« Droit à l’aide à mourir » : « Moi j’avais cru comprendre que quand on est plutôt de gauche, c’est quand même la vocation la première de protéger les faibles, de protéger les vulnérables »

22 Mai, 2025

Mercredi, les députés ont consacré leurs échanges sur la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir », à l’article 5 et l’article 6 relatifs à la procédure. Les discussions ont à nouveau porté sur la protection des plus fragiles mais également sur la collégialité de la prise de décision.

Pas de téléconsultation et un médecin qui pourra recueillir la demande à domicile

A l’issue des questions au gouvernement, les députés ont poursuivi l’examen de l’article 5 relatif à la procédure de demande d’« aide à mourir ». Chose rare, deux amendements ont été adoptés. Celui de Christophe Bentz (Rassemblement National) interdit la téléconsultation, que ce soit pour formuler une demande d’« aide à mourir » ou pour la confirmer. Le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) trouvait pourtant cela trop sévère pour ce qui est de la confirmation.

L’amendement 2069 de Laurent Mazaury (LIOT) est également adopté en dépit d’un double avis défavorable du rapporteur et du gouvernement : la demande pourra être recueillie au « domicile » du patient ou « dans tout lieu où [il] est pris en charge » s’il ne peut se rendre chez son médecin.

Le débat se poursuit avec l’amendement 1621 de Thibault Bazin (Droite Républicaine) destiné à assurer qu’une personne ayant déjà fait une demande d’« aide à mourir » « ne [puisse] présenter une nouvelle demande que si les conditions dans lesquelles la précédente demande a été effectuée ont notablement évolué ». Patrick Hetzel (Droite Républicaine) se saisit de l’occasion pour insister sur « la nécessité d’avoir une traçabilité dans la durée de l’ensemble de la procédure » mais l’amendement est rejeté.

« L’extrême gauche demande l’euthanasie des étrangers ! Est-ce que vous vous entendez ? »

Avec la discussion de l’amendement 2031 d’Alexandre Allegret-Pilot (UDR), le ton monte. Il propose d’introduire un délai d’au moins 18 mois entre la demande et le geste létal. Le rapporteur qui considère que le cadre de la proposition de loi est « sécurisé et efficace » s’y oppose au motif qu’avec un tel délai la plupart des personnes seraient déjà décédées (cf. Une loi pour établir « un droit à une mort provoquée » au terme « d’une procédure anormalement expéditive » : le collectif Démocratie, Ethique et Solidarités publie son premier avis). « Voter cet amendement serait dramatique. » Sandrine Rousseau (Ecologiste et Social), invoquant le témoignage d’une de ses amies, estime avec véhémence qu’introduire un délai de 18 mois serait « inhumain », laissant Hanane Mansouri (UDR) perplexe : « Vous nous reprochez de vouloir laisser plus de temps à la personne avec ses proches ». L’amendement est rejeté.

La joute entre le groupe Ecologiste et Social et le groupe UDR reprendra dans la soirée sur le critère de nationalité. En effet, l’amendement 340 de Christine Pirès Beaune (Socialistes et apparentés) vise à imposer que la vérification du préfet se fasse « sans délai ». « A quel niveau d’inhumanité en est-on arrivés ! », s’insurge Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) (cf. Euthanasier les sans-papiers ? Une proposition de… certains députés de gauche). « Ce qui vient de se passer est lunaire, considère Hanane Mansouri (UDR). L’extrême gauche demande l’euthanasie des étrangers ! » « Est-ce que vous vous entendez ? », interpelle la députée, provoquant un rappel au règlement de Danielle Simonnet : « En aucun cas nous ne demandons la mort de qui que ce soit en fonction de son origine. Nous demandons l’égalité des droits », s’indigne-t-elle.

Hanane Mansouri procèdera à son tour à un rappel au règlement. Les esprits s’échauffent, le président de séance essaie de reprendre le contrôle des débats et décrète une suspension. Quelques minutes plus tard il s’adressera aux députés : « Nous reprenons dans le calme et nous allons essayer d’avoir un rythme un peu soutenu des amendements si on veut avancer dans ce texte. »

Le rejet de tous les amendements visant à renforcer la protection des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique

Les députés sont nombreux à vouloir protéger les plus vulnérables, en tentant d’amender l’alinéa qui dispose que « le médecin demande à la personne si elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance ou représentation relative à la personne », et « vérifie ces informations » par la consultation du registre adéquat.

L’amendement 688 d’Anne-Laure Blin (Droite Républicaine) et le 1890 d’Alexandre Allegret-Pilot réclament une vérification systématique. Inutile selon la ministre Catherine Vautrin, ils sont rejetés. Avec l’amendement 36, Patrick Hetzel préconise une consultation en amont de la personne de confiance, de la famille et des proches. Son amendement est également rejeté. Thibault Bazin veut refuser l’« aide à mourir » pour les personnes sous mesure de protection juridique (amendement 1622) car l’absence de possibilité de recours pour la personne chargée de la protection est grave. Son amendement n’est pas non plus adopté.

Christophe Bentz rejoint Sandrine Rousseau en voulant rendre la saisine du juge des tutelles et du conseil des familles automatique (amendement 1189 et 2394) ; les amendements sont eux aussi rejetés. De son côté, avec l’amendement 404, Justine Gruet (Droite Républicaine) voudrait que « le médecin consulte la personne qui assiste ou qui représente la personne malade demandant à recourir à une aide active à mourir, afin de vérifier que cette dernière est en capacité de comprendre la portée de sa demande ». Elle n’obtiendra pas gain de cause. Pour le rapporteur Laurent Panifous (LIOT), comme pour le gouvernement, l’amendement est déjà satisfait.

Philippe Juvin (Droite Républicaine) insiste : le médecin doit s’assurer des capacités pleines et entières de discernement du patient, tout au long de la procédure (amendement 2503). « Vos garde-fous sont des faux-semblants », constate Thibault Bazin (DR).

Ne pas protéger pour ne pas stigmatiser ?

Dominique Potier (Socialistes et apparentés) préconise que la personne soit informée « de l’ensemble des dispositifs et droits existants visant à assurer la prise en charge de ses besoins médicaux, matériels, psychologiques et sociaux. Si la personne est en situation de handicap, pour les besoins matériels et sociaux, elle est orientée vers la maison départementale des personnes handicapées » (amendement 1046). Marie-France Lorho (Rassemblement National), Thibault Bazin et Christophe Bentz demandent de même.

« Ce texte est un texte universel, il ne faut pas stigmatiser ces personnes », répond le rapporteur Laurent Panifous en émettant un avis défavorable. Les amendements sont rejetés. Alors Dominique Potier regrette : « Au nom de la non-discrimination, on ne prend pas en compte les vulnérabilités ».

Pas d’accompagnement psychologique pour le patient, mais pour les proches

Philippe Juvin rejoint par d’autres députés recommande ensuite qu’il soit systématiquement proposé au patient demandant l’« aide à mourir » un accompagnement psychologique (amendement 2517) : « Il est indispensable que la personne souhaitant recourir à une aide à mourir soit orientée vers un spécialiste de la santé mentale qui pourra l’écouter et l’accompagner » (cf. « Droit à l’aide à mourir » : « c’est une capitulation, pas une compassion »). Il propose aussi qu’elle soit adressée à une association de prévention du suicide (amendement 2519).

La ministre de la Santé annonce un amendement, plus loin dans le texte, prévoyant que le médecin recueille l’avis d’un psychiatre « lorsqu’il a un doute sérieux sur le discernement de la personne ». Sandrine Rousseau s’indigne contre ces propositions, accusant ceux qui les portent de vouloir « mettre sous tutelle le patient ». Les amendements sont rejetés.

Plusieurs amendements sont encore rejetés alors qu’ils visaient à vérifier l’absence de pression extérieure (amendement 39 de Patrick Hetzel, 2588 de Philippe Juvin). Les abus de faiblesse font l’objet d’un millier de condamnations chaque année, rappelle Patrick Hetzel.

D’autres amendements proposent ensuite un accompagnement psychologique pour les proches d’une personne demandant l’« aide à mourir » – ce qui est en revanche adopté. Christophe Bentz observe, en soutenant ces amendements, que c’est bien la preuve qu’il ne s’agit « pas seulement de liberté individuelle », que l’« aide à mourir » ne concerne pas seulement le patient, mais aussi sa famille et toute la société.

Le délit d’incitation rejeté

Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) préconise d’insérer un alinéa disposant que le médecin « ne peut en aucune manière inciter ni encourager la personne à recourir à l’aide à mourir » (amendement 1358). Il s’agit d’introduire la notion de délit d’incitation, de même qu’un délit d’entrave est prévu à l’article 17 de la proposition de loi.

Alors que la proposition est sans cesse vantée par ses promoteurs comme un texte d’« équilibre », Patrick Hetzel interpelle : « Avec un peu de décence, cet amendement il faudrait l’adopter ». Mais il est rejeté.

Le débat s’échauffe un peu autour de la notion de suicide après l’intervention de Matthias Renault (Rassemblement National). Cyrielle Chatelain (Ecologiste et social) s’étrangle : Comment osez-vous comparer le suicide et la douleur des familles avec ceux qui décident, avec les membres de leur famille, de choisir leur mort ? Ce à quoi Hervé de Lépinau (Rassemblement National) répondra qu’« un suicide assisté reste un suicide ». « Le suicide, qu’il soit assisté ou pas, n’effacera pas la problématique de solitude psychologique, affective, de celui qui a décidé cette solution ultime », pointe le député. La séance est suspendue pour le dîner.

Une « collégialité de façade »

Le débat reprend à 21h30 avec l’amendement 1631 de Thibault Bazin qui défend l’introduction d’une véritable collégialité dans la prise de décision. « On n’a pas de témoins dans cette procédure », relève-t-il. « Elle arrive », lui répond le rapporteur faisant allusion à l’article suivant. L’amendement de Thibault Bazin est rejeté mais l’article 5 est adopté par 125 voix contre 66.

Les discussions arrivent sur l’article 6 et l’instruction de la demande d’« aide à mourir ». Patrick Hetzel souligne que la décision incombe à une seule personne, finalement « juge et partie », et déplore l’absence de décision collégiale. Marine Hamelet (Rassemblement National) dénonce à son tour une « collégialité de façade » et une procédure « expéditive ». « Ne définissons pas notre rôle par la quantité de libertés individuelles formelles que nous pouvons proclamer. Prenons garde à protéger la vie, surtout quand elle devient fragile », plaide l’élue. « On met tout dans les mains des médecins », regrette de son côté Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates). Une longue discussion s’ensuit.

« La protection des personnes vulnérables devrait être une règle éthique absolue qui ne devrait souffrir aucune discussion »

La protection des plus vulnérables revient enfin dans l’hémicycle avec plusieurs amendements autour de l’alinéa 3 qui dispose : « La personne dont le discernement est gravement altéré par une maladie lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être regardée comme manifestant une volonté libre et éclairée ».

Stella Dupont (Non inscrite) propose de supprimer cet alinéa. Charles Sitzenstuhl se dit interpellé : « Il y a plus d’une centaine de collègues, qui soutiennent ce texte, qui ont levé la main pour supprimer l’alinéa 3 de cet article 6 ». Or « l’alinéa 3 de cet article 6, c’est un alinéa qui vise à protéger les plus faibles, les plus vulnérables. Moi j’avais cru comprendre que quand on est plutôt de gauche, c’est quand même la vocation la première de protéger les faibles, de protéger les vulnérables », relève l’élu. Pourtant « vous avez voté à l’instant un amendement qui visait à faire sauter une protection des personnes qui ont un problème de discernement, cela ne vous posait aucune difficulté… », constate-t-il.

De très nombreux amendements [1] demandent de supprimer l’adverbe « gravement » pour caractériser l’altération du discernement qui contredit la « volonté libre et éclairée ». Elise Leboucher (LFI-NFP, amendement 2124) veut, comme Alexandre Allegret-Pilot, supprimer la mention de la « maladie » comme cause de l’altération du discernement. Tout autre cause est possible. Seul l’amendement d’Elise Leboucher sera adopté.

« La protection des personnes vulnérables devrait être une règle éthique absolue qui ne devrait souffrir aucune discussion », plaide Patrick Hetzel. Annie Vidal (Ensemble pour la République) le rejoint : « L’argument de stigmatisation n’est pas opportun ». Nous avons parlé de cancer, de la maladie d’Alzheimer, de la maladie de Charcot : pourquoi parler de déficience intellectuelle ou de maladie psychiques serait-il davantage stigmatisant ?, interroge la députée. Pour Julie Laernoes (Ecologiste et social), « nous aurions tous du voter la suppression de l’alinéa 3 » qui serait, considère-t-elle, une « porte ouverte à limiter le droit en essayant de définir ou de restreindre la question du discernement ».

Mercredi soir, la séance se lève sur deux visions qui semblent plus que jamais irréconciliables : les défenseurs des plus fragiles se sont à nouveau heurtés aux promoteurs d’un « droit » dont personne ne saurait être privé. Et tous leurs amendements ont été rejetés.

 

[1] amendement 44 de Patrick Hetzel, amendement 613 de Sandrine Dogor Such (Rassemblement National), amendement 1730 d’Alexandre Allegret-Pilot, amendement 1459 de Nathalie Colin-Oesterlé (Horizons et Indépendants), amendement 1356 de Charles Sitzenstuhl, amendement 1635 de Thibault Bazin, amendement 2502 de Philippe Juvin, amendement 1943 de Lisette Pollet (Rassemblement National)

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