CEDH : “Le droit à un enfant sain” via le diagnostic préimplantatoire suscite des incertitudes

Publié le 30 Août, 2012

Dans La Revue des Droits de l’Homme, Nicolas Hervieu, Juriste en droit public et droit européen des droits de l’homme, analyse l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), le 28 août dernier (Cf Synthèse de presse Gènéthique du 30 août 2012).
Pour rappel, la CEDH “a jugé contraire au droit au respect de la vie privée et familiale l’impossibilité pour un couple de réaliser un diagnostic génétique préimplantatoire afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint de la mucoviscidose“. Par cet arrêt, une véritable question de bioéthique est soulevée : “l’accès à un diagnostic génétique préimplantatoire“.

Examinant l’affaire au fond, “la Cour décide de concentrer son analyse sur le seul terrain du droit au respect de la vie privée et familiale ” (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme), déterminant ainsi que “les prétentions des requérants entraient bien dans le champ de compétence européen“, la Cour ayant toujours apprécié de manière large la notion de “vie privée” telle que visée par cet article 8.    

Pour Nicolas Hervieu, ce qui justifie la condamnation de l’Italie, “ce n’est pas en soi le refus d’accès au [DPI]” mais “le manque de cohérence du système législatif italien en la matière“, selon les termes de la Cour, puisque l’Italie “interdit [d’une part] l’implantation limitée aux seuls embryons non affectés par la maladie dont les requérants sont porteurs sains” et d’autre part, “autorise ceux-ci [à faire] avorter un fœtus affecté par cette même pathologie“. Or, “les juges souligne ‘qu’un avortement thérapeutique lorsqu’il s’avère que le fœtus est malade’ emporte des conséquences plus importantes que la sélection d’un embryon ‘sain’ par un diagnostic préimplantatoire“.
Et surtout, pour le juriste, cette décision de la CEDH soulève une importante question : “un droit conventionnel de concevoir un enfant ‘sain’ – impliquant un droit corrélatif d’accès au [DPI] – est-il désormais reconnu par la jurisprudence ?“. A cette question, la réponse n’est pas claire. Elle est d’abord négative puisque selon les juges, le droit invoqué par les requérants n’est pas celui “d’avoir un enfant sain“, mais “la possibilité d’accéder aux techniques de [PMA] et ensuite au [DPI] en vue de procréer un enfant [sain]“.

Cependant, cet arrêt Costa et Pavan c. Italie rendu par la CEDH “recèle toutefois divers indices qui, à l’inverse, étayent l’hypothèse d’un véritable droit conventionnel à un diagnostic préimplantatoire  en cas de risque de ‘maladie génétique spécifique d’une particulière gravité […] et incurable au moment du diagnostic’. De manière incidente, la Cour use ainsi d’une formule ambiguë lorsqu’elle évoque le ‘droit [du couple de requérants] de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie dont ils sont porteurs sains’. La qualification en ‘droit’ est pour le moins équivoque et pourrait n’être qu’une simple maladresse de plume. Elle n’en est pas moins évocatrice“.

En définitive, précise le juriste, l’arrêt “fait émerger des interrogations auxquelles il serait vain de vouloir trouver à ce jour des réponses assurées, tant l’horizon semble grevé d’incertitudes. Plus sûrement encore, il est inutile de chercher une pleine cohérence entre les précédents strasbourgeois de Grande Chambre et la solution de la Deuxième Section. Sans aller jusqu’à faire cavalier seul, la formation de Chambre a en effet semblé vouloir repousser les regrettables limites que s’est assignée la formation solennelle en matière de procréation“. (La Cour reconnaît en effet “une large marge d’appréciation aux Etats parties sur l’encadrement de l’accès à la [PMA] “). Nicolas Hervieu continue en précisant que “seul l’avenir permettra d’apprécier le sort d’un tel volontarisme de la Deuxième Section : ballon d’essai porté au pinacle de la postérité jurisprudentielle ou simple feu de paille voué aux gémonies de la Grande Chambre“.
 

Revdh.org – La Revue des Droits de l’Homme (Nicolas Hervieu) – Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF – Paris Ouest Nanterre – La Défense) 29/08/12

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