« Chaque recul anthropologique et éthique ouvre le risque d’autres reculs majeurs »

Publié le 24 Avr, 2023

Alors que le « mariage pour tous » souffle sa dixième bougie, Ludovine de La Rochère, présidente du Syndicat de la Famille, et précédemment de La Manif Pour Tous, décrypte les enjeux actuels. Entretien.

 

Gènéthique : Dix ans après le vote du « mariage pour tous », quel bilan tirez-vous de votre mobilisation d’alors ? Avec le recul, vos craintes de l’époque étaient-elles fondées ?

Ludovine de La Rochère : Oui, hélas, nous avions raison sur les implications et les conséquences du mariage de personnes de même sexe que nous dénoncions d’emblée. D’abord sur le fait qu’il est fondé sur l’idéologie du genre, c’est-à-dire sur l’idée que l’identité sexuelle est sans importance et même qu’elle ne serait qu’une « construction sociale et culturelle ».

C’est en effet ce postulat qui inspire l’idée que deux hommes ou deux femmes pourraient, comme le couple homme-femme, se marier et donc fonder une famille, car l’un va avec l’autre. Cela explique d’ailleurs que le mariage, en lui-même, ouvre droit à l’adoption. La loi Taubira avait ainsi d’emblée pour conséquence de priver des enfants de père ou de mère, en l’occurrence une seconde fois puisqu’on parle là d’enfants orphelins. Une tragédie pour eux.

Mais bien sûr, l’objectif des partisans de la loi Taubira allait au-delà : il s’agissait bien, dès 2013, d’obtenir la légalisation de la PMA sans père et de la GPA, ainsi que la reconnaissance d’une « filiation » comptant deux mères ou deux pères. C’est un déni de ce que sont la paternité et la maternité, lesquelles sont différentes puisque l’homme et la femme sont différents, notamment dans leur relation à l’enfant, que ce soit pour la procréation ou dans leur place et fonction de père et de mère auprès de lui.

Cela relève aussi de la mise en œuvre d’un droit à l’enfant et, au passage, de l’instrumentalisation des hommes comme fournisseurs de sperme et des femmes comme fournisseurs d’ovocytes et mères porteuses.

Il s’agissait également de diffuser cette idée que nous ne sommes pas nécessairement homme ou femme : nous pourrions prétendument « naître dans le mauvais corps ». Cela n’a bien sûr aucun sens scientifiquement. De telles idées relèvent de l’obscurantisme dont nous qualifient régulièrement nos opposants, mais le fait est qu’il ne se situe pas là où ils l’imaginent !

Et évidemment, chacune de ces revendications en entraîne d’autres : la PMA pour les couples de femmes, par exemple, a ouvert la volonté de légaliser la PMA pour les femmes seules, la PMA pour les personnes trans, la PMA post-mortem, la ROPA (réception des ovocytes de la partenaire dans les couples de femmes) et bien sûr la GPA.

Finalement, nous avons empêché durant huit années la légalisation de la PMA sans père (François Hollande a tenté trois fois, puis il a officiellement renoncé, en 2016, face à notre opposition), mais elle a fini par passer, au forceps, dans le cadre de la loi dite « bioéthique ». Emmanuel Macron a profité du Covid et il a enjambé le rejet du texte par le Sénat en dernière lecture. Ce jusqu’au boutisme consistant à abuser de toutes les ficelles de la légistique s’est d’ailleurs retrouvé tout récemment sur le projet de loi retraites.

Cependant, nous avons réussi à empêcher que la PMA pour les personnes trans, la PMA post-mortem et la ROPA soient légalisées au passage. Elles avaient été introduites en 1e lecture par l’Assemblée nationale puis supprimées par le Sénat et le Gouvernement n’a pas osé soutenir leur retour en 2ème lecture à la chambre basse.

De la même manière, la transcription systématique des actes de naissance des enfants nés de GPA à l’étranger a finalement été retirée du projet de loi bioéthique. Et au contraire, le texte voté a finalement donné un coup d’arrêt à de telles retranscriptions. C’est aussi une victoire concrète et importante parce que de telles retranscriptions sont une reconnaissance de fait de la GPA et parce qu’elles développent considérablement le recours à cette pratique, les couples qui envisagent la GPA craignant les difficultés administratives. Je note au passage que, depuis 2012, il n’y a plus eu de proposition de loi déposée en vue de la légalisation de la GPA, contrairement à la période précédant La Manif Pour Tous.

Plus largement, il est évident que le prosélytisme transaffirmatif, qui consiste à inciter les adolescents et les jeunes à changer de genre, voire de sexe, est de plus en plus visible. Mais l’opposition à cette propagande prend elle aussi davantage d’ampleur et c’est une très bonne nouvelle. D’une certaine manière, nous nous « américanisons » : ces débats fracturent désormais la France, comme ils fracturent les Etats-Unis depuis des années. Mais en fait, c’est bien parce que l’opposition est en pleine croissance. Paradoxalement, c’est plutôt encourageant !

Le combat est donc très intense, mais il n’est pas perdu, loin s’en faut. Et au contraire, je pense qu’on ne pourra que revenir à une situation respectueuse de l’anthropologie. Mais cela prendra du temps, peut-être beaucoup de temps. Or il y a urgence parce que les victimes, à commencer par les enfants et les adolescents sont nombreuses. Il est par conséquent urgent et fondamental d’agir avec détermination et vigueur.

G : Aujourd’hui vous fondez le Syndicat de la Famille. Quels sont vos objectifs ?

LdLR : Le Syndicat de la Famille est le prolongement de La Manif Pour Tous. Ses convictions et ses objectifs sont bien sûr les mêmes. Simplement, au lieu d’un nom spécifiquement focalisé sur l’action de type manifestation, il affiche la finalité – la famille – et il souligne sa détermination : un syndicat est une organisation qui défend par tous les moyens opportuns. C’est ce que nous faisons : veiller, alerter, former, fédérer, militer, mobiliser, influencer…

Sur le fond, il s’agit donc toujours de défendre la différence et la complémentarité des sexes, le mariage, la paternité et la maternité, la filiation, les besoins fondamentaux de l’enfant. Autrement dit, tout ce qui fonde la famille.

Il nous semble indispensable aussi de développer une culture de la famille, ceci étant une étape pour que la famille revienne, ou plutôt vienne, au cœur du débat public et politique. Elle est en effet victime de la volonté de déconstruction d’une partie de nos élus, mais aussi de l’ignorance incroyable d’autres élus qui ne sont pas « anti-famille », mais sont incapables de la protéger parce qu’ils n’ont aucune idée à son sujet. Ils n’ont aucune vision globale ni aucune proposition en faveur de la famille. Cela complète le désastre de la déconstruction. Et de fait, la famille vacille en France, à tous points de vue. Et je pense que tout cela explique, en partie au moins, l’état de la société française.

G : GPA, genre, fin de vie : quels sont selon vous les principaux enjeux pour les années à venir ?

LdLR : Des projets de loi très inquiétants s’annoncent en effet, plus ou moins rapidement. Ils concernent l’euthanasie et la fin de vie, la procréation (avec les pratiques que j’évoquais) et la remise en cause des identités sexuelles. Il y a aussi – cela va avec évidemment – la parentalité. Les associations LGBT revendiquent en effet l’inscription d’une « identité de genre » à la place de l’identité sexuelle à l’état civil. Mais elles veulent aussi obtenir la reconnaissance de la pluriparentalité. C’est pourquoi, depuis quelque temps, on entend parler du « polyamour » et des « trouples »…

Nous le disions en commençant notre entretien : chaque recul anthropologique et éthique ouvre le risque d’autres reculs majeurs. Les fronts sont donc nombreux.

Mais vous l’avez compris, la génération « Manif Pour Tous », comme on l’appelle parfois, est combattive et volontaire. De nombreux jeunes nous rejoignent tous les jours. Et avec eux, nous pensons qu’il faut à la fois s’opposer vigoureusement à ce qui se profile et proposer une autre vision que celle de la déconstruction. Il s’agit donc, également, d’agir à la fois pour le court et pour le moyen terme. J’ajoute qu’il faut agir aussi au niveau international, ce que nous faisons, notamment grâce au statut d’organisme consultatif à l’ONU obtenu en 2015.

La tâche est immense évidemment. Et j’appelle donc tous ceux qui ont conscience des enjeux à devenir membres du Syndicat (www.lesyndicatdelafamille.fr) : plus nous serons nombreux, plus le Syndicat de la Famille sera légitime, et donc efficace, dans le débat public, médiatique et politique.

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