Délit d’entrave numérique à l’IVG : L’Assemblée nationale adopte la censure

Publié le 2 Déc, 2016

Les députés ont discuté jeudi 1er décembre de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave.

 

La commission des affaires sociales avait légèrement modifié ce texte à la demande de la rapporteur du texte Catherine Coutelle (cf. délit d’entrave numérique à l’IVG : vers une entrée « dans la police des idées et dans la dictature d’une vision totalitaire ») sans en changer pour autant ni l’esprit, ni l’objectif, à savoir préserver le « droit à l’IVG » des « allégations trompeuses » diffusées au grand public, notamment, mais non exclusivement, par voie numérique. 

 

Le texte discuté par les députés était le suivant : “Constituerait un délit d’entrave, puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende, les pressions morales et psychologiques à l’encontre  des femmes venues s’informer sur un avortement « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse »”.   

 

Un débat houleux marqué par la cause féministe

Catherine Coutelle, qui a ouvert la discussion en fin de matinée, a donné le ton en s’insurgeant contre les entraves physiques qui auraient eu lieu dans les années 90. Pour elle, le texte a pour objectif « de continuer d’affirmer le droit fondamental à l’IVG ». Pour cela « la bataille de l’information devient centrale » et nécessite de combattre « des sites très bien référencés avec des numéros verts » qui exercent une « forte dissuasion à l’IVG ». Elle tente de répondre a priori à ceux qui craignent une atteinte à la liberté d’expression : « Non, la proposition de loi ne revient pas sur la liberté d’expression, non elle ne conduira pas à la fermeture administrative des sites ». 

 

La ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol, insiste quant à elle sur « l’enjeu majeur » de la « qualité des informations ». Elle estime qu’il n’y a dans cette proposition de loi aucune atteinte à la liberté d’expression, mais n’avance pas d’argumentation convaincante : « Chacun est et reste libre d’affirmer son hostilité à l’avortement, sur internet ou ailleurs, autant qu’il le veut et comme il le veut, à condition de le faire en toute honnêteté, car la liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits ».

 

Enfin, Catherine Lemorthon, présidente de la commission des affaires sociales, qui a pris ensuite  la parole, s’est emportée toute seule. Rappelant que l’acquis d’un « droit à l’IVG » est « illusoire », elle finit par tomber dans la caricature : « L’archaïsme n’a pas sa place, lorsque nous défendons la liberté de toutes les femmes à disposer de leur corps ». Et pour justifier l’agressivité du ton : « Je m’énerve en prévention de toutes les absurdités que vous allez raconter ! »   

 

La création d’un délit d’opinion

Le groupe les Républicains, représenté par Christian Kert, a présenté brillamment une motion de rejet préalable, pour inconstitutionnalité. Le député Kert a brillamment défendu la liberté d’expression, accusant cette proposition de loi d’être « liberticide » et créant un véritable « délit d’opinion ». Or la liberté d’opinion est protégée par la Constitution et consiste à penser ce que l’on veut.  Le député Kert pose la question de l’objectivité de l’information : « Qui peut prétendre sur un tel sujet à la neutralité ? ». D’ailleurs qui en sera l’arbitre ? interroge-t-il ? « Ce n’est pas au gouvernement de décider ce qui est une information légitime ou pas »

 

Philippe Vigier, qui rappelle que la majorité des députés de l’UDI sont favorables au texte, admet en effet que « l’équilibre est difficile entre la liberté d’expression, la liberté d’opinion et le droit à l’IVG: nous devrons donc constamment veiller à ce que les garanties de chacun soient protégées ».

 

La motion de rejet préalable ne sera pas adoptée, par 74 voix contre 19. Le groupe Les Républicains annoncent un recours en inconstitutionnalité.

 

Vers un totalitarisme dans le domaine de l’information

Philippe Gosselin affirme avec force que la mention « par tous moyens de communication au public, y compris par voie numérique » constitue bien une « interdiction générale et absolue [qui porte]  bien une atteinte à la liberté d’expression ». Yannick Moreau le confirme, « vous nous dites que nous avons le droit de ne pas être d’accord, mais qu’on n’a pas le droit de le dire  […] c’est totalitaire ».

 

Le député Dominique Tian rappelle que l’obsession du gouvernement d’attaquer les sites qui présentent un numéro vert n’a pas de sens : « Toute société peut avoir un numéro vert, c’est un droit aussi pour ces sites ».  Ce manque de bon sens se manifeste dans ce texte uniquement parce qu’il traite de l’avortement pense Marion Maréchal Le Pen : « Remplacer dans ce texte le terme IVG par n’importe quel autre mot, et tout le monde sera choqué de la censure que vous opérez »

 

Jean-Frédéric Poisson dénonce  « une innovation juridique extrêmement hasardeuse » car en voulant censurer « tous les moyens d’expression » dissidents sur l’avortement, le gouvernement outrepasse le délit d’entrave qui, par nature, est physique. Cela nécessiterait soulève-t-il de censurer toutes les allégations fausses que l’on trouve sur internet. Cela n’a pas de sens.

 

« Du paternalisme » au « féminisme patriarcal » ? 

Au milieu du débat, Catherine Lemorthon fustige le paternalisme des députés de la droite qui contestaient la modification à outrance de la loi Veil ces dernières années : « Les femmes sont assez grandes pour prendre leur décision, ça suffit avec le paternalisme, quand les femmes ont pris leur décision d’avorter mieux qu’elle le fasse le plus rapidement possible ».  

 

Peu après Laurence Rossignol enfonce le clou, répètant en boucle que l’objectif de cette proposition de loi est de protéger les femmes contre des informations fausses. Ce que relève de façon partial Alain Ballay : « Personne ne doit dicter ce que les femmes doivent penser ou ressentir ».  

 

La contradiction est soulignée par Marion Marchal Le Pen : « Pour qui prenez-vous les femmes, en voulant supprimer des informations sur l’IVG ? ». Les femmes sont capables de faire la part des choses dans les informations qu’elles lisent.

 

Tous les amendements de suppression de l’article unique de la proposition de loi ont été rejetés par 17 voix contre 35, et les députés présents ont courageusement poursuivi le débat pour tenter de contrer cette proposition de loi. On peut notamment citer les interventions des députés Moreau, Dhuicq, Lurton, Poisson, Gosselin, Bompard, Fromantin, Larrivé, Tian, Maréchal Le Pen, Le Callenec. Toutes soulignant l’atteinte manifeste à la liberté d’expression, l’absurdité juridique, et l’atteinte à la vie humaine de ce texte.

 

Retrouvez le compte rendu des débats sur le dossier législatif en cliquant ici.

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