Conclusions d’expertise sur l’état de santé de Vincent Lambert : il n’y a pas d’obstination déraisonnable !

Publié le 26 Nov, 2018

Alors que les experts mandatés par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne viennent de remettre leur rapport, Genethique a demandé au Professeur Xavier Ducrocq, neurologue, médecin conseil des parents de Vincent Lambert, de décrypter les conclusions rendues. Avec le Dr Edwige Richer, médecin spécialiste en neurologie physique et de réadaptation, et le docteur Catherine Kiefer, médecin spécialiste en médecine physique et de réadaptation, qui l’une et l’autre s’occupent quotidiennement de patients en état végétatif ou pauci relationnels, il était présent quand les experts sont venus examiner Vincent Lambert.

 

Gènéthique : Les experts mandatés par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne viennent de rendre leurs conclusions sur l’Etat de santé de Vincent Lambert. Que disent-ils ?

Xavier Ducrocq : Ils disent que Vincent Lambert est dans le même état de conscience que celui qui a été décrit en 2014, un « état d’éveil sans réponse ». L’état d’éveil sans réponse (ou « état végétatif chronique ») est ainsi qualifié quand on ne parvient pas à faire la preuve indiscutable d’une activité consciente. Contrairement à l’ « état de conscience minimale » (ou « état paucirelationnel »). Ces deux états sont regroupés sous le même vocable d’ « états de conscience altérée », car un même patient peut fluctuer de l’un à l’autre et le risque de les confondre est estimé à 41%, même pour les meilleurs spécialistes. Les unités spécialisées les prennent en soin de la même façon et la loi qui leur est propre (3 mai 2002) ne fait pas non plus de distinction entre les deux. Les conclusions des experts s’appuient uniquement sur une observation clinique, ils n’ont eu recours à aucun moyen technique durant leur visite pour tenter de mieux évaluer l’état de conscience.

 

G : Les experts expliquent qu’ils n’ont pas observé d’évolution de l’état de santé de Vincent Lambert. Cette conclusion était-elle attendue ?

XD : Personne ne s’attendait à ce qu’il y ait une évolution. La seule évolution possible aurait été la mort ou le coma. Ce n’est pas le cas ! C’est déjà un tour de force parce que toutes les conditions sont réunies pour que son état n’évolue pas. Vincent ne bénéficie que de soins de nursing. Rien n’est fait pour son confort de vie : pas de kinésithérapie, pas de stimulation, ni de rééducation, il est enfermé à clé dans sa chambre, avec des horaires de visite de plus en plus réduits, il peut encore moins sortir en fauteuil dans le jardin… Il ne fait l’objet d’aucun projet de vie. Dans ces conditions, la stabilité de son état est étonnante. Il aurait pu évoluer de façon beaucoup plus rapide et dramatique.

 

G : Quelles ont été les conditions de cette expertise ?

XD : Pour la première fois, le contradictoire a été respecté, les conseils médicaux étant présents au moment de l’examen. Pour la première fois également, les parents de Vincent Lambert étaient présents. Les conditions de l’examen étaient correctes ce jour-là, mais elles n’étaient pas adaptées à ce type de patients. Il était le centre de l’attention, sept médecins se trouvaient autour de lui, soit beaucoup de monde pendant une heure et demie, pour un patient dont les visites ont été réduites au minimum ! Si ce qui a été observé n’est pas critiquable, ce n’est pas pour autant satisfaisant. En effet, l’état de santé, d’éveil de ces patients est très fluctuant et l’évaluation aurait nécessité au minimum de répéter les examens cliniques sur plusieurs jours, à différents moments de la journée, dans des conditions ambiantes variées et par des personnes aux compétences complémentaires.

 

G : Les experts se prononcent sur l’état de conscience de Vincent Lambert, que faut-il en penser ?

XD : Ils disent que Vincent Lambert n’a pas accès à la conscience de lui-même, ni de son environnement. Je regrette que cet avis, affirmé en seulement 1h30 d’examen, soit tellement péremptoire. Sur cette question, tous ceux qui ont donné leur avis ont toujours été très prudents concernant ce type de patients. Aussi cette prise de position tranchée sur des états de conscience tellement sensibles me semble aller trop loin d’autant que, en l’état actuel de nos connaissances de ces personnes, un principe de prudence prévaut : « l’absence de preuve de conscience n’est pas la preuve de l’absence de conscience » !

 

G : Que s’est-il passé durant la visite ?

XD : A un moment, Vincent s’est mis à vocaliser. L’un des experts a été très intrigué par cette vocalisation qui s’accompagnait, selon elle, d’une certaine musicalité. Cependant, les experts n’ont pas voulu voir qu’il s’agissait d’autre chose que d’une activité réflexe ou automatique. Pourtant ce type de comportement a de quoi remettre en doute ce que les experts qualifient d’absence de conscience. Pour compléter leur examen de ce jour, ils ont accepté de regarder les mêmes vidéos (prises en juin 2015) qui ont convaincu quelque 70 professionnels de ces patients EVC-EPR de signer, en Avril 2018, une Tribune dans un grand quotidien pour demander le transfert de Vincent Lambert – évalué par eux sur la foi de ces vidéos en état de conscience minimale – de l’Unité de Soins palliatifs où il est encore actuellement dans une Unité spécialisée (cf. 70 spécialistes dénoncent une «euthanasie qui ne dit pas son nom» et demandent le transfert de Vincent Lambert dans une unité spécialisée). Cette disparité d’interprétation montre bien l’extrême difficulté qu’est l’évaluation de ces patients.

 

G : Les experts cependant concluent qu’il n’y a pas d’obstination déraisonnable. N’est-ce pas contradictoire ?

XD : Non.  Mais en affirmant qu’il n’y a pas d’obstination déraisonnable, tout le processus, médical et judiciaire est remis en cause. En spécifiant que Vincent Lambert n’est pas en situation d’obstination déraisonnable, rien  d’autre que la procédure en cours ne menaçant immédiatement sa vie, ils expliquent que l’alimentation et la nutrition sont les minimums requis et obligatoires, qu’ils ne posent pas de problème particulier, si bien qu’il n’est pas question de les stopper. Son état évolue naturellement, il n’est pas en fin de vie mais en situation de handicap chronique. Les experts précisent que des patients comme Vincent Lambert sont même pris en charge à domicile. Dès lors, le transfert dans un autre établissement, qui est demandé depuis le début en 2013 par les parents de Vincent Lambert, devient la conclusion incontournable pour permettre à ce patient de recevoir enfin les soins appropriés à son état.

 

G : Les juges ont prévu d’examiner de nouveau la situation le 19 décembre prochain, comment ce rapport peut-il faire évoluer la situation ?

XD : Je ne peux pas présager de la décision des juges. Les experts tout en disant qu’il n’est pas en situation de fin de vie, qu’il ne relève pas d’une obstination déraisonnable, que son état ne s’est pas aggravé, s’en remettent finalement, de façon pour le moins étonnante, intrigante, au tribunal, pour savoir si son cas relève de la loi Leonetti. Un tribunal condamnera-t-il à mort une personne en situation de handicap, totalement vulnérable, alors que les experts affirment qu’il n’y a pas d’obstination médicale déraisonnable ? Et que les 70 professionnels déjà cités mettaient en garde sur le risque d’ « une euthanasie qui ne dit pas son nom ». Ce serait un précédent historique dramatique. Dramatique pour Vincent Lambert, pour les quelques 1700 personnes qui partagent sa condition, pour leurs proches et leurs soignants, pour les tenants d’une médecine hippocratique.

 

Pour aller plus loin :

Xavier Ducrocq

Xavier Ducrocq

Expert

Le Docteur Xavier Ducrocq est docteur en Médecine, spécialisé en neurologie depuis 1986. Il est praticien hospitalier au Service de neurologie du CHRU de Nancy depuis 1989, et professeur de neurologie à l'université de Lorraine depuis 2001. Il est coordonnateur médical de l'Unité Neurovasculaire Meuse depuis janvier 2015 et depuis septembre, chef du service de neurologie du CHR de Metz-Thionville. Il est spécialisé dans le domaine des maladies cérébrovasculaires (AVC) et responsable médical du programme Télémédecine-AVC en Lorraine. Il a été Président du Comité d'éthique du CHRU de Nancy et de l'Espace lorrain d'Ethique de la Santé de 2007 à 2015.

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