Déclaration à venir de l’Association médicale mondiale sur l’IMG : nouvelles menaces sur la clause de conscience

Publié le 18 Sep, 2018

Grégor Puppinck[1] dévoile la version la plus récente de la « Déclaration sur l’avortement médicalement prescrit (IMG) », qui devrait être votée par les organisations nationales de médecins lors de l’Assemblée Générale de l’Association médicale mondiale (AMM) le 6 octobre 2018 à Reykjavik. Cette organisation internationale de médecins coopère notamment avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

 

Gènéthique : Vous nous aviez alertés en avril (cf. Un projet de “Déclaration sur l’avortement médicalement prescrit” pour limiter l’objection de conscience ?) sur la possible adoption par l’Association médicale mondiale (AMM) d’une nouvelle « Déclaration sur l’avortement médicalement prescrit (IMG) » remettant en cause le droit à l’objection de conscience des professionnels de santé. Où en est ce projet ?

GP : L’AMM regroupe les organisations nationales de médecins et adopte régulièrement des « déclarations », « résolutions » et « prises de position ». Ces textes ne sont pas du droit à proprement parler, mais ils ont une grande influence sur le droit international des droits de l’homme qui s’impose aux États.

Au cours de la session du Conseil de l’AMM fin avril à Riga (Lettonie), les représentants des médecins ont débattu d’une nouvelle Déclaration sur l’interruption médicalisée de grossesse (IMG). Je leur avais envoyé une lettre leur demandant de s’opposer à certains passages de ce texte, qui exigeaient explicitement que les médecins objecteurs pratiquent eux-mêmes des avortements dans certaines circonstances.

Les membres de l’AMM ont modifié la Déclaration en tenant compte de notre argumentation et de celle d’associations amies, principalement américaines. Cependant, si la version actuelle du texte n’inclut plus aucune obligation explicite de pratiquer des avortements, sa formulation imprécise entretient un flou dangereux.

Il fait peser sur les médecins la responsabilité de garantir un accès effectif à l’avortement en demandant aux objecteurs de conscience d’« assurer la continuité des soins médicaux par un collègue ». Cette obligation de renvoi viole l’objection de conscience des médecins, à qui il est demandé de coopérer à une pratique qu’ils réprouvent.   

La Déclaration sur l’IMG sera de nouveau discutée à l’occasion de l’Assemblée Générale de l’AMM début octobre à Reykjavik (Islande). Nous pouvons espérer qu’elle ne soit pas adoptée telle quelle. C’est pourquoi, je vais envoyer une deuxième lettre aux organisations nationales de médecins pour leur proposer un texte de substitution.

 

G : Quels changements proposez-vous ?

GP : La nouvelle Déclaration sur l’IMG doit être modifiée, précisée et complétée.

Dans sa version actuelle, les médecins ont l’obligation d’« effectuer les procédures nécessaires pour sauver la vie de la femme et prévenir de graves atteintes à sa santé ». Comment être sûr que ces « procédures nécessaires » n’incluent pas l’avortement ? Il faudrait le préciser.

Par ailleurs, l’ambigüité dangereuse du terme « santé » doit être levée. L’OMS la définit comme un « état de complet bien-être physique, mental et social », incluant la « santé reproductive ». Invoquer la « santé » de la femme enceinte a permis à de nombreux pays d’ouvrir une première brèche dans l’interdiction de l’avortement. C’est par exemple le cas de l’Irlande, qui a dépénalisé l’avortement en cas de danger pour la « santé » de la mère, incluant son bien-être psychologique : cinq ans plus tard, le droit à la vie de l’enfant à naître a été supprimé de la Constitution de ce pays. Pour cette raison, la Déclaration sur l’IMG doit absolument spécifier qu’elle fait référence à la « santé physique » de la mère, et non à la « santé » en général.

De plus, je souhaite rappeler aux membres de l’AMM que le droit international protège encore fortement l’objection de conscience des médecins. Ce n’est pas le rôle des médecins, mais celui de l’État d’organiser le système de santé afin de rendre accessible l’avortement légal[2]. L’AMM ne doit pas violer ce principe en créant une obligation de renvoi, mais plutôt préserver l’indépendance et la liberté de conscience des médecins.

Le projet de Déclaration sur l’IMG comporte également de graves omissions. En effet, la Déclaration actuellement en vigueur sur l’IMG, adoptée en 2006, précise que « l’AMM demande au médecin de préserver le respect de la vie humaine » et fait référence à l’« enfant à naître »[3]. La nouvelle Déclaration, dans sa formulation actuelle, supprime le principe de respect de la vie et la mention de l’enfant, dont l’élimination est pourtant l’objet-même de l’avortement… Ces omissions, si elles se confirment, révèleraient un changement radical dans la politique éthique de l’AMM depuis sa fondation en 1948.

 

G : Dans le contexte actuel de libéralisation de l’avortement, vos demandes à l’AMM paraissent être particulièrement exigeantes. Est-ce qu’il y a réellement une chance que cette nouvelle Déclaration sur l’IMG soit modifiée avant son adoption en tenant compte de vos propositions ?

GP : Les attaques contre l’objection de conscience et la vie à naître sont en effet fréquentes. En France, des politiques et journalistes se sont récemment exprimés contre la clause de conscience, après les propos courageux du président du syndicat des gynécologues Bertrand de Rochambeau. À l’ONU, le Comité des droits de l’homme révise actuellement l’interprétation du « droit à la vie » en droit international, afin d’imposer à tous les États la légalisation de l’avortement, du suicide assisté et de l’euthanasie.

L’AMM, en revanche, reste sensible à la défense de l’indépendance des professionnels de santé et de la vie à naître, car c’est sa mission et son histoire. En effet, elle a été fondée en 1947 en réaction aux expérimentations médicales nazies, dans l’« objectif d’assurer l’indépendance des médecins et les plus hautes normes possibles en matière d’éthique et de soins »[4]. Ainsi, elle « a apporté [son soutien] et continue d’assister et d’agir pour le compte des médecins que l’on empêche d’exercer dans un contexte éthique »[5]. De plus, la Déclaration de Genève adoptée par l’Assemblée générale de l’AMM en 1948, présentée comme une version moderne du serment d’Hippocrate, affirmait le devoir des médecins de « maintenir le plus grand respect pour la vie humaine dès la conception ».

En outre, les organisations nationales de médecins, membres de l’AMM, sont souvent réticentes à accepter l’avortement. En France, le Conseil de l’ordre des médecins s’est longtemps opposé à sa dépénalisation sans réserve et à sa banalisation, parfois avec plus de courage que certains prélats. Aujourd’hui, les progrès de l’imagerie médicale ont permis de montrer la réalité de l’avortement, ce qui conduit de plus en plus de médecins à refuser de pratiquer des avortements, se distinguant ainsi de la « génération mai 1968 » partie à la retraite. 

Plusieurs organisations nationales de médecins ne soutiennent pas la nouvelle Déclaration sur l’IMG de l’AMM, dans sa formulation actuelle. Selon nos informations, il y aurait un quasi consensus pour ajouter un garde-fou au texte, afin de préciser explicitement que la politique qu’il définit vise à s’appliquer exclusivement à l’IMG et non aux avortements pour « motifs non médicaux ». Cette précision est loin d’être suffisante, mais cela donne quand même de l’espoir !



[1] Prochain livre à paraître : Les droits de l’homme dénaturé, Le Cerf, 2018.

[2] CEDH, R.R. c. Pologne, 27617/04, 26 mai 2011, § 206 and CEDH, P. and S. c. Pologne, 57375/08, 30 octobre 2012, 2012, § 106 : « les Etats sont tenus d’organiser leur système de santé de manière à garantir que l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans le contexte de leurs fonctions n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont droit en vertu de la législation applicable ».

[3] « Déclaration d’Oslo sur l’avortement thérapeutique », octobre 2006, articles 1 et 3.

 

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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