Emmanuel Hirsch plaide contre la « nationalisation des corps »

Publié le 30 Mar, 2015

Dans la nuit du 19 au 20 mars, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a adopté un amendement  prévoyant de « ne plus recueillir auprès des familles la position du défunt qui n’aurait pas exprimé son refus d’un prélèvement sur le registre national automatisé » (cf. Synthèse Gènéthique du 25 mars 2015).

 

Michèle Delaunay et Jean-Louis Touraine, à l’origine de l’amendement, le justifient en affirmant que le prélèvement et la greffe d’organes constituent une « priorité nationale » : 18 976 personnes sont sur liste d’attente en France.

 

Aujourd’hui, l’opposition exprimée par les familles empêche les prélèvements dans 40% des situations.

 

Dans une tribune, Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris Sud, dénonce un « raisonnement comptable dont on ne peut que contester la légitimité » et invite à « étudier une approche plus subtile de tels enjeux ».

 

« La loi[1] ne conditionne donc pas l’expression du refus au seul enregistrement sur le registre national de refus », registre dont seulement 13% des Français connaissent l’existence. Elle garantit une protection contre l’intrusion de « systématisme ou de contraintes là où doit prévaloir la sollicitude, l’attention, une relation  impartiale, loyale, transparente, favorable à l’acceptation possible d’un geste intrusif qui touche à l’intégrité du cadavre et justifie donc une extrême circonspection ». L’amendement adopté supprime cette protection.

 

Emmanuel Hirsch met en garde contre l’intrusion du pouvoir dans un domaine qui touche aux « traditions et à l‘intimité »  et contre une illégitime « nationalisation des corps ». Le code civil lui-même reconnaît que « le respect du au corps humain ne cesse pas avec la mort ».

 

Le don d’organes « représente un acte de solidarité » et « renvoie aux valeurs de la fraternité qui participent de la vie démocratique ». Il importe qu’il conserve sa signification profonde de  « don ». Celle ci ne doit pas être occultée « au motif invoqué d’un intérêt supérieur qui en altérerait sa portée tout autant que son acceptabilité sociale ». « Le sentiment de trahison compromettrait l’indispensable besoin de considération et de confiance au regard d’une décision que l’on ne saurait en aucun cas instrumentaliser ».

 

« Je suis hostile à toute initiative susceptible de contribuer à la défiance, pour ne pas évoquer ici une ingérence déplacée de l’Etat en termes de libertés individuelles », conclue-t-il après avoir déclaré « stupéfiant que certaines logiques à finalité performatives puissent s’abstraire à ce point de toute compréhension des valeurs de sollicitude et d’une intelligence du réel ».

 

 

[1] La loi n° 76-1181 de 1976 stipule que « des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement ».

La loi n°2011-814 de juillet 2011 précise que « ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment. Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen ».

 

L’éthique au coeur des soins, 28/03/2015

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