Embryons transgéniques : les dangers du projet de loi de bioéthique

Publié le 27 Jan, 2020

Le 21 janvier, les sénateurs ont commencé à examiner en première lecture le projet de loi bioéthique. Dans son article 17, ce projet de loi veut autoriser la création d’embryons transgéniques, et plus largement d’embryons génétiquement modifiés. Au-delà de la barbarie des termes, de quoi parle-t-on ?

 

Les embryons transgéniques sont, selon le projet de loi, des embryons dont le génome, l’ADN, a été modifié. Ce qui signifie qu’une ou plusieurs séquences d’ADN, du code génétique, ont été supprimées, ou bien que d’autres, qui ne lui appartiennent pas, lui ont été ajoutées. Comme cette modification a lieu au stade embryonnaire précoce, elle implique que toutes les cellules de cet embryon sont a priori modifiées, y compris celles qui donneront les gamètes, les cellules sexuelles qui permettent la reproduction, à savoir les spermatozoïdes ou les ovocytes : ce qui signifie que le patrimoine génétique de l’embryon a été modifié.

 

Un ciseau moléculaire pour modifier l’ADN

 

Ce type de manipulation est aujourd’hui facilité par l’emploi d’outils d’édition du génome, notamment CRISPR-Cas9 dont on a beaucoup parlé ces dernières années. Ce « ciseau moléculaire » a mis à la portée de n’importe quel laboratoire de recherche la possibilité de manipuler le génome, ce qui n’est pas sans risques. En effet, CRISPR-Cas9 manque de précision, et peut modifier l’ADN à des niveaux non voulus, on parle dans ce cas  d’effet « off-target ». Or, si on ne peut pas contrôler ces effets pervers qui ne sont pas isolés, toute application à l’homme est irresponsable.

 

Il ne s’agit pas de condamner la technique, l’outil CRISPR est une découverte majeure qui ouvre des perspectives thérapeutiques encourageantes chez l’homme adulte. Mais elle constitue dans le même temps une grave menace pour l’humanité quand il s’agit de bricoler l’embryon humain pour fabriquer, de toutes pièces, des humains génétiquement modifiés : des « bébés OGM ».

 

Dès 2016, Marcy Darnovsky, qui dirige le Centre Génétique et Société en Californie, bien que favorable à la recherche sur l’embryon humain, s’inquiétait : « La production d’embryons humains génétiquement modifiés est très dangereuse ; c’est la première étape vers des tentatives pour produire des êtres humains génétiquement modifiés. Or ce sont des changements permanents et probablement irréversibles dont nous ne mesurons pas les conséquences. Si nous produisons des bébés génétiquement modifiés, nous sommes susceptibles de nous retrouver dans un monde où ces bébés seront perçus comme étant biologiquement supérieurs. Il y aura les nantis génétiques et les démunis, ce serait une catastrophe sociale ».

 

Vers des bébés OGM ?

 

Déjà en 2015, en Chine, CRISPR a été utilisé pour la première fois sur des embryons humains. Cette triste première s’est soldée par un échec : toutes les cellules des embryons n’ont pas été modifiées. Ces embryons obtenus sont dits « mosaïques », car ils contiennent à la fois des cellules génétiquement modifiées et des cellules non modifiées. La révélation de ces manipulations a entraîné une prise de conscience internationale sur les enjeux de l’« édition du génome ». Mais sans prise de position forte au niveau international, de type moratoire, c’est-à-dire sans une décision de suspendre ces expériences, elles se sont répétées : en avril 2016, un autre chercheur chinois a annoncé avoir mené des essais sur l’embryon humain pour le rendre résistant au VIH. Sans succès. Au même moment, la Suède a autorisé une équipe de recherche à modifier le génome d’embryons humains pour étudier les gènes du développement précoce. En mars 2017, une troisième publication chinoise confirmait le risque de mosaïcisme lié à l’utilisation de CRISPR sur des embryons humains. Cette même année, trois autres équipes dont une américaine et une britannique ont publié des travaux sur la modification du génome d’embryons humains. Ces embryons humains seront ensuite détruits.

 

Mais en novembre 2018, un pas de plus est franchi : He Jiankui, chercheur chinois, révèle avoir fait naître des jumelles génétiquement modifiées dans le but de les immuniser contre le VIH. Une annonce qui a suscité de nombreuses réactions d’indignation dans le monde, mais dont le principe de base n’a pas été fermement condamné : si tous s’accordent à interdire temporairement la naissance de bébés génétiquement modifiés, ce n’est, pour la plupart, qu’une étape. Ils préconisent simplement de différer l’utilisation de la technique jusqu’à ce qu’elle ait fait ses preuves. En outre, peu de personnes s’offusquent de l’instrumentalisation de l’embryon humain inhérente à ces expériences.

 

Les dangers du projet de loi bioéthique

 

En France, depuis la loi bioéthique de 2011, il est interdit de créer des embryons transgéniques, mais le projet de loi en cours de discussion entend les choses différemment. En effet, il voudrait autoriser la modification du génome d’embryons surnuméraires. Ces embryons humains sont fabriqués en surnombre lors d’une PMA, certains sont cédés à la recherche. La loi maintiendrait cependant l’obligation de les détruire, sans qu’ils puissent être implantés, sans qu’ils puissent donner lieu à une naissance vivante.

 

Ces manipulations sont irresponsables, comme l’a montré Jean-Marie Le Méné aux sénateurs lors de son audition devant la commission spéciale bioéthique au mois de décembre dernier : « Que pourrait-on faire contre une réaction en chaîne dans la nature si l’on se rendait compte des effets indésirables de la modification obtenue (on a beau jeu de montrer la Chine du doigt alors qu’on prend la même voie) ? Le forçage des gènes du moustique par CRISPR-Cas9 vient de montrer des résultats imprévisibles. Si l’on a pu parler de risque de scénario catastrophe dans le cas du moustique modifié qui défie les prévisions, qu’en sera-t-il pour l’embryon génétiquement modifié ? Encore plus que chez le moustique, nous devons avoir une stratégie d’évitement des déséquilibres écologiques chez l’embryon humain, pour nous prémunir de catastrophes majeures ».

 

Par ailleurs, l’interdit de réimplanter les embryons transgéniques « sauve les meubles », empêchant cette modification génétique de se transmettre à la descendance. Mais ne nous leurrons pas, cet interdit est « un prétexte rassurant pour obtenir une transgression nouvelle », comme l’analyse Jean-Marie Le Méné. Il a d’ailleurs été adopté par voie d’amendement en première lecture à l’Assemblée, parce qu’il n’était pas initialement prévu dans le projet de loi présenté par le gouvernement. Or, « il entre en contradiction avec un autre régime de recherche, le régime de recherche biomédicale sur l’embryon en AMP, voté en 2016, qui prévoir le transfert des embryons qui ont fait l’objet de recherche »[1].

 

D’ailleurs, quand bien même les sénateurs maintiendraient cet interdit de réimplanter l’embryon génétiquement modifié, la question se pose et l’expérience tente bon nombre de chercheurs, comme en témoignent les expériences déjà évoquées. En France, une partie de la communauté scientifique souhaite pouvoir expérimenter CRISPR sur l’embryon humain, sous prétexte de faire face à la concurrence internationale. Si demain, d’autres pays autorisaient l’implantation d’embryons génétiquement modifiés, ces chercheurs voudront suivre le mouvement. Mais l’argument du « ça se fait ailleurs », largement utilisé dans le domaine de la bioéthique, ne peut pas, ne devrait pas motiver un changement législatif.

 

Des bébés porteurs de 3 ADN ?

 

Outre CRISPR, un autre type d’expérience pousse à la levée de l’interdit de créer des embryons transgéniques : celle qu’on appelle la FIV à trois parents. La nature de l’embryon modifié lors de ce processus est très particulière : On peut l’accuser d’être « transgénique » puisqu’il a des mitochondries avec de l’ADN venant d’un autre embryon ; on peut aussi l’accuser d’être un « clone » (car il est produit par transfert de noyau) ; on peut l’accuser enfin d’être un « nouvel embryon », créé pour la cause, et tout cela va contre la loi. La FIV à trois parents est déjà pratiquée au Royaume-Uni, et d’autres naissances issues de cette pratique ont été annoncées en Grèce ou encore en Ukraine. Aux Etats-Unis, quelques chercheurs font pression pour la légaliser, sans avoir, à ce jour, obtenu gain de cause. Comme pour les embryons transgéniques issus de l’édition du génome, cette nouvelle technique de PMA implique une transgression majeure : celle de la modification de la lignée germinale, et donc de modifications qui se transmettront à la descendance.

 

Ainsi, en légitimant la FIV à trois parents, et au-delà, les modifications génétiques d’embryons humains, le projet de loi bioéthique veut éviter aux scientifiques des obstacles et des empêchements juridiques à leurs recherches. Il fait sauter un verrou important qui empêchait certains scientifiques de réaliser leurs caprices.

 

Pour la ministre de la recherche, auditionnée par les sénateurs le 18 décembre dernier, il s’agit d’une « nécessité scientifique », qui permettrait de comprendre le rôle des gènes dans des processus physiologiques tels que le vieillissement ou les cancers. Pour d’autres chercheurs auditionnés, c’est l’amélioration de la fécondation in vitro qui motive la levée de l’interdit de créer des embryons transgéniques.

 

L’embryon chosifié

 

Mais ces manipulations, quelles qu’elles soient, instrumentalisent l’embryon humain. Elles impliquent d’une part la création d’embryons humains par fécondation in vitro, et d’autre part, des recherches qui entraînent leur destruction. Or, l’éthique recommande d’interdire toute modification du génome de l’embryon humain quelle que soit la technique utilisée, et sans considération de la finalité recherchée. Il est primordial de respecter la dignité de tout être humain, quel que soit son stade de développement, parce que l’embryon humain n’est pas un cobaye.

 

Par ailleurs, créer des embryons transgéniques, revient à créer des embryons pour la recherche puisque cela rend possible la constitution d’embryons par déconstruction et reconstruction du génome. Revendiquer la création d’embryons transgéniques qui ont vocation à être détruits, revient à revendiquer la création d’embryons pour la recherche, et de fait à transformer ces embryons humains en objet. Or, la France a ratifié la Convention d’Oviedo, qui interdit précisément la création d’embryons pour la recherche.

 

Ainsi en quelques années, l’ « embryon transgénique » a été banalisé : si la première expérience de modification génétique de l’embryon avait suscité en 2015 indignation ou enthousiasme, les suivantes se sont succédées sans provoquer plus d’une ligne ici ou là. Il est à craindre que la naissance des bébés OGM ne subissent le même sort : la première annonce en novembre 2016 n’a pas été suivie d’interdit fort, mais seulement de mises en garde timides. Serons-nous seulement alertés des prochaines naissances de bébés génétiquement modifiés ? L’éthique est « dépassée par la multiplication des expériences sur l’embryon » et « ne se fait plus entendre » estimait déjà en 2017 Jean-François Bouvet, docteur ès-sciences et auteur de Bébés à la carte[2]. En outre, non seulement les expériences se multiplient, mais leur objectif évolue, et pourrait devenir de moins en moins thérapeutique pour conduire à un bébé non seulement exempt de maladie grave mais fabriqué sur mesure. « Après avoir inventé la FIV il y a une quarantaine d’années, on ‘bricole’ génétiquement des embryons obtenus par cette technique en vue d’optimiser les étapes suivantes »[3]



[2] Jean-François Bouvet, Bébés à la carte, Editions Equateurs.

[3] Jean-François Bouvet, Bébés à la carte, Editions Equateurs.

 

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