’emploi. C’est alors que les avortements sélectifs de fœtus féminins ont disparu des pratiques [12].

 

[1] Ipsita Pati, As sex ratio falls, Haryana Government to check if there is a skew in IVF births, The Times of India, 3 avril 2025

[2] Dr Jacques Milliez, Choisir le sexe de son enfant ?, Archives du Collège national des gynécologues et obstétriciens, 30 novembre 2006

[3] Ipsita Pati, ibid.

[4] https://www.statista.com/statistics/282119/china-sex-ratio-by-age-group/

[5] Gayan Asryan, Sex-selective abortions decline in Armenia as birth rate drops, The California Courier, 1e avril 2025

[6] Kathryn Idema, Prenatal sex discrimination: Dutch midwives seeing more sex-selective abortions, CNE News, 2 février 2025

[7] Rédaction DIT, Verloskundigen zien abortus om geslacht van het kind na pretecho (“Des obstétriciens témoignent d’avortement de filles après une échographie”), DIT, 6 février 2025

[8] UNFPA, Preventing Son Preference and Undervaluing of Girls in Eastern Europe and Central Asia, Décembre 2020

[9] Léa Polverini, En Arménie, les avortements ciblés menacent la population féminine, Slate, 28 février 2018

[10]  Unicef, Civil Registration in South east Asia : collaboration, connections and coordination, 2019

[11] Ipsita Pati, ibid.

[12] Preventing Son Preference and Undervaluing of Girls in Eastern Europe and Central Asia, ibid.

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