Citoyenneté européenne : vers un état civil « sur mesure » ?

Publié le 26 Mai, 2025

Récemment, plusieurs affaires ont bouleversé le droit de la famille et la capacité des Etats à définir les règles en la matière. Parmi elles, celle portée devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a rendu un arrêt le 4 octobre 2024 relatif à un changement de sexe. Il y est déclaré que la « citoyenneté européenne ne permet pas que la règlementation d’un Etat membre s’oppose à la transcription d’un droit acquis dans un autre Etat ». Autrement dit, il existerait une supériorité de la citoyenneté européenne sur la citoyenneté nationale. Dans une autre affaire, dite affaire Trojan, qui est en cours d’examen, l’avocat général conclut que « l’articulation entre la libre circulation et le droit au respect de la vie privée s’oppose à ce qu’un Etat refuse de reconnaître le mariage homosexuel conclu légalement dans un autre Etat membre au motif que sa règlementation ne le prévoit pas ».

L’individu devient « la seule norme pertinente »

Le professeur de droit Marie-Anne Frison-Roche [1] rappelle que la famille sert « d’ancrage » et permet aux individus de se situer dans la société. Ancrage pour lequel l’Etat joue un rôle important car, par nature, sa structure est politique (à titre d’exemple on peut citer l’indisponibilité de l’état civil). Or, cet agencement semble bouleversé par de récentes affaires dans lesquelles l’individu s’affirme comme décisionnaire de tout ce qui le concerne. Ce serait à l’Etat de s’adapter. « L’individu qui devient alors la seule norme pertinente, pour que sa conception devienne l’unique norme juridique qui le régisse, choisit un pays qui lui permet de réaliser cet ordre normatif familial idéal, puis revient ensuite dans son pays en exigeant que celui-ci écarte pour ce qui le concerne ses règles étatiques car elles n’auraient plus de pertinence pour lui », résume le professeur.

Le professeur de droit international Louis d’Avout [2] affirme pourtant que le droit de la famille ne relève pas des compétences de l’Union européenne. Il rappelle en outre que la « citoyenneté étatique », dans les textes fondateurs de l’Union, est considérée comme « autosuffisante dans l’ordre international » et « devrait donc être comprise comme constituant le lien civique fondamental ». Certains estiment au contraire que lorsqu’il s’agit de sujets concernant l’état des personnes et la famille, il serait suffisant que la personne choisisse de se rendre dans le pays souhaité pour ensuite « revenir dans son pays d’origine en exigeant, contre la loi du pays, la reconnaissance de la situation nouvelle ainsi créée au nom des droits découlant de la citoyenneté européenne ».

Vers une jurisprudence européenne généralisée ?

Une question se pose : celle de savoir si la CJUE s’en tiendra à des décisions isolées ou si on assiste plutôt à une reconnaissance générale. « Dans la seconde hypothèse, cela consisterait à obliger les Etats passifs ou récalcitrants à s’aligner sur l’Etat ayant été sollicité d’une modification de statut, en violation des principes juridiques et des règles du droit international privé ». Louis d’Avout voit deux difficultés à ce raisonnement. La première tient à la question de l’égalité devant la loi. En effet, dans cette logique, une inégalité risque de se matérialiser entre ceux qui peuvent voyager et ceux qui n’en ont pas les moyens. La deuxième relève de l’équilibre des pouvoirs dans l’organisation de l’espace européen. Car les décisions rendues par le juge accordent aux citoyens des droits contraires à ceux de leur pays d’origine. « Un quasi-législateur “médiatique” (…), en ce sens que le juge de l’Union conteste, met en doute la validité générale de la loi étatique ce qui, par l’effet amplifiant des médias généralistes et spécialisés, contraint à la réforme du droit technique et à l’écriture d’un droit nouveau ».

Le professeur de droit interpelle : « Il faut donc espérer une Cour de justice demeurant dans la prudence de l’analyse des cas et dans le respect réel, non pas simplement formel, des particularismes nationaux, à l’image de ce que fait le plus souvent la Cour européenne des droits de l’homme ».

 

[1] Agrégée des facultés de droit, professeur de droit de la régulation et de la compliance

[2] Professeur de droit international privé à Paris II Panthéon-Assas

Source : Actu-juridique, Olivia Dufour (06/05/2025)

Partager cet article

Synthèses de presse

Angleterre et Pays de Galles : les députés britanniques dépénalisent l’IVG quel que soit le stade
/ IVG-IMG

Angleterre et Pays de Galles : les députés britanniques dépénalisent l’IVG quel que soit le stade

Mardi, les députés ont voté en faveur d'une modification de la législation sur l'IVG afin que les femmes d'Angleterre et ...
Dystrophie musculaire de Duchenne : de premiers résultats positifs pour une nouvelle thérapie génique
/ Génome

Dystrophie musculaire de Duchenne : de premiers résultats positifs pour une nouvelle thérapie génique

Une nouvelle thérapie génique produite par RegenXBio a montré de premiers résultats positifs chez 5 patients atteints de dystrophie musculaire ...
Royaume-Uni : la ministre de la Justice opposée à la légalisation complète de l’IVG
/ IVG-IMG

Royaume-Uni : la ministre de la Justice opposée à la légalisation complète de l’IVG

La ministre exprime en effet de « vives inquiétudes » quant au fait qu'une modification de la loi pourrait inciter les femmes ...

 

Textes officiels

 

Fiches Pratiques

Bibliographie

Lettres

Recevez notre lettre hebdomadaire

Recevez notre lettre hebdomadaire

Chaque semaine notre décryptage de l'actualité bioéthique et revue de presse.

Votre inscription a bien été prise en compte.