Débat autour du « droit des animaux » : ne nous trompons pas de coupables !

Publié le 5 Fév, 2017

Alors que des voix s’élèvent pour défendre le droit des animaux, Danielle Moyse, philosophe et expert Gènéthique, replace les enjeux du vrai débat.

 

Il est bon, philosophiquement, de s’interroger sur la pertinence de la notion de « droits des animaux ». J’avais, pour ma part, consacré un article à cette question dans La Croix en septembre 2006, où j’évoquais la proposition de loi d’un député écologiste espagnol, revendiquant la nécessité de faire reconnaître aux grands singes des « droits fondamentaux ». Dans cet article, je soulignais le paradoxal anthropocentrisme de cette proposition : les « droits des animaux » devraient-ils être, si l’on en admettait le principe, suspendus à la proximité de certaines espèces avec l’homme ? Beaucoup de droits pour les singes, pour nos animaux domestiques, et beaucoup moins pour ceux avec lesquels nous n’avons guère d’affinités !

 

Plus radicalement, je rappelais que la notion de droit est toujours apparentée à celle de devoir : le droit au travail, par exemple, suppose un devoir de la société à fournir du travail à tous ses membres. Chez les hommes un « droit » qui ne s’inscrirait pas dans une réciprocité de droits et de devoirs reviendrait à l’affirmation d’un pouvoir unilatéral. Mon « droit à la vie » suppose par exemple que j’aie aussi le devoir de respecter celle d’autrui. Or, pour l’animal, tout cela n’a tout simplement pas de sens, à moins qu’on revienne, comme au moyen âge, à faire des procès à des animaux parce qu’ils ont malencontreusement, blessé ou tué un autre animal ou un homme ! Or, le « droit à la vie » d’un tigre, supposerait, en toute logique, qu’il lui soit interdit de tuer une gazelle !

 

En revanche, ce qui a bel et bien du sens, c’est d’affirmer notre responsabilité vis-à-vis de l’ensemble du vivant, en particulier des animaux, surtout depuis qu’a été révélée l’odieuse brutalité de l’abattage industriel. À vrai dire, celle-ci était connue depuis longtemps : Upton Sinclair y avait consacré un roman paru en 1906, La jungle, qui, montrant tout à la fois l’horreur de la condition des ouvriers qui travaillaient dans les abattoirs de Chicago, et la manière dont les animaux y étaient mis à mort, fit un tel scandale que le Président Roosevelt reçut son auteur et demanda une enquête, qui confirma hélas les descriptions de l’écrivain. Mais tout récemment, les révélations, par des employés travaillant en France dans les abattoirs, de la violence avec laquelle sont traités « les êtres sensibles » (comme dit opportunément la loi) que sont les animaux d’élevage a donné une force particulière aux revendications des défenseurs des bêtes.

 

Pour ma part, je souscris à leur combat. Il a par ailleurs d’autant plus de légitimité que l’être humain a détruit en quarante ans la moitié des espèces animales… C’est pourquoi, même si, philosophiquement, la notion de « droit des animaux » est discutable, et s’il est légitime de bien prendre la mesure de la différence (quoique l’énonciation de cette différence ne soit pas toujours si simple…) qui nous sépare du règne animal, à commencer par la responsabilité, considérable et unilatérale, de l’homme à l’égard du vivant, il ne faut pas se tromper de combat ! Encore moins d’accusation !

 

Quand j’entends dire que les lois les plus protectrices à l’égard des animaux vis-à-vis des bêtes étaient celles du troisième Reich (ce qui demanderait à être minutieusement vérifié) (cf. Procès des abattoirs : « En voulant traiter les animaux comme les hommes ne va-t-on pas traiter les hommes comme les bêtes ?), laissant entendre qu’il y aurait peut-être quelque chose de nazi dans la volonté de faire reconnaître « le droit des animaux », j’aimerais surtout rappeler que ce sont bien plutôt les pratiques d’élevage industriel qui s’apparentent au nazisme (qui, à ma connaissance, ne les avait pas interdites), que les généreux défenseurs des bêtes qui aimeraient qu’on mette un terme aux carnages de l’industrie alimentaire !

 

 L’historien Charles Patterson, qui avait antérieurement écrit des ouvrages sur les droits civiques aux États-Unis, a montré dans un livre bouleversant intitulé Un éternel Tréblinka, empruntant ce titre à une nouvelle du grand écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer, le lien entre la logique génocidaire qui a conduit à la Shoah et l’abattage industriel. Comme le résumait remarquablement Elisabeth de Fontenay dans un article publié dans le journal Le monde : « C’est dans les Union Stock Yards, gigantesque réseau de parcs à bestiaux et d’abattoirs, installés au sud de Chicago, reliés par des centaines de kilomètres de voies ferrées, qu’Henry Ford, en 1922, eut la révélation de la chaîne de production dont il fit le modèle d’organisation du travail, auquel il a attaché son nom. Or c’est le même homme qui fut à l’époque l’instigateur de textes antijuifs virulents et le propagateur du pamphlet antisémite Les Protocoles des sages de Sion. Au commencement du pire, il y aurait donc eu comme une connexion entre l’antisémitisme génocidaire et la division du travail d’abattage. De Chicago à Treblinka, la conséquence serait implacable ». Et de fait, c’est tout notre rapport à la vie, et même au réel, qui est interrogé par l’existence de l’abattage industriel, ainsi que par le saccage effrayant des espèces animales.

 

À partir de là, comment inscrire dans le Droit les lois les plus à même d’arrêter le massacre ? Voilà un vrai débat ! Mais ne nous trompons pas d’accusation, ni de coupables ! Les défenseurs des bêtes contribuent bel et bien à rendre à l’homme son honneur perdu à maltraiter les animaux. L’anthropocentrisme, qui est principalement occidental, est justement ce qui perd l’homme, et pour être pleinement humain, il lui faudra apprendre à saluer l’ensemble de ce qui est, et à entendre le message des sages amérindiens qui finissent discours et prières par ces mots magnifiques : « À toutes mes relations ! », sachant que les « relations » en question ne sont pas seulement les hommes proches de la personne qui parle, ni même seulement tous les hommes, ni même seulement tous les animaux, mais tous les éléments de l’univers !  

 

Photo : Pixabay/DR

Danielle Moyse

Danielle Moyse

Expert

Danielle Moyse enseigne la philosophie depuis 30 ans. Chercheuse associée à l’IRIS, ses travaux portent notamment sur les résurgences de l’eugénisme à travers la sélection prénatale des naissances en fonction des critères de santé. Elle est chroniqueuse dans le supplément « Sciences et éthique » du journal La Croix et réalise des chroniques audiovisuelles sur le site www. Philosophies.tv.

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