Dépistage de la trisomie 21 et fichage : les professionnels de santé contraints à jouer le jeu

Publié le 21 Nov, 2017

Vendredi 17 novembre, le Conseil d’Etat a rendu sa décision concernant un recours déposé par la Fondation Lejeune qui dénonce le fichage des femmes enceintes et des bébés porteurs de trisomie 21. Si le Conseil d’Etat valide la centralisation de ces données auprès de l’ABM, il n’autorise leur transmission qu’en circuit fermé. Un certain nombre d’organismes agréés par la HAS ou aux réseaux de périnatalité ne pourront plus accéder à ces données, ce qui réduit l’impact de l’arrêté et du décret ministériels. Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien à Béziers et coordinateur du Comité pour Sauver la médecine prénatale, réagit à cette décision.

 

Gènéthique : Comment recevez-vous cette décision ?

Patrick Leblanc : Cette décision ne changera rien à la pratique des obstétriciens qui sont toujours astreints à produire une première fiche lors de la prescription du test combiné de dépistage de la trisomie 21[1] au tout début de la grossesse, puis à son terme, une deuxième fiche précisant l’issue de la grossesse et l’état de l’enfant : elle indique si l’enfant a échappé ou non au  filtre du dépistage. Dans les faits, que le professionnel le veuille ou non, la grossesse est très encadrée et toujours focalisée sur le dépistage de la trisomie 21. Il demeure un maillon actif de la chaîne.

De plus ce fichage risque de s’intensifier avec la mise en place progressive du DPNI[2]. Celui-ci est actuellement indiqué pour un calcul de risque de 1 sur 1000 mais il sera probablement généralisé ultérieurement selon les recommandations du CNGOF[3], du CCNE[4] et de la HAS[5], en remplacement du test combiné précoce.

Je ne peux m’empêcher de regretter que les intervenants qui ont été consultés par le Conseil d’Etat au sujet de la pertinence de ces tests soient des praticiens, des membres d’association qui ont intérêt à ce que ces données restent disponibles. Ils font partie de sociétés savantes qui ont besoin des résultats de ce dépistage pour mener leurs recherches et qui sont les promoteurs du DPNI. Il est dommageable que le bien de la femme n’ait pas été la préoccupation première.

Des questions de santé publique autrement plus alarmantes ne sont pas prises en compte comme celle de l’augmentation du nombre de grands prématurés avec séquelles neurologiques – en dépit des progrès de la réanimation néonatale – qui se développent dans la plus grande indifférence.

 

G : Au moment où est pratiqué le dépistage, comment les femmes sont-elles informées ?

PL : Au moment où les tests sont pratiqués, les femmes doivent signer un formulaire de consentement. Dans ce formulaire, il leur est indiqué que leurs données sont « conservées » dans le dossier médical. En aucun cas qu’elles sont transmises à un organisme, quel qu’il soit ! Conserver, c’est justement ne pas transmettre !

 

G : Quels sont les recours de la femme ?

PL : N’étant pas informée, elle n’a justement aucun recours, aucun moyen de dire qu’elle ne souhaite pas entrer dans les statistiques de l’Etat, qu’elle ne souhaite pas que ses données soient utilisées, ni que sa grossesse soit répertoriée et étiquetée « à risque ». Pas plus qu’elle ne peut dire qu’elle ne souhaite pas que l’Etat sache si elle a finalement avorté, fait une fausse couche ou mis au monde son bébé. Les fiches sont censés être anonymes mais les informations recueillis et transmises au laboratoire sont nominatives, précises. Elles comportent notamment le nom de la femme et celui du médecin prescripteur.

Aujourd’hui, le seul recours de la femme est de refuser ces tests qui ne sont pas obligatoires. Mais la plupart d’entre elles ignorent qu’elles ont le droit de le faire tant la pratique du dépistage de la trisomie 21 est devenue monnaie courante, un passage obligé dans le parcours de suivi de la femme enceinte. Dans les faits, rares sont celles qui le demandent. Il faudrait à minima que les femmes soient informées.

 

[1] Le dépistage combine trois paramètres : l’âge de la mère, des dosages des marqueurs sériques et l’échographie (clarté nucale du fœtus).

[3] Collège national des Gynécologues et obstétriciens Français.

Patrick Leblanc

Patrick Leblanc

Expert

Le docteur Patrick Leblanc est gynécologue obstétricien à Béziers. Depuis 2011 il coordonne le Comité pour Sauver la médecine prénatale, qui regroupe plus d’un millier de professionnels de la grossesse (gynécologues et obstétriciens, sages femmes, généticiens…). Ce Comité s’est créé en 2010 afin que le corps médical puisse prendre la parole sur le sujet du diagnostic prénatal qui impacte structurellement les métiers de la grossesse. Le dépistage précoce et systématique de certaines pathologies, ainsi qu’une responsabilité accrue des professionnels de la grossesse conduisent à poser des questions éthiques importantes quant à l’avenir de la médecine mais aussi de la société. Au nom de ce comité, le Docteur Patrick Leblanc alerte sur l’évolution eugénique de la médecine prénatale en France et dans le monde.

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