Double peine pour le délit d’entrave, absence de délit d’incitation : les députés concluent l’examen de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir »

24 Mai, 2025

« On y arrive, ça sent la fin » : les mots de Roland Lescure (Ensemble pour la République) qui ouvre la séance ce samedi 24 avril afin d’examiner les derniers articles de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir » font réagir les quelques députés présents. Ils sont très peu nombreux, le président de séance salue leur engagement, comme celui du rapporteur et de la ministre qui n’a pas déserté les bancs de l’hémicycle. Les députés reprennent leurs travaux à l’article 17, il leur reste 183 amendements à discuter.

Le délit d’entrave : la « signature de ce texte »

Le délit d’entrave constitue « la signature de ce texte » affirme Christophe Bentz (Rassemblement National). Pour Nicole Dubré-Chirat (Ensemble pour la République), c’est une nécessité, à l’image du délit instauré en matière d’avortement. « Il ne s’agit pas de sanctionner les désaccords mais les actes », veut-elle toutefois rassurer.

Hadrien Clouet (LFI-NFP) souscrit volontiers à la qualification de « signature de ce texte », et reprend à son compte la comparaison avec le délit d’entrave mis en œuvre en matière d’IVG : « A chaque étape de la lutte pour la reconnaissance du droit à disposer de son corps, il y a eu des forces réactionnaires, des officines intégristes et leurs porte-parole dans cette Assemblée nationale qui ont tenté de récupérer par la force ce qu’ils avaient perdu par le droit », harangue le député. « Empêcher un humain de faire un choix social qui l’affranchit de son destin biologique, oui c’est un délit », lance l’élu.

Mais Patrick Hetzel (Droite Républicaine) alerte : ce délit d’entrave peut se heurter à la liberté de conscience des soignants et à la liberté d’expression et de conviction de chaque citoyen. Dans le même sens, Gérault Verny (UDR) dénonce, avec cet article, une « loi de liberté à géométrie variable » : « Certains sont quand même plus libres que d’autres dans votre esprit », juge le député. Il craint que certains propos puissent tomber sous le coup de la loi et dépose en conséquence un amendement de suppression de l’article. Son amendement, comme tous les autres ayant la même finalité, est rejeté. Hervé de Lépinau (Rassemblement National) va jusqu’à dénoncer un article de « persécution future » de ceux qui s’opposeront à la levée d’un « interdit moral multi-séculaire ».

Le caractère révélateur d’un délit d’entrave instauré dès le départ

Empruntant également un registre grandiloquent, le rapporteur général Olivier Falorni (Les Démocrates) défend la création de ce délit en invoquant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. « L’article 17 est un article de justice » considère-t-il : « Nul ne peut imposer sa vérité aux autres en les empêchant d’être libres. »

Philippe Juvin (Droite Républicaine), conciliant, craint l’« arbitraire » mais concède qu’un délit d’entrave serait acceptable dans la mesure où un délit d’incitation serait créé en miroir. Revenant sur le parallèle entre « aide à mourir » et avortement, fil rouge de l’argumentaire des promoteurs du texte, Xavier Breton (Droite Républicaine) note que le délit d’entrave relatif à l’IVG a été institué en 1993, soit près de 20 ans après la loi. « Là, ce qui est révélateur, c’est que vous instituez dès le départ un délit d’entrave. Ce qui préjuge bien de ce qui va arriver derrière : on est dans une conception totalitaire. »

Cyrille Isaac-Sibille (Les Démocrates) se veut plus modéré : des militants existent, « d’un côté comme de l’autre », observe-t-il, proposant de mettre en œuvre une « simple » dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, pas d’instaurer une autorisation. « Dans notre pays, les lois n’ont jamais accordé le droit d’ôter la vie, argumente l’élu. A deux exceptions près : le cas de légitime défense, et la peine de mort, désormais abolie. » L’amendement 2656 est rejeté.

IVG, « aide à mourir » : le « parallélisme des formes » pour justifier les peines encourues

La fracture entre les deux camps semble consommée.

En effet trois amendements [1] défendent le doublement des sanctions prévues par le texte, faisant encourir une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende à ceux qui se rendraient coupables d’« entrave au droit à l’aide à mourir ». Les députées justifient ce doublement par un « parallélisme des formes » avec le délit d’entrave à l’avortement.

Elise Leboucher (LFI-NFP) y est favorable, elle émet un avis de sagesse en tant que rapportrice. La ministre fait de même. Les amendements sont adoptés par 69 voix contre 54. Quelques applaudissements et exclamations se font entendre.

« Dissuader de passer à l’acte, c’est ce que fait normalement chaque professionnel soignant de soins palliatifs », plaide Patrick Hetzel. « Si on ne peut plus exercer l’esprit de soin (…), si l’on risque la prison par la prévention au lieu de la prescription, alors le texte sur le développement des soins palliatifs est susceptible de devenir une chimère. »

L’échec des tentatives pour exclure psychologues et associations contre le suicide du délit d’entrave

Théo Bernhardt (Rassemblement National) indique vouloir voter ce texte mais demande à être rassuré. Sera-t-il encore possible d’exprimer publiquement un désaccord ? Catherine Vautrin ignorera ses craintes. En guise de réponse, l’amendement de Lisette Pollet (Rassemblement National) destiné à s’en assurer est rejeté. Le député insiste et la ministre se veut alors rassurante. Sans toutefois parvenir à convaincre la totalité des députés. L’amendement 2575 de Philippe Juvin et le 545 de la rapportrice du texte sur les soins palliatifs, Annie Vidal (Ensemble pour la République), prévoyant que « l’infraction n’est pas constituée lorsque les propos invitent seulement à la prudence, à la réflexion, au débat d’idées en faveur de l’accompagnement et du soutien des personnes » est encore rejeté.

Patrick Hetzel tente lui aussi d’encadrer la création de ce délit d’entrave en proposant d’exclure du champ d’application de l’article « les psychologues et psychiatres dont les missions ont pour objet de soigner les personnes et de prévenir les conduites suicidaires ; les associations visant à écouter et soutenir les personnes qui ont ou peuvent avoir des pensées suicidaires ; les représentants des cultes qui peuvent accompagner et entourer des personnes qui ont ou peuvent avoir des pensées suicidaires ». L’amendement 861 est, comme les autres, rejeté.

Catherine Vautrin entend apaiser les esprits : en aucun cas il n’y a de recherche de mise en cause des soignants. La clause de conscience est le meilleur respect qu’on puisse leur accorder, et ils ne seront pas inquiétés s’ils ne commettent pas de délit d’entrave tel que défini par la loi.

« On ne peut créer un délit d’incitation à un droit, ce n’est pas possible »

Non contents d’avoir doublé les peines prévues pour le délit d’entrave et refusé toutes les tentatives d’encadrement, les promoteurs de la proposition de loi rejettent ensuite tous les amendements destinés à instaurer un délit d’incitation à l’« aide à mourir », y compris le 862 proposé par le président de la Commission des affaires sociales, Frédéric Valletoux (Horizons et Indépendants). La promesse d’Océane Godard (Socialistes et apparentés) d’appeler à le voter pour obtenir le soutien à l’un de ses précédents amendements (cf. Les députés examinent les critères d’accès à l’« aide à mourir » : « ce qui m’inquiète, c’est que depuis le début de nos débats vous n’avez aucune incertitude »), semble avoir fait long feu. Pour François Cormier-Bouligeon (Ensemble pour la République), l’équilibre n’est pas entre le délit d’incitation et le délit d’entrave, mais entre la clause de conscience et le délit d’entrave.

Yannick Monnet (Gauche Démocrate et Républicaine) espérait pourtant « couper court à beaucoup de critiques et de fantasmes ». « Ce délit doit impérativement intégrer ce texte », a-t-il tenté de faire valoir.

La rapportrice Elise Leboucher considère que, pour qu’il y puisse y avoir délit d’incitation, il faudrait qu’il puisse y avoir « préjudice ». Ce qui ne saurait être le cas selon elle, l’« aide à mourir » ayant été votée comme étant un « droit ». « On ne peut créer un délit d’incitation à un droit, ce n’est pas possible. » Même si la ministre indique comprendre l’intention de ces amendements, elle considère que l’arsenal répressif en la matière est suffisant et choisit d’émettre un avis défavorable.

Une bataille d’associations ?

Philippe Juvin conteste ensuite l’alinéa 5, un « alinéa d’opportunité », destiné uniquement selon lui à permettre à l’ADMD d’ester en justice. « Les associations ont un rôle mais elles n’ont pas à être spécifiquement mises en avant par la loi. » Vincent Trébuchet (UDR) abonde : « une association qui a été, pendant tant d’années, en capacité d’enfreindre le droit qui était le nôtre, je m’interroge sur les moyens qu’elle emploiera demain ». Reprenant son mantra, la ministre invoque une fois de plus le « parallélisme des formes » avec l’IVG pour conserver l’alinéa.

Alors Patrick Hetzel pointe avec un certain agacement : « Il suffit de regarder le nombre d’amendements qui ont été adoptés et qui, en réalité, ont été portés par la MGEN et par l’ADMD pour se dire qu’il y a quand même un sujet ! » (cf. « Aide à mourir » : une mutuelle propose des amendements aux députés) Un sujet que le rapporteur Stéphane Delautrette (Socialistes et apparentés) balaiera d’un revers de main, ne cachant pas au passage être un militant de l’ADMD. En réponse, Philippe Juvin conviendra défendre lui aussi les positions d’associations, en particulier celles de la Société d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). A une différence près, une différence de taille : aucun amendement issu des positions de la SFAP n’a été repris.

L’article 17 est adopté par 84 voix contre 49. Les articles 18 et 19 suscitent beaucoup moins de débat : ils sont adoptés en moins de 30 minutes.

Des tentatives de modification du titre de la loi

Les députés suppriment ensuite l’article 20, dernier article de la proposition de loi. Mais les débats ne sont pas tout à fait terminés : plusieurs députés proposent en effet de modifier le titre de la proposition de loi.

Vincent Trébuchet provoque avec sa proposition : loi « visant à mettre fin au serment d’Hippocrate ». Patrick Hetzel, attaché à la clarté des termes préconise : loi « relative à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie ». Thibault Bazin interroge à cette occasion : le texte est-il vraiment équilibré ? Il appelle ses collègues à bien réfléchir, pendant les quelques jours qui les séparent du vote.

« J’appelais de mes vœux un texte de compassion, à caractère exceptionnel, déclare à son tour Cyrille Isaac-Sibille. C’est le premier, depuis que la République existe, qui permet d’accéder à la mort. Le texte se dit sociétal, mais il permet au législateur de se dédouaner en laissant aux médecins la responsabilité de la procédure. » Le député poursuit, dénonçant : « Ce n’est pas une loi de fraternité, mais un texte libéral qui ne prend pas en compte les plus vulnérables d’entre nous. Je fais partie des personnes qui doutent. » Il propose comme titre : loi « relative au droit à mourir, dérogatoire au droit à la vie, en cas de maladie grave et incurable entraînant des souffrances insupportables réfractaires aux traitements ».

Fidèle à ses convictions, Annie Vidal demandera une nouvelle fois que soit ajouté l’adjectif « active » dans le terme « aide à mourir ».

Toutes ces propositions seront rejetées.

Ce texte « n’est pas conforme à notre devise nationale », souligne Christophe Bentz : « Pas de liberté quand on a un choix cornélien entre souffrir ou mourir. Pas d’égalité quand 200.000 Français chaque année n’ont pas d’accès effectif aux soins palliatifs. Et pas de fraternité car, à notre sens, c’est le respect de la dignité humaine jusqu’à la fin ». « A mardi pour rejeter ce texte au nom de la protection de la vie humaine », lance le député. Face à lui, Romain Eskenazi (Socialistes et apparentés) considère au contraire que la proposition défend la liberté de choix, l’égalité de tous les citoyens, au lieu de voir une partie d’entre eux recourir à l’euthanasie à l’étranger (cf. Belgique : les euthanasies en hausse de 16,6% en 2024), et la fraternité, avec la solidarité avec les Français qui souffrent.

Un dernier rappel au règlement révélateur des fractures

A l’occasion de la proposition de titre de Vincent Trébuchet qui évoquait le « serment d’Hippocrate », les mots « serment d’hypocrite » ont été lancés dans l’hémicycle. Une « insulte à tous les médecins », s’indigne Philippe Juvin qui effectue un rappel au règlement et demande des excuses. La députée en cause, Alma Dufour (LFI-NFP), assurera n’avoir pas voulu épingler les soignants mais certains députés qui auraient, selon elle, fait de l’obstruction sur le texte.

Les députés procèdent enfin au réexamen d’un amendement de Christophe Marion (Ensemble pour la République) qui a fait adopter le fait que le médecin puisse notifier sa décision à la personne de confiance « si la personne n’est pas apte à recevoir cette décision », en contradiction avec les positions de l’hémicycle sur le sujet tout au long de l’examen du texte (cf. « Pour une décision aussi grave, aussi lourde et totalement irréversible, oui, deux jours ça nous parait insensé »). Le rapporteur général indique avoir échangé avec le député qui souhaite l’adoption de la proposition. Son amendement est adopté, de même que l’article 6 rectifié.

Après 68 heures de débat, l’examen de la proposition de loi est terminé. Le vote solennel interviendra mardi 27 mai, après les questions au gouvernement. Des alertes ont été lancées, de toutes parts, en nombre, venant de psys (cf. « Droit à l’aide à mourir » : « c’est une capitulation, pas une compassion »), de familles de personnes porteuses de déficience intellectuelle (cf. « Un gros risque en plus » : exclure les personnes handicapées du dispositif légal de mort administrée est « une urgence absolue »), de juristes (cf. Ouverture du « droit à l’aide à mourir » : une « profonde et irréparable injustice »), de médecins (cf. Claire Fourcade : depuis le mois de juin, « il n’y a pas eu un seul patient ni une seule famille qui m’ait demandé où en était ce projet de loi »), de bénévoles en soins palliatifs (cf. « Être là » – Le témoignage d’un avocat engagé en soins palliatifs face au projet de légalisation de l’euthanasie) et de patients (cf. Euthanasie : « Ce prétendu droit m’enlève ma dignité, et tôt ou tard, me désigne la porte »). Des personnes en première ligne qui ne veulent pas de cette loi qu’elles jugent dangereuse.

Mardi, au moment de se prononcer sur un texte d’une particulière gravité, les députés seront-ils sensibles à ces appels ?

 

[1] Le 586 de Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), le 2126 de Danielle Simonnet (Ecologiste et Social), le 2377 de Karen Erodi (LFI-NFP)

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