Damien Le Guay : « Exiger le droit de ne pas penser comme tout le monde »

Publié le 21 Jan, 2020

Dans une tribune pour Le Figaro, Damien Le Guay, philosophe, éthicien, membre émérite du Conseil scientifique de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) et auteur de plusieurs essais sur la mort, dont « Le fin mot de la vie », s’interroge : « Quand tout le monde défend des intérêts catégoriels, qui sa retraite et qui ses droits salariaux, pourquoi faudrait-il défendre d’invisibles principes généraux et de mystérieuses normes anthropologiques, considérant que les premiers sont tordus par ceux-là mêmes qui sont censés défendre l’éthique, et que les seconds sont en pleine révolution sous l’effet de nouvelles normes juridiques ? »

 

Alors pourquoi ? Et bien parce que « les arguments doivent pouvoir se dire ». « Tant qu’il y a un espace de discussion, il est encore temps de se manifester ». Et surtout, au nom d’un « inexpugnable devoir de conscience ». Le philosophe s’explique : « La légalité s’impose à tous, et doit être respectée comme norme sociale commune, mais, en même temps, chacun est maître de sa légitimité morale. L’enjeu de cette insurrection éthique sur les sujets dits “de société” est d’abord d’exiger le droit de ne pas penser comme tout le monde et aussi de ne pas penser comme la Loi – celle qui va s’établir ou celle qui est déjà établie ».

 

Et Damien Le Guay de pointer : « Si cette clause de conscience individuelle est un droit, elle devrait pouvoir n’être pas à géométrie variable ». Revenant sur la dernière campagne d’affichage d’Alliance Vita, il rappelle « la demande explicite de censure d’Anne Hidalgo, Maire de Paris, qui s’est dite “choquée et indignée” par des affiches d’Alliance Vita, qui faisaient la promotion de la différence et de la paternité » (cf. Campagne d’affichage d’Alliance Vita : l’association obtient gain de cause auprès de la justice).

 

Mettant en cause la « partialité des auditions au Sénat », exemple à l’appui avec l’audition du Dr Pierre Levy-Soussan, pédopsychiatre, « qui contestait, en s’appuyant sur des études américaines, la légitimité des “études favorables” aux enfants élevés par deux “parents” du même sexe », Damien Le Guay dénonce aussi « le régime de contraintes collectives exercé sur les parlementaires LREM », comme Agnès Thill. Le parti présidentiel devenu pour le philosophe « un parti de ceux qui marchent droit, des marcheurs en file indienne, des marcheurs sans tête qui dépasse », « plutôt que de laisser chacun délibérer et voter en “son âme et conscience” ». Et de dénoncer « la captation du vocabulaire » « pour orienter les délibérations dans le “bon sens” » : après « l’utérus porteur » et « la mère porteuse », l’acronyme GPA « vient effacer l’idée même d’une “seconde” mère » et « remettre au centre exclusif la “mère d’intention” » Ainsi, l’apparition de cet acronyme « biologise la maternité, l’efface et efface aussi ce lien “naturel” entre ventre et maternité. Et puis, pour rendre généreux ce geste, pour le mettre du côté de la solidarité entre femmes, il a été décidé qu’il s’agissait là d’une “Gestation Pour Autrui” ». Le philosophe souligne : « Non pas pour une “donneuse d’ordre”, pour une “contractante” ou pour une “femme riche qui paie une femme pauvre et l’enferme sous des contraintes strictes”. Non. Non pas non plus pour une autre femme. Mais pour “Autrui” – avec cette dose merveilleuse de générosité dans l’altérité sans qualité ni sexualité ».

 

Damien Le Guay regrette : « Comme toujours, il est à craindre que l’aspiration à une meilleure disposition de son corps et une plus grande liberté individuelle ne soit récupérée, in fine, par le marché. La liberté de disposer de son corps et de ceux des autres fait le jeu, sans le savoir, du grand marché libéral d’échange des corps, de mixité des sexualités et de bricolage de la procréation contre monnaie sonnante et trébuchante. »

 

Alors le philosophe revendique le « droit d’alerter, de dire “non” ». Mais aussi le « droit de demander aux parlementaires de bien réfléchir – avant de faire le grand saut ». Car selon le philosophe : « Souvent, ces grandes décisions aux grandes conséquences sont prises, par la plupart des parlementaires, par peur des sanctions, par peur de penser par soi-même, par peur de quitter le confortable esprit moutonnier ». Et de citer Charles Péguy en guise d’alerte : « Le triomphe des démagogies est passager. Mais les ruines sont éternelles».

Le Figaro, Damien Le Guay (20/01/2020) – Bioéthique: «Parce que nos consciences nous interdisent de nous taire…»

 

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