Le 3 août, le Conseil d’Etat a ordonné au Ministère des Affaires étrangères de laisser entrer sur le territoire français un enfant né à l’étranger, « quand bien même sa naissance résulterait d’une convention de gestation pour autrui » (cf. GPA en Arménie : le Conseil d’Etat à demi favorable ?). Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance, décrypte cette décision pour Gènéthique.
Gènéthique : Le Ministère des affaires étrangères fabriquerait des orphelins ?
Aude Mirkovic : Ce n’est pas le Ministère des Affaires étrangères qui fabrique des orphelins, c’est la GPA. Cette pratique consiste en effet par définition à planifier la venue au monde d’un enfant dont la mère est écartée dès l’origine, de manière à ce que cet enfant n’ait pas de mère, soit donc comme orphelin, pour laisser la place à un parent d’intention.
Les adultes parties au contrat de GPA s’entendent pour mettre l’enfant dans une situation intenable, l’absence de parents. Ils se fondent ensuite sur cette situation catastrophique, qu’ils ont délibérément suscitée, pour exiger des autorités qu’elles ferment les yeux sur ce qu’ils ont fait subir à l’enfant, sous prétexte de le sortir de cette situation effectivement catastrophique. Au passage ils parviennent à leurs fins, à savoir vendre l’enfant pour la mère porteuse, et l’acheter pour les demandeurs, ici une femme dite mère d’intention.
G : Le fait que la mère inscrite sur l’acte de naissance ait véritablement accouché ou non est-il indifférent à la solution en droit ?
AM : La femme désignée sur l’acte de naissance n’est pas complètement indifférente juridiquement car, actuellement, la Cour de cassation refuse la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance qui ne désignent pas comme mère la mère porteuse, pour non conformité à la réalité. Mais cette mention sur l’acte de naissance ne peut être le seul critère d’appréciation car l’indication du nom de la mère porteuse sur l’acte de naissance ne porte pas remède aux maux que la GPA inflige aux enfants. Dans tous les cas, que l’acte de naissance mentionne la mère porteuse ou la mère d’intention, l’enfant est commandé, fabriqué, facturé, livré, séparé de sa mère de naissance, ce qui constitue une situation à haut risque traumatique pour lui et pourra laisser une blessure d’abandon d’autant plus grave qu’elle sera niée par l’entourage de l’enfant. La filiation de l’enfant est, dans tous les cas, malmenée, bidouillée à partir de gamètes des uns et des autres, d’une gestatrice éphémère et de parents d’intention qui sont acheteurs avant d’être parents. Devant ce désastre de méconnaissance des droits élémentaires des enfants et de leur dignité d’êtres humains, les juges se contentent d’ergoter sur la mention maternelle de l’acte de naissance. L’arbre qui cache la forêt en somme, et ces arguties juridiques permettent d’entériner comme si de rien n’était des achats d’enfant. C’est une honte, mais ces injustices ne demeureront pas sans conséquences, lorsque les enfants attaqueront l’Etat français dont la justice (!) aura fermé les yeux sur les violations de leurs droits pour satisfaire les revendications de ceux qui les auront achetés.
G : Selon vous, le refus du Ministère des Affaires étrangères de délivrer ce laissez-passer portait-il une « atteinte grave et illégale au droit de l’enfant, et au respect de sa vie privée et familiale » ?
AM : Il faut comprendre le caractère machiavélique du procédé de GPA. A l’issue du processus, la seule personne qui se soucie de l’enfant est l’acheteuse. La justice a alors le choix entre reconnaitre l’acheteuse de l’enfant comme la mère, ce qui signifie valider un achat d’enfant, ou entériner le fait que l’enfant n’a pas de mère, ce qui suppose d’avoir le courage d’en tirer les conséquences. Des états comme l’Italie ont refusé de reconnaitre des acheteurs d’enfant comme parents, pour confier ce dernier à l’adoption. L’Italie a été pour cela condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (l’appel est en cours), alors que cette mesure est la seule qui fasse échec radicalement à l’achat d’enfant puisque l’acheteur ne parvient pas à ses fins.
Je ne sais pas si cette solution pourrait convenir dans tous les cas mais il faut réaliser que, une fois la GPA réalisée avec tout ce qu’elle suppose pour l’enfant, il n’existe pas de bonne solution pour lui, ni même de solution passable. C’est pourquoi il faut sanctionner les acheteurs et les vendeurs d’enfants, de manière à ce qu’il n’y ait plus de gestation pour autrui. Or, aujourd’hui, les clients de la GPA ne risquent rien dès lors que les faits s’accomplissement à l’étranger. Des parlementaires ont tenté de remédier à cette impunité inexplicable en proposant de sanctionner le recours à la GPA (cf. L’Assemblée nationale refuse de lutter contre la GPA [Réaction de Philippe Gosselin]) mais ce texte n’a pas été adopté par l’Assemblée car beaucoup de députés, en dépit de leurs belles déclarations sur le respect de la femme et le refus de faire des enfants des marchandises, ne souhaitent pas vraiment lutter contre la GPA. Ceux qui ont fait échouer ce texte portent une lourde responsabilité envers des enfants comme celui dont nous parlons, acheté en Arménie par une femme qui, ensuite, somme sans complexe la justice d’entériner son achat en brandissant, ironie suprême, l’intérêt de cet enfant.