Délit d’entrave à l’IVG : Suppression du délit d’opinion mais contrôle de l’information, la décision en demi-teinte du Conseil Constitutionnel

Publié le 17 Mar, 2017

La loi élargissant le délit d’entrave au numérique a été validée jeudi par le Conseil Constitutionnel avec deux réserves : si la décision préserve la liberté d’opinion, notamment sur Internet, elle maintient entière la faculté de répression des services d’écoute personnalisés. La loi reste imprécise et discriminatoire (cf. Le Conseil Constitutionnel juge conforme le délit d’entrave mais émet deux réserves). Grégor Puppinck, docteur en droit et Directeur du Centre Européen pour le Droit et la Justice (ECLJ-Strasbourg), analyse pour Gènéthique la décision du Conseil Constitutionnel.

 

 

Gènéthique : Le Conseil constitutionnel vient de valider la loi élargissant le délit d’entrave à l’IVG au numérique moyennant deux réserves ? Faut-il s’en réjouir ?

GP : Le Conseil constitutionnel valide la loi tout en réduisant la portée de la modification apportée par l’élargissement du délit à l’entrave numérique à l’IVG.

Par son interprétation, la décision des « sages » est un camouflet pour le gouvernement et l’actuelle majorité parlementaire, parce que ses réserves censurent une partie essentielle de leur loi. Les informations destinées à un public indéterminé – par exemple sur internet – ne sont plus menacées. De ce point de vue, on peut se réjouir de la décision. Elle donne raison aux nombreuses critiques formulées durant les débats parlementaires à l’encontre de ce texte liberticide.

Cependant, il faut souligner que l’interprétation du Conseil Constitutionnel maintient le délit à l’égard des « informations » destinées à un public « déterminé » par des personnes ayant des compétences réelles ou supposées en la matière. Ainsi, ce qui reste visé par la loi, ce sont surtout les services d’écoute et d’assistance téléphoniques, les « numéros verts » qui paraissent sur les sites pro-vie. Les personnes qui répondent à ces numéros verts pour écouter et conseiller les femmes qui appellent spontanément pourront être poursuivies pénalement dès lors que leurs propos sont susceptibles d’être interprétés comme étant de nature à induire volontairement en erreur dans un but dissuasif. Cela limite fortement leur faculté d’essayer de convaincre les femmes de ne pas avorter. Cependant, la loi peut aussi s’appliquer à tout autre mode de communication.

 

G : Cette décision du Conseil a-t-elle réglé tous les problèmes posés par cette loi ?

GP : Non. La loi reste problématique. Elle demeure incompréhensible, très confuse, mal écrite dans sa structure. Elle ne permet pas de savoir précisément ce qui est interdit. Cela met en cause la sécurité juridique des personnes qui veulent agir pour la prévention de l’avortement. En effet, les éléments constitutifs du délit sont confus, ce qui en fait craindre une application arbitraire. La définition du délit ne permet pas aux personnes de régler leurs comportements pour éviter d’être punies. Cette insécurité juridique fait peser immédiatement un risque pénal sur les personnes qui agissent auprès des femmes pour les aider à mener à bien leur grossesse. Rien n’est plus équivoque que la notion « d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ». Cette notion renvoie à l’idée qu’il y aurait une vérité officielle concernent l’IVG à laquelle il faudrait se conformer. Elle rend possible des poursuites pour avoir dit que l’IVG supprime une vie humaine, ou peut provoquer un syndrome post-abortif.

 

G : Quelles sont les implications concrètes de ces ambiguïtés ?

GP : Concrètement, si on dit : « une IVG met fin à une vie », est-ce qu’on est dans l’allégation  qui exerce une pression morale ? Cette phrase va amener à réfléchir, c’est une pression morale. Dans quelle mesure est-ce une allégation ? Le moyen du délit est extrêmement flou…

 

G : Ce point n’est pas le seul à rester problématique ?

GP : Non, en effet. Cette loi pénale reste discriminatoire, car unilatérale : elle ne sanctionne que les discours ayant « un but dissuasif », et non pas ceux ayant un « but incitatif » et qui minimisent, voire nient les aspects les moins plaisants de l’avortement. Inciter une personne à avorter tout en cachant ou minimisant les conséquences de cet acte échappe au champ d’application de cette loi. Une discrimination fondée sur l’opinion est donc opérée entre les messages “pro-avortement”, épargnés par la loi, et ceux diffusant un message “Pro-vie”, qui tombent seuls sous le coup de cette loi.

 

G : Est-ce que ça signifie qu’il ne sera plus possible de faire de la prévention ?

GP : Il va effectivement devenir risqué de faire de la prévention directe auprès des femmes en détresse. Il y aura très probablement des opérations de testing avec enregistrement des conversations téléphoniques pour condamner les bénévoles qui donnent de leur temps pour écouter ces femmes. La loi met aussi en péril le « conseil de rue » qui se fait à proximité des cliniques d’IVG.

C’est la faculté d’aider directement des femmes en détresse qui est mise à mal.

Malgré la décision du Conseil constitutionnel, le cœur du problème demeure, cette loi porte une atteinte grave à la faculté des associations d’aider des femmes en détresse à garder leur enfant.

 

G : La question des peines infligées n’a pas été abordée par le Conseil Constitutionnel ?

GP : Non. Il est vrai que les peines sont très lourdes par rapport à ce qui se fait habituellement.

 

G : Quelles sont les prochaines étapes ?

GP : La loi va être promulguée dès la semaine prochaine et elle entrera en vigueur immédiatement. Je pense qu’il faudra s’attendre très rapidement à des opérations de testing des numéros verts et à des poursuites pénales.

 

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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