Comme de nombreux autres auteurs, Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université de Paris Sud, très impliqué dans le débat sur la proposition de loi Claeys-Leonetti (cf. Gènéthique vous informe du 2 juin 2015) analyse la décision de la CEDH. Il choisit un angle critique particulier : celui de “penser et assumer ensemble l’après 5 juin”, sans omettre d’alerter subtilement sur les conséquences humaines et sociétales graves d’une telle décision.
Les droits fondamentaux vulnérabilisés par la décision de la CEDH
Emmanuel Hirsch considère en effet que la décision de la CEDH, loin d’être un “épilogue“, ou une “résignation” forcée, vulnérabilise plus que jamais les droits fondamentaux des personnes dépendantes d’un handicap lourd. Il pense aussi aux familles, qui “vivent au quotidien une implication sans faille”. Ce sont elles, en réalité, qui “restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de la fraternité” quant des décisions de justice “compromettent les conditions même du vivre ensemble“.
Cette décision renvoie “à une fragilité supplémentaire de notre société”, “une précarisation” puisqu’elle “hésite et vacille face à l’essentiel”. Ainsi, la décision de la CEDH laisse penser que la société “renonce” à penser ses responsabilités “autrement qu’en consentant “ à la mort imposée comme étant “la bonne solution”.
Il salue alors l’argumentation des 5 juges qui se sont démarqués de la décision de la CEDH, et annonce les approfondir prochainement.
L’absence d’implication nécessaire des instances nationales pour défendre les principes éthiques
Dans de telles circonstances, “l’exigence éthique” aurait nécessité une “implication des instances nationales” qui ont le devoir de “défendre le principes éthiques” déplore l’éthicien. Le sujet renvoie en effet à une “responsabilité partagée” qui demande d’être encadrée par des principes inconditionnels d’humanité. A défaut de réaction de ces instances, qui a ses yeux ont su faire preuve de “retenue”, de “prudence”, et “d’un raisonnement de qualité” au moment de la décision du Conseil d’Etat sur Vincent Lambert, il ose citer ceux qui ont “le courage de le faire, ceux qui ne se résolvent pas aux concessions, lorsque l’essentiel est en péril […] Ils permettent de demeurer éveillés et d’espérer encore de la vie publique”.
Il demande solennellement aux instances nationales (CCNE, Académie nationale de médecine, Conseil national de l’Ordre des médecins) “d’être présentes“, et “garantes” des conditions de la fin de vie de monsieur Lambert “dès lors qu’elle paraîtrait inévitable“.
Des questions en suspens à étudier
Ces réflexions attendues par l’éthicien, devraient aider à éluder des questions qu’il pointe, restées à ses yeux en suspens à la suite de la décision de la CEDH :
- La CEDH révoque-t-elle l’idée d’une nouvelle délibération collégiale ?
- Est-il respectueux des professionnels de santé s’occupant de Vincent Lambert depuis longtemps d’exiger une sédation profonde et continue ?
- Ne convient-il pas de permettre à Vincent Lambert et à ses proches de bénéficier d’une hospitalité apaisée et confiante dans un autre établissement que celui où il est depuis le début de l’affaire ?
www.huffingtonpost.fr 8/06/2015