Débats éthiques autour d’embryons chimériques singe-homme

Publié le 16 Avr, 2021

Des scientifiques chinois et américains ont créé en laboratoire des embryons chimères animal/homme. Après un essai infructueux porc-humain en 2017, l’équipe dirigée par Juan Carlos Izpisua Belmonte ont décidé de réessayer avec une espèce animale « plus proche de l’homme », le singe macaque. L’étude a été publiée hier dans la revue Cell [1].

132 embryons chimériques singe-homme

« Six jours après la création en laboratoire de 132 embryons de singe, chacun a reçu une injection de 25 cellules souches humaines ». Au bout de 10 jours, 103 des embryons chimériques étaient encore vivants. Ils ont ensuite commencé à décliner « et, le 19e jour, seules trois chimères étaient encore en vie ». D’après les chercheurs, « le pourcentage de cellules humaines dans les embryons est resté élevé pendant toute la durée de leur croissance », ce qui signifie que les cellules humaines se sont intégrées à l’espèce hôte. « Les cellules humaines ont survécu, ont proliféré et ont généré plusieurs lignées cellulaires » à l’intérieur des embryons de singe, explique le chercheur principal, Juan Carlos Izpisua Belmonte, professeur au laboratoire d’expression génétique du Salk Institute for Biological Studies en Californie.

Selon Henry Greely, directeur du Stanford Center for Law and the Biosciences en Californie et co-auteur de l’étude, ces embryons chimériques n’avaient aucune chance de survie, non seulement parce qu’ils n’ont pas été implantés dans un utérus, mais également parce que la différence de durée de gestation entre les deux espèces « auraient probablement réduit à néant leurs chances de survie ».

Les chercheurs ont effectué une analyse du transcriptome sur les cellules humaines et de singe des embryons. « Comprendre quelles voies sont impliquées dans la communication des cellules chimériques nous permettra éventuellement d’améliorer cette communication, explique Izpisua Belmonte, et d’augmenter l’efficacité du chimérisme chez une espèce hôte plus éloignée de l’évolution des humains ».

L’objectif des chercheurs est double. D’une part ils souhaitent cultiver des organes humains dans des animaux en vue de les greffer sur des humains en attente de transplantation. D’autre part, ils souhaitent créer des modèles d’étude pour tester des molécules, “mieux comprendre le développement embryonnaire” ou approfondir l’étude de maladies telles que Zika ou Alzheimer.

Un brouillage des frontières entre les espèces

 « Ce type de recherche soulève des problèmes éthiques qui peuvent donner la nausée », a déclaré Nita Farahany, directrice fondatrice de la Duke Initiative for Science & Society (Caroline du Nord). Un « pas symbolique » vient d’être franchi, en termes de recherche sur l’embryon, risque de « transgression » pour certains ou « brouillage des frontières » entre l’espèce humaine et les autres espèces animales. « Les gens reconnaîtront toujours qu’il y a un fossé entre les humains et les primates non humains, et lorsque vous commencez à introduire des cellules humaines dans un primate non humain comme un singe, les gens commencent à se demander ce qu’ils sont en train de créer (…) et je pense que c’est pour cela que les gens commencent à être mal à l’aise ». D’autant plus qu’ « il s’agissait de cellules humaines introduites à un stade si précoce du développement que les cellules humaines pouvaient s’intégrer dans chaque partie de ce qui pourrait éventuellement devenir un primate né, détaille-t-elle. C’est probablement ce qui est le plus compliqué, les inconnues et les incertitudes que cela crée. Pourrait-on avoir des cellules humaines dans chaque partie du corps, et dans quelle mesure cela rendrait-il le résultat de cette expérience semblable à un être humain ? »

Une expérience similaire en France

Une équipe française a effectué parallèlement des expériences similaires, coordonnée par Pierre Savatier de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à Lyon. Les embryons chimériques français ont été cultivés pendant trois jours en laboratoire. Cette étude a été publiée le 12 janvier dans la revue Stem Cells Reports. Le taux de chimérisme des cellules s’est avéré plus faible dans cette étude.

Les deux équipes ont eu recours à des « cellules souches pluripotentes induites » (cellules iPS). Il s’agit de cellules produites en laboratoire « à partir de cellules de la peau adulte ». Elles sont génétiquement reprogrammées « pour revenir à un état très immature, non spécialisé ». Elles peuvent alors se « spécialiser en n’importe quelle cellule du corps humain ». Les cellules iPS offrent l’avantage de ne pas être obtenues à partir d’embryons humains, contrairement aux cellules souches embryonnaires humaines, nécessitant la destruction d’embryons humains.

 

NDLR : Le projet de loi bioéthique prévoit l’autorisation des embryons chimériques animal/homme. Actuellement Pierre Savatier a pu mener ses recherches car la loi française, sans autoriser ces chimères, ne les interdit pas. Elle interdit les chimères homme/animal, c’est-à-dire l’introduction de cellules animales dans un embryon humain.

[1] Chimeric contribution of human extended pluripotent stem cells to monkey embryos ex vivo

Sources : Medical Press, Dennis Thompson (15/04/2021) ; The Scientist, Abby Olena (15/04/2021) ; Phys.org, (15/04/2021) ; Le Monde, Florence Rosier (16/04/2021) – Photo : Pixabay\DR

 

 

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